82 000€ à payer aux flics... pour un pétard.

Infortunes d’un manifestant face à une répression qui prend son temps.

  • Cagnotte : solidarité avec Max

    Une cagnotte en ligne a été mise en place afin d’aider Max à payer ses frais d’avocat dans le cadre de cette affaire : https://www.leetchi.com/c/solidarite-avec-max

En 2016, Max a participé à un blocage contre la loi Travail. Ce jour-là, il est interpellé pour un pétard qu’il n’a pas lancé. La presse s’en mêle, la machine répressive s’emballe et dix policiers se plaignent opportunément d’acouphènes. S’en suivent procès au pénal et procès au civil. Le 8 décembre 2020, un tribunal vient de condamner Max à verser 82 000 euros de dommages et intérêts à ces policiers.

La détonation

Printemps 2016. Le gouvernement Valls tente d’imposer une réforme du droit du travail dite loi Travail, ou loi El Khomri – du nom de la ministre du Travail –, qui facilite les licenciements, affaiblit les syndicats et permet aux entreprises de moduler unilatéralement le temps de travail de leurs salarié·es. Le projet de loi est contesté jusque dans les rangs du Parti socialiste.

D’immenses manifestations ont lieu un peu partout en France. Devant les défilés syndicaux habituels apparaissent d’inédits «  cortèges de tête  » chamarrés et bien décidés à ne pas se laisser contenir par la police. Dans des dizaines de villes, des occupations de places baptisées Nuits debout se poursuivent soir après soir. Les blocages et opérations péages gratuits se multiplient.

2 juin 2016. Toulouse. C’est un jeudi de manif’, et comme tous les jeudis de manif’, l’Assemblée de lutte 31, conjointement avec la CGT, lance un appel à action [1].

Max habite depuis peu à Douarnenez, où il ne se passe pas grand-chose contre la loi Travail. Alors il participe comme il peut au mouvement  : une AG à Brest, une manif’ à Quimper, parfois il pousse jusqu’à Rennes. Il se rend aussi régulièrement à Toulouse, où habite Julie, son amie. Deux semaines auparavant, le 19 mai, il avait déjà participé à une action du jeudi  : un blocage des accès à l’aéroport de Toulouse-Blagnac. Cette fois, un barrage filtrant du périph’ est prévu.

5 h 30. Arrivée sur place. Première mauvaise surprise  : les syndicats ont annulé leur participation à l’action le matin même. Il y a quand même cent cinquante personnes, du café, des croissants, des crêpes et une certaine joie d’être là ensemble.

Même sans la CGT, les manifestant·es sont assez nombreux·ses pour se diviser en deux groupes. L’action se passe au mieux. Il y a bien quelques râleur·ses mais le mouvement a déjà quelques mois, les automobilistes sont habitué·es. Max n’a pas participé à l’orga, il est un peu là en touriste, à la cool. Posé à quelque distance du barrage, il papote avec un copain du Tarn rencontré sur place.

8 h 00. La police débarque et repousse les manifestant·es – un peu moins diplomatiquement que les jeudis précédents, quand les syndicats étaient présents. Pas de velléités de résistance, les manifestant·es ne sont plus assez nombreux·ses et puis l’action est réussie, c’est l’heure de partir.

Les manifestant·es s’en vont en groupe vers le centre-ville, suivi·es de près par la police. Iels sont une quarantaine environ, en cortège un peu disséminé. Ça taquine un peu les flics, quelques quolibets par-ci, par-là, mais l’ambiance est détendue.

Max se trouve en queue de cortège, non loin de la ligne de police. Un pétard lancé devant lui passe entre les jambes et explose juste derrière lui. Plus près des manifestant·es que des forces de l’ordre. Il fait une bonne détonation, mais pas de quoi émouvoir le cortège qui n’y trouve rien à redire, si ce n’est qu’il aurait pu être mieux lancé.

La police cesse de suivre les manifestant·es, qui arrivent au centre de Toulouse. Là, une autre brigade les encercle par surprise. Ils cherchent visiblement quelqu’un·e. Une première personne – brune, barbe, casquette, comme Max – est interpellée et embarquée dans une estafette, avant d’être relâchée.

Un·e des policier·es désigne alors Max, qui est interpellé à son tour. Le garçon qui vient d’être relâché lui conseille au passage de désigner maître Dujardin, qui travaille avec la CAJ (Caisse d’autodéfense juridique), un collectif organisé à Toulouse pendant le mouvement contre la loi Travail pour aider les personnes en prise avec le système judiciaire.

La garde à vue

9 h 00. Dans l’estafette, il y a un homme en costume avec une petite mallette  : c’est l’officier de police judiciaire (OPJ), spécialement dépêché sur place. Il signifie à Max sa garde à vue.

Sur le chemin du commissariat, Max entend l’OPJ passer un appel radio à la brigade qui a suivi le cortège jusqu’au centre-ville. Il leur signale qu’iels ont arrêté quelqu’un, leur demande si tout va bien de leur côté, on lui répond que oui. L’OPJ insiste  : «  Vous êtes sûrs, même pas des acouphènes  ?  » Un blanc. Puis on lui répond que oui, oui, en effet, dix agents se plaignent d’acouphènes.

12 h 00. Le Parisien publie une brève  :

Huit fonctionnaires de police ont été légèrement blessés jeudi à Toulouse lors d’une opération “de maintien de l’ordre” face à des manifestants contre la loi Travail qui bloquaient la circulation. Chargés de dégager la voie publique, ils ont été accueillis par des pétards et des “bombes” agricoles lancées par les manifestants, dans le quartier de Ponts-Jumeaux et sur les Allées de Brienne, non loin du centre-ville. Les policiers souffrent “d’importants troubles auditifs”, des acouphènes, ont précisé le syndicat Unité SGP Police FO et la direction départementale de la Sécurité publique. Une personne a été interpellée [2].

13 h 00. Depuis plus de deux heures, Max est enchaîné au banc de l’entrée du commissariat central. Il subit les vannes et menaces de fonctionnaires de police qui passent toustes devant lui en rentrant de la manif’.

Maître Dujardin arrive. Elle l’informe que La Dépêche du Midi parle de bombe agricole et de policiers blessés. Supposant que Max va être déféré et jugé en comparution immédiate, elle lui conseille de demander un report de procès pour mieux préparer sa défense mais le prévient tout de même qu’il risque d’être placé en détention provisoire. La pression monte.

En plus des prises d’empreintes et du prélèvement d’ADN, la police scientifique soumet Max à un relevé de traces de poudres sur ses doigts et vêtements.

Une autre manifestante, qui a également participé au blocage, a été arrêtée. Les policier·es ont trouvé sur elle des pétards et un briquet. Elle est relâchée après avoir accepté une reconnaissance préalable de culpabilité [3] pour possession de pétards.

Note

Cet article, écrit par Romain André pour Jef Klak sous le titre Une bombe judiciaire à retardement est issu du septième numéro de la revue papier, « Terre de feu », qui traitera des feux qui couvent et sera disponible en librairie à partir du 15 janvier 2021.

Notes

[1L’Assemblée de lutte 31, née d’une intervention à Nuit debout Toulouse, se voulait une structure horizontale réunissant différents secteurs en lutte pour organiser l’offensive «  contre la loi Travail et bien au-delà  ».

[2«  Loi Travail  : huit policiers blessés lors d’une manifestation à Toulouse  », 2 juin 2016, consulté sur <leparisien.fr> .

[3La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, également appelée procédure du plaider-coupable permet, pour certains délits, au procureur de la République de proposer sans procès une peine à une personne qui reconnaît les faits qui lui sont reprochés.

Mots-clefs : blocage | justice | procès | police

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