Récit et réflexions à propos de la soirée du 1er tour, « ni Le Pen ni Macron, ni patrie ni patron »

Dimanche soir, à l’annonce des résultats du 1er tour des présidentielles, entre la reine des racistes et le roi des capitalistes, notre coeur n’a eu qu’une envie : vomir. Pourtant, en abstentionnistes revendiqué-e-s, on aurait pu décider de se désintéresser complètement du cirque électoral. On a préféré exprimer notre rage dans les rues de Paris...

Comme à chaque élection présidentielle, les actions directes contre la farce démocratique et ses partis se sont multipliées ces derniers mois et se sont intensifiées ces dernières semaines : attaques de permanences de partis politiques de toutes tendances, arrachage et détournement d’affiches électorales, tags abstentionnistes dans la rue et dans le métro, enfarinages de candidats, manifs contre le FN et perturbations de meetings de divers candidats (merci Fillon pour avoir osé aller jusqu’au bout malgré toutes tes casseroles, tu as fait grandir la colère populaire contre la classe politicienne).

Samedi (le 22 avril), une manif pour un « premier tour social » a vu quelques actions directes menées contre des banques et des tags anti-vote apparaître sur les murs :

Manif « 1er tour social », 22 avril 2017, boulevard Beaumarchais, Paris
Manif « 1er tour social », 22 avril 2017, boulevard Beaumarchais, Paris
Manif « 1er tour social », 22 avril 2017, Paris
Manif « 1er tour social », 22 avril 2017, boulevard Beaumarchais, Paris

Et dimanche, si le rendez-vous « Nuit des barricades » à Bastille n’a pas tellement bien marché (trop de flics, pas assez de gens), une manif sauvage a quand même fini par partir de la place malgré la nasse policière, tandis qu’une autre semble être partie de Ménilmontant plus ou moins en même temps, et qu’encore une autre arrivait place de la République dans la soirée. Bon, c’était un peu chaotique et compliqué à suivre, mais il y avait clairement de l’énergie pour gueuler contre le 2e tour qui s’annonce et contre la mascarade électorale en général.

Un peu plus tard dans la soirée, alors que de plus en plus de gens affluaient sur la place de la République, on a vu arriver des flics à deux ou trois angles de la place. Ça semblait le bon moment pour partir en manif sauvage... Malgré quelques personnes qui essayent de freiner cet élan, avec l’idée qu’on finirait par être 5 000 si on attendait un peu (si seulement...), on finit par bouger, avec l’idée qu’on finirait tou-te-s nassé-e-s sur la place si on attendait un peu (version plus terre à terre, tmtc). La grande insurrection, ça sera pour une autre fois. On s’en doutait, nan ?

À ce moment-là, on est quelques centaines, la rage au ventre, à crier « À bas Le Pen, les flics et Macron », ou encore « Tout le monde déteste le FN » / « Tout le monde déteste Macron ». Mais si ces slogans inspiré de « Tout le monde déteste la police » ont le mérite d’affirmer notre haine du renouveau du racisme pour l’une et du renouveau du capitalisme pour l’autre, ils ont le défaut d’être faux, tout simplement. On a envie que tout le monde haïsse la police, le FN et Macron, mais de fait, on en est loin... Sur les 47 millions d’inscrits sur les listes électorales, il y en a quand même plus de 8 millions qui ont voté Macron, et plus de 7 millions qui ont voté Le Pen. Sans compter les 7 millions qui ont voté Fillon, etc. Bref, même si les abstentionnistes restent les plus nombreux, on est quand même très loin d’une détestation généralisée des deux candidat-e-s qui se retrouvent au 2d tour de la présidentielle.

Un slogan plus « juste », et plus parlant, fera son apparition : « Ni Le Pen ni Macron, ni patrie ni patron », affirmant ainsi notre détestation des deux candidats en tête tout comme du nationalisme et du capitalisme comme systèmes de domination.

Partie sur la rue du Faubourg du Temple, la manif sauvage est dynamique et gagne en intensité au fur et à mesure. Des tags apparaissent sur les murs, du mobilier urbain est renversé en travers de la route pour empêcher les flics de nous suivre trop facilement. Au croisement de Belleville, on tergiverse un peu, on hésite à prendre la rue de Belleville, un ou des véhicules de flics sont attaqués, des lacrymos sont jetées sur la foule par les flics et toute la manif se dirige alors vers la place du Colonel Fabien en prenant le boulevard de la Villette. Des panneaux de pub et des Autolib prennent des coups, ainsi que tous les habituels bâtiments capitalistes, qui ont tous leurs façades repeintes et/ou leurs vitrines pétées : banques, agences immobilières, agences d’assurance, magasins de bourges, supermarchés, etc. Tout cela se passe dans une bonne ambiance, une rage collective accompagnée de slogans anticapitalistes. Le rythme de la manif est assez élevé, ce qui parfois n’aide pas trop à l’entraide entre manifestant-e-s, ou à l’attention aux un-e-s et autres, mais c’est un sentiment génial de continuer à avancer et transformer cette soirée d’élections présidentielles en émeute en plein coeur de Paris (on était 500 au début et jusqu’à 1 000 au plus fort de la manif, selon le suivi de Paris-Luttes.info).

Les flics ont mis du temps à nous rattraper, et c’est seulement vers La Chapelle qu’ils ont essayé de nous bloquer le passage. Quelques projectiles répondent alors aux jets de grenades lacrymogènes, et après un petit moment d’hésitation ça repart en direction de Louis-Blanc, où une autre attaque policière finit par couper la manif sauvage en deux ou trois groupes (dont un termine nassé - une cinquantaine de personnes seront interpellées et emmenées en contrôle d’identité au comico de l’Évangile, dans le XVIIIe). Là, la manif continue mais il y a une sorte de flottement, l’ambiance est pas mal retombée et on est beaucoup moins nombreux. On se regroupe progressivement et rue du Faubourg Saint-Denis on repart au pas de course en direction de Gare du Nord pour éviter d’être bloqué dans un endroit sans rues adjacentes. À l’angle de la Gare du Nord, d’autres flics armés nous attendent. Demi-tour, on commence à faire tourner le mot que l’heure de la dispersion a sonné. Si on peut, on se retrouve place de la République !

Émeute après les résultats du 1er tour, 23 avril 2017, Paris
Émeute après les résultats du 1er tour, 23 avril 2017, Paris
Émeute après les résultats du 1er tour, 23 avril 2017, Paris
Émeute après les résultats du 1er tour, 23 avril 2017, Paris

Quelques temps plus tard, s’il y a du monde sur la place de la République, on voit bien que ça grouille de flics partout dans le Xe arrondissement et tout autour de la place. Alors que des affrontements commencent entre des manifestant-e-s et des flics sur un angle de la place, feux d’artifice contre lacrymos, toutes les rues sont rapidement bloquées par des rangées de flics anti-émeute. La place est noyée sous les gaz lacrymogènes, ça court dans tous les sens et il y a peu de perspectives enthousiasmantes dans ce grand traquenard. C’est vers ce moment-là qu’avec mes ami-e-s on s’esquive, et quand on a appris qu’il y avait un rencard à Ménilmontant il était trop tard pour nous. On dirait que deux petites manifs sauvages sont reparties de là-bas...

Pour celles et ceux qui y étaient, cette soirée émeutière n’aura pas manqué de faire penser à celle qui avait éclaté au soir-même de l’élection de Sarkozy en 2007. Ça avait même duré trois soirs d’affilée à Paris, des manifs sauvages offensives avaient accueilli comme il se doit l’arrivée au pouvoir de cette ordure.

En 2017, dans cette période d’état d’urgence normalisé et de montée des idées réactionnaires, ce n’est pas toujours évident de savoir comment s’opposer à la marche écrasante de l’ordre établi. Pourtant, à la suite du mouvement contre la loi Travail et son monde et du mouvement de solidarité avec Théo, les moments de révolte sociale n’ont pas manqué ces derniers mois. Et on l’a vu ce dimanche soir, on est quand même un certain nombre à avoir la rage contre ce monde, à être déterminé-e-s à continuer de s’insoumettre aux chefs, aux partis et aux institutions. En dépit de l’adversité grandissante, faisons exister, faisons connaître, développons les idées et pratiques autonomes, anarchistes, révolutionnaires et anti-autoritaires.

Après les résultats du 1er tour, 23 avril 2017, place de la République, Paris

Note

Le Pen et Macron, comme les autres candidat-e-s aux élections présidentielles, ont fait les frais de la création de rue ces derniers mois. Si vous voulez un peu d’inspiration pour les deux semaines qui viennent, checkez les mots-clés « Le Pen » (Dépassement & La rue ou rien) et « Macron » (Dépassement et La rue ou rien) sur deux blogs qui recensent plein de tags et de détournements contemporains...

Localisation : Paris

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