La loi Travail : petits décryptages

Petite lecture dirigée de la loi travail adoptée cet été à l’usage des précaires chômeurs et salariés qui luttent contre ce projet de loi asséné à coup de 49.3. Promulguée en catimini cet été, voici un rappel des modifications que ce texte va engendrer pour les millions de travailleur-euses en France. Il manque encore sûrement pleins de passages iniques à relever, n’hésitez pas à compléter en proposant un article sur Paris-luttes.info.

Quelques amendements adoptés par 49.3 de la loi travail promulguée en catimini cet été, un petit rappel des modifications que ce texte va engendrer pour les millions de travailleureuses en France

1/ l’inversion de la hiérarchie des normes et la création d’une commission qui a deux ans pour faire des recommandations pour refondre entièrement le Code du travail. Le Conseil constitutionnel aurait dû juger inconstitutionnel l’inversion de la hiérarchie des normes puisque que cela est contraire au principe d’égalité inscrit dans la constitution. En clair pour ce qui est de la durée du temps de travail, des congés payés et des heures supplémentaires, les accord d’entreprise, d’établissement ou de branches primeront sur le code du travail créant une inégalité des salariés devant la loi.
La réécriture de la partie législative du Code du travail est programmée. Cette mission de réécriture du Code du travail est confiée à « une commission réunissant experts et praticiens en droit social qui devront remettre leurs travaux dans un délai de 2 ans ». Donc la sape méthodique du droit du travail ne fait que commencer.
On sait aussi que les employeurs auront donc les coudées franches pour faire pression sur les salarié-es et négocier des dérogations à la loi comme cela les arrange (majoration minimum du paiement des heures supplémentaires à seulement 10%, durée de repos quotidien inférieure à 12h, allongement de la durée de travail hebdomadaire en limitant les contreparties, changement d’horaires de salarié-es à la dernière minute, etc).

2/ « Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salarié-es si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». Risques de limitations des activités syndicales ou des capacités d’organisations des salariés ? Nous ne pouvons pas encore être certain-e des conséquences de cette formule énigmatique s’il en est, qui autorise à peu près n’importe quoi avec un bon argumentaire. Peut-être qu’en plus de disposer de ton temps, ton patron disposera également de l’assurance que tu ne pourra rien dire de mal publiquement de lui ou de la boite sous peine de sanction prévue au règlement ? Cet article cible surtout le port du voile, mais aussi une chasse à l’expression politique ou syndicale. C’est donc un article bien de son temps, à la fois stigmatisant, islamophobe et répressif...

3/ Nouvelle définition du motif de licenciement économique (Art. 67). La notion de difficultés économiques est désormais définie de manière précise « par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique, tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés ».
Ces critères dépendent de la taille de l’entreprise :
moins de 11 salariés : 1 trimestre de baisse du chiffre d’affaires ou de baisse des commandes ;
entre 11 et 49 salariés : 2 trimestres de baisse du chiffre d’affaires ou de baisse des commandes ;
de 50 à 299 salariés : 3 trimestres de baisse du chiffre d’affaires ou de baisse des commandes ;
300 salariés ou plus : 4 trimestres de baisse du chiffre d’affaires ou de baisse des commandes.
En gros dans une PME tu peux te faire virer quand ton patron veut pour motif économique puisque la baisse des commandes suffit à le justifier !

4/ La « possibilité de conclure avec des mandataires syndicaux des accords de préservation ou de développement de l’emploi est également ouverte » (et le MEDEF pourra régulièrement dire merci à la CFDT ils pourront faire des accords quand ils veulent puisqu’il n’y a aucune justification économique à apporter pour proposer ces accords et si tu dis non, ben t’es viré pour motif économique !) (Art. 22) : « l’employeur et les syndicats peuvent, par accord d’entreprise, modifier la durée du travail (sur une période limitée dans le temps), le mode de rémunération des heures supplémentaires, le nombre de jours de RTT en vue de préserver ou de développer l’emploi » (sans nécessité donc de justifier de graves difficultés économiques). « L’accord se substituera aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail du salarié. En cas de refus du salarié, le licenciement reposera sur un motif spécifique et bénéficiera du dispositif d’accompagnement applicable en cas de licenciement individuel pour motif économique. » À Alstom ils vont tester ça très vite sans doute...

5/« Dans le cadre de la revitalisation des bassins d’emplois ou pour permettre aux entreprises de plus de 1 000 salariés de déroger au principe du maintien des contrats de travail en cas de transfert d’entités économiques prévu par un PSE (Art. 94 et 97) », plus besoin de reclasser ou de financer d’autres activités quand les entreprises vont délocaliser, c’est tout bénef pour les grandes boîtes on peut juste délocaliser sans les toutes petites contreparties qu’avaient imposées de timides lois ces 20 dernières années.

6/ « La suppression de la visite médicale d’embauche et de la visite biennale sauf pour les salarié’es amené’es à occuper des postes de sécurité et à risques. Une visite d’information et de prévention aux risques professionnels effectuée après l’arrivée dans l’entreprise et pouvant être assurée par le médecin du travail, son collaborateur médecin, un interne en médecine du travail ou un infirmier doit se substituer à ces visites médicales. » Par ailleurs, en ce qui concerne l’inaptitude la double visite médicale pour constater l’inaptitude est supprimée, assouplissement du licenciement pour inaptitude...

7/ En matière d’apprentissage (Art. 71 à 73, 76, 77 et 81) « la confirmation légale du caractère libératoire du titre emploi-service entreprise (TESE) (Art. 66) » de nouvelles expérimentations du contrat de professionnalisation pour les demandeurs d’emploi (Art. 74) et des assouplissements du régime des contrats des salarié-es en ateliers et chantiers d’insertion (Art. 53) des précisions légales sur les emplois saisonniers (Art. 86 et 87). Et ça, ça touche un paquet de monde : apprenti-es, chômeur-euses, handicapé-es, saisonnier-es.

8/ « Réforme de la négociation collective (Art. 15 à 26) Rôle accru de la négociation d’entreprise. » La loi généralise le recours aux accords majoritaires d’entreprise (jusqu’ici limités à des cas particuliers). Pour être valides, ils devront être "signés" par les organisations syndicales qui ont obtenu plus de 50 % des suffrages exprimés. Si les signataires ne représentent que 30% des suffrages exprimés, ils pourront demander que l’accord soit validé par référendum. Autrement dit avec un bon coup de pression des patrons, ils peuvent faire passer n’importe quoi...

9/ La durée légale de travail effectif à temps complet reste à 35 heures par semaine mais la loi apporte de nombreuses possibilités de contourner cela. Notamment des heures supplémentaires, c’est désormais l’accord d’entreprise qui fixe le taux de majoration, sans pouvoir être inférieur à 10 %. À défaut d’accord d’entreprise, c’est l’accord de branche qui s’applique et, à défaut, la loi (majoration de 25 % pour les 8 premières heures supplémentaires, 50 % pour les suivantes). Cela s’applique également à d’autres domaines, comme la modulation du temps de travail, la durée maximale hebdomadaire, la durée quotidienne de travail, le temps de travail maximal d’un apprenti, l’astreinte et le temps de repos, le plancher des heures hebdomadaires et les heures complémentaires etc.

La mesure de plafonnement du montant des indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse a été supprimée du projet de loi.

La plupart des décrets d’applications de cette loi ne sont pas publiés et doivent l’être d’ici décembre, il est encore temps de se battre pour les faire retirer ou les empêcher de paraître.

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