Le mouvement social des « Gilets Jaunes », qui a débuté sur les chapeaux de roue il y a quelques semaines, a entraîné avec lui son lot de répression. Le nombre record de gardes-à-vue qui ont eu lieu samedi 1 décembre et samedi 8 décembre, ainsi que la sévérité des condamnations des jours suivants, prouvent que le gouvernement et la justice sont déjà sur le pied de guerre (voir comptes rendus circulant sur le site Paris-Luttes-Info).
Penser et organiser une défense juridique au sein d’un mouvement permet de lutter collectivement contre ces sanctions distribuées allègrement, et ainsi d’établir une continuité entre le moment de la lutte et celui de la répression, et de ne laisser personne isolé. De manière générale, tout mouvement social devrait tenter d’organiser sa propre auto-défense juridique en parallèle à la lutte qu’il mène. La diffusion d’informations sur le déroulement des gardes-à-vue et des instructions peut se faire par le biais de tracts et par le bouche-à-oreille. Le suivi des manifestants après leur arrestation est un savoir que tout le monde peut également acquérir. La constitution de groupes de défense spécialement crées par et pour le mouvement permet de ne pas reposer sur le travail de quelques personnes et d’éviter que la lutte contre la répression ne devienne l’outil unique de militants aguerris ou de « spécialistes anti-répression ». La « Coordination contre la Répression », qui a assuré un soutien juridique continu depuis la fin du mouvement contre la Loi Travail précise elle aussi dans son "Appel à dons" (publié le 4 décembre sur Paris-Luttes- Info), qu’elle "n’a pas vocation à assurer seule la « legal team » en région parisienne" et qu’elle ne peut, ni ne souhaite être le seul groupe de défense du mouvement en cours.
L’ampleur du mouvement des « Gilets Jaunes » et de sa répression rend la constitution de nouveaux groupes de défense urgente. Mais les positions hétérogènes, pour ne pas dire parfois radicalement opposées aux nôtres, qui s’expriment dans certains blocages, actions, ou manifs sauvages de ces dernières semaines soulèvent des questionnements : qui défendre, comment, pourquoi ?
Au sein de Defcol, nous estimions que la pensée et la stratégie se construisaient dans le cadre même des mouvements, et que les groupes de défense collective devaient aussi et surtout être des lieux d’organisation concrets entre personnes engagées dans la lutte. Il nous avait semblé important de définir notre mode de fonctionnement à partir d’exigences collectives dans la défense des personnes arrêtées (refus de différencier entre légalité et illégalité des actions, importance de ne pas enfoncer d’autres inculpés dans le cadre de sa défense, coordination entre avocats et membres du collectif pour que la défense ne soit pas individualisée…), plutôt qu’en fonction du profil politique supposé des personnes arrêtées. Afin d’aider et de fédérer le plus grand nombre de personnes possibles, une caisse permettant de récolter des fonds et les grilles tarifaires avaient également été mises en place.
Il est bien entendu hors de question de défendre des militants d’extrême-droite affirmés. Mais dans les faits, nous sommes souvent confrontés à des situations moins claires, où les lignes idéologiques exprimées sont floues, parfois en contradiction avec les pratiques. Dans ce cas, comment trancher, et décider qui est digne ou non d’être défendu ? Peut-on imaginer que ces moments d’incertitude puissent aussi être des occasions pour faire bouger les positions ? Malgré l’urgence dans laquelle elle s’effectue, la défense collective devrait toujours refuser d’être un outil purement pratique car elle peut constituer un lieu pour réfléchir aux limites et aux contradictions qui se jouent dans les mouvements, et aux manières adéquates d’y répondre, voire de les dépasser. Elle implique donc de trouver des solutions dans le moment même de la lutte, sans renier celle-ci, sans renier ses idéaux, et sans céder au repli de de l’entre-soi.
Ces questions ont plus que jamais leur importance. C’est pourquoi nous ne pouvons qu’encourager les participants au mouvement actuel à créer de nouveaux groupes de défense collective qui tenteront d’y répondre.
Comme nous l’affirmions en 2016, Defcol peut toujours « être contacté par celles et ceux qui cherchent à créer leurs propres collectifs sur ces mêmes bases ».
Des anciens membres de Defcol.