Loi sur la sécurité globale, un projet réactionnaire et liberticide

En plein contexte de reconfinement et de saturation des hôpitaux, et après la sidération suite aux attentats de Conflans et de Nice, le gouvernement et Darmanin sont essentiellement occupés... à réprimer les manifestations !
Une proposition de loi sera examinée en catimini le 4 novembre 2020, à peine deux semaines après sa proposition, pour réprimer (toujours plus) les manifestant·e·s. et les personnes des quartiers populaires, alors que tout le monde a les yeux rivés sur autre chose (Covid, élection américaine, attentats...). Présentation de ce projet liberticide.

  • Plusieurs rassemblement ce mardi contre la loi de sécurité globale

    Il y a plusieurs rassemblement aujourd’hui contre le projet de loi de sécurité globale qui sera discuté à l’Assemblée Nationale.
    Tenez vous au courant sur paris-luttes ou ailleurs et venez nombreux, nombreuses, notamment devant l’Assemblée à 18h.

  • Validation de la loi sécurité en commission

    Sans surprise, la proposition de loi a été adoptée en commission des lois à l’assemblée nationale, première étape avant sa présentation devant l’ensemble des député·e·s à partir du 17 novembre.

Le porteur de cette scandaleuse initiative se nomme Jean-Michel Fauvergue. Bien qu’on puisse en douter, vu le contenu de cette proposition de loi, il n’est pas au RN mais bien à LREM. Attardons-nous une seconde sur le bonhomme.
Ancien commissaire à la retraite, il a fait une bonne partie de sa carrière hors de la métropole. Chef du GIPN à Nouméa en Kanaky (Nouvelle-Calédonie), puis Directeur départemental de la sécurité publique en Guyane, nommé au Mali et au Gabon aux ambassades de France (chargé de la sécurité) il revient en France en 2007 pour traquer les sans-papiers en intégrant la Police aux Frontières.
Il finit par diriger le RAID à partir de 2013. À ce titre il supervise l’assaut de l’appartement de Saint-Denis où s’étaient cachés des terroristes de l’attaque du Bataclan, avec un succès très mitigé. Les équipes du RAID ont tiré 1 576 cartouches (certaines sources parlent de plus de 5000 cartouches) contre trois terroristes qui n’avaient qu’un revolver, des grenades et une ceinture explosive. En réalité, le Raid s’est tiré dessus pendant plusieurs heures.
Mais ce n’est pas vraiment ce que tente de raconter Jean-Michel Fauvergue dans plusieurs entretiens [1] où il évoque la présence de plusieurs kalachnikovs, et d’un tir nourri. De là à penser que Jean-Michel Fauvergue est un mytho...
Après cela il soutient Macron dès le début, et parvient à se faire élire député en 2017 sous les couleurs de LREM. Autant dire que le porte-serviette de Darmanin est tout pro-flic et n’y connaît rien en maintien de l’ordre dans le cadre de manifestations.

La proposition de loi est aussi portée par Alice Thourot, Christophe Castaner (tiens, tiens...), Olivier Becht, Yaël Braun‑Pivet, Pacôme Rupin.

Maintenant que les présentations sont faites, passons à l’examen de ce projet de loi liberticide.

Un gouvernement à la pointe de l’innovation

Comme écrit dans la présentation du projet de loi, il faut « savoir être inventif et innovant afin de renforcer le continuum de sécurité ». Les articles suivants sont donc startup nation à pleins potards ! Ils concernent l’usage des caméras et drones par la police.

Il faut « savoir être inventif et innovant afin de renforcer le continuum de sécurité »

« Lorsque la sécurité des agents de la police nationale ou des militaires de la gendarmerie nationale ou la sécurité des biens et des personnes est menacée, les images captées et enregistrées au moyen de caméras individuelles peuvent être transmises en temps réel au poste de commandement du service concerné » (article 21)

On imagine ce que cela peut donner couplé à un logiciel de reconnaissance faciale... Ou encore ce que deviendront les images si les actions des policiers sont brutales et disproportionnées ? N’aura-t-on pas la tentation de « perdre » ces images ou tout simplement de les effacer ?

L’article 22 traite des drones de vidéo-surveillance. Il est écrit que les intérieurs des appartements ne sauraient être filmés. Par quelle méthode technique ? Un filtre automatique ne sera-t-il pas facilement rétroactif ?

Les images pourront, là aussi, être envoyées au PC de commandement, ce qui pose les mêmes questions de reconnaissance faciale de masse.

Les manifestant·e·s devraient être averti·e·s de l’usage des drones

« sauf lorsque les circonstances l’interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis. » (Article 22)

Autant dire que c’est comme les sommations avant les gazages, on ne risque pas de les entendre souvent.

Hors procédure judiciaire, les images sont conservées au moins 30 jours. Les drones pourront être déployés pour les manifestations mais aussi pour « Le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves » (Article 22).

En gros les drones pourront te prendre en chasse dans la ville pour voir où tu habites.
On aura intérêt, pour semer les drones, de passer au café, par un sous-sol, ou un métro avant de rentrer chez soi si on a été un peu trop déter en manif’.
Qu’en est-il pour les simples délits, hors manif, constatés par drone ? Cet article de loi, par sa formulation vague, ne présage-t-il pas d’une surveillance généralisée des villes par des drones ?

L’article 24 fait bien flipper quant à ses potentielles répercussions dans le droit d’informer ou de documenter les violences policières. En effet,

« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification [2] d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. »

Ne doutons pas que l’appréciation du fait de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’un policier sera pour le moins très large, empêchant par là même la diffusion d’images gênantes pour la police par des journalistes indépendants ou un simple quidam.

Un renforcement de la police municipale et des entreprises de sécurité privée

Deux volets de la proposition de loi concernent la police municipale et les agents de sécurité privée. L’objectif assumé est d’assurer une meilleure coordination des forces de sécurité, et plus spécifiquement, pour les entreprises de sécurité privée, le prétexte donné est de préparer la Coupe du Monde de rugby de 2023 et les JO de Paris de 2024. Ou comment l’agenda des événements sportifs lucratifs dicte en partie la mise au pas sécuritaire du pays.

Concernant les polices municipales, le but est d’étendre leur pouvoir en étendant leurs prérogatives (article 1).
Les policiers municipaux pourront donc faire preuve de la même inventivité que la police nationale en matière de contrôle social. On sait que cette disposition touchera en premier lieu les quartiers populaires et les personnes racisées. Au passage, le projet de loi promet d’autoriser la création d’une police municipale à Paris comme réclamé par Anne Hidalgo (article 4).

Cette loi permettrait au passage d’accroître les parts de marché de la sécurité privée.

Pour ce qui est des entreprises de sécurité privée, un paquet d’articles concerne l’encadrement des entreprises de sécurité privée et de leurs agents (entre autres les articles 7 à 11 et l’article 17).
Qu’on ne s’y trompe pas : si les agents de sécurité privée sont plus contrôlés et encadrées, c’est le premier pas pour légitimer ces entreprises et pour sous-traiter de manière croissante la « sécurité » à des milices privées. Gageons que cette loi permettrait au passage d’accroître les parts de marché de la sécurité privée.

Cette dynamique de sous-traitance à la sécurité privée n’est pas nouvelle. Parmi d’autres exemples, rappelons qu’en 2018, le préfet de l’Oise avait autorisé à certains chasseurs de relever des infractions :

Une disposition notable est le durcissement des peines prononcées à l’encontre d’une personne qui s’en serait pris à un agent de sécurité (article 12), et, de même, le durcissement des peines contre les agents de sécurité qui commettraient des infractions. Outre qu’un durcissement de peine quelconque contribue à augmenter l’enfermement - et en priorité l’enfermement des personnes pauvres et racisées -, on sait quelle parole sera privilégiée en cas de litige avec un agent de sécurité privée...

La cerise sur le gâteau

Le port d’arme des policiers et gendarmes hors service est encore étendu (article 25), et ils pourront désormais se rendre dans des établissements accueillant du public : cinémas, théâtres, parcs d’attractions (enfin, sûrement le Puy-du-Fou, vu leurs idées).

Les gouvernements successifs ont une obsession particulière avec les armes des flics. Rappelons qu’en 2017, la loi de Collomb sur la légitime défense facilitait l’usage des armes par les flics.
Résultat, le nombre de morts par an par la police a doublé, les morts étant le plus souvent des personnes racisées et pauvres.

La mission Sentinelle n’est pas en reste avec cette loi, qui étend les cas où ces soldats peuvent utiliser leur arme (article 26). Notamment contre les véhicules en fuite.

Régulièrement de terribles images de la police assaillie par des tirs de feux d’artifices (mortiers) sont relayées et discutées sur les plateaux télé.
Allez, on ne résiste pas au plaisir de revoir un des derniers événements en date à Champigny :

Darmanin se devait de réagir, et voilà donc que le projet prévoit de pénaliser la détention de feux d’artifices (article 30). Cela inclura également les fumigènes. Peine encourue : 6 mois de placard et 7500€ d’amende.

Détention de feux d’artifices et de fumigènes : 6 mois de placard et 7500€ d’amende.

Une autre disposition bien autoritaire : la limitation drastique des remises de peine pour les personnes condamnées pour infraction contre des personnes dépositaires de l’autorité publique (article 23).
Histoire d’être sûr que les gens restent au placard.

Pour finir l’article 33 nous rappelle que l’État devra créer une taxe supplémentaire pour payer la facture de cette surenchère autoritaire.
Ben oui : en plus, c’est nous qui payons notre propre répression.

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