Dans les milieux militants de la gauche sociale, l’état d’urgence a été largement contestée dès la promulgation de son décret, notamment par une première manifestation en faveur des migrants qui s’est tenue le 22 novembre dernier, malgré son interdiction.
Il y a eu depuis de multiples occasions de réaffirmer l’opposition à l’état d’urgence et aux lois d’exceptions, des manifestations dénonçant la mascarade de la Cop 21 à celles qui appelaient à intensifier le soutien aux migrants dans un contexte sécuritaire encore accru. Une certaine incompréhension s’est également manifestée dans une partie des rangs de la gauche face à l’abstention des députés du Front de Gauche lors du vote sur l’état d’urgence.
Il est normal et souhaitable qu’il en soit ainsi. Cependant, la contestation ne doit pas s’arrêter à la dernière couche sécuritaire d’un appareil qui s’est développé ces dernières années comme un monstre jamais rassasié. On ne doit pas oublier, par exemple, les dernières lois antiterroristes de novembre 2014, votées un an jour pour jour avant les attentats du 13 novembre 2015, ce qui tend à démontrer leur dramatique inefficacité.
Ce sont ces lois qui risquent, entre autres, d’envoyer aujourd’hui un jeune hérouvillais de 18 ans, Yassine, deux années en prison, pour apologie du terrorisme et menaces de mort. Ce jeune homme est écroué depuis le 19 novembre dernier et attend son jugement en appel. En première instance, le tribunal a suivi la requête du procureur : trois ans de prison dont deux ferme. Ce jeune homme a publié des posts sur Twitter faisant l’apologie des attentats perpétrés par l’EI, et il a menacé de mort l’imam de Drancy.
Pas très malin, voire carrément abject. Mais en temps « normal », des circonstances atténuantes (père absent, mère malade, activité sur les réseaux sociaux compensant une personnalité fragile…) auraient sans doute tempéré ce jugement, et rendu la peine plus proportionnée. Mais l’appareil répressif existe, et il faut bien s’en servir, pour montrer l’exemple, comme l’a rappelé Mme Taubira dans une circulaire aux procureurs de la République du 12 janvier 2015, les enjoignant à « faire preuve d’une extrême réactivité dans la conduite de l’action publique envers les auteurs » d’apologie du terrorisme, de propos racistes ou antisémites.
Nous sommes donc bien entrés dans une ère de disproportion et d’exception permanentes, car ces lois de 2014 sont inscrites pour durer. Elles ne sont qu’une couche de plus des 22 lois ou aménagements spécifiques décidés depuis 1986, censés mieux nous protéger du terrorisme.
Cet arsenal législatif est l’une des faces de notre société « terrorigène ». Depuis 2001 et le « Nous sommes tous américains » de M. Colombani en tribune du Monde, c’est la même analyse faussée du terrorisme qui prévaut en occident : un ennemi extérieur, un barbare à l’idéologie totalitaire et meurtrière – bref, un Mal absolu - qui viendrait petit à petit se confondre avec le même, le frère, le semblable, pour devenir un ennemi intérieur. En cela, c’est une analyse éthique du terrorisme qui prévaut la plupart du temps sur l’analyse politique et géopolitique, rendant l’objet parfaitement obscur, et facilitant ainsi sa récupération sécuritaire.
Car c’est bien là que réside la double peine du terrorisme, cette accumulation, cette entassement extraordinaire de lois répressives que les actes terroristes entrainent à coup sûr, la propagande de guerre, extérieure et intérieure ne permettant de proposer aucune autres solutions (sociales, diplomatiques…).
Alors, jusqu’où ira l’escalade ? Jusqu’à enfermer un gamin durant deux années en prison pour avoir écrit des conneries sur Twitter ? Et pourquoi pas l’envoyer directement en Syrie, en lui enlevant sa nationalité, pendant qu’on y est, ce qui sera encore le plus sûr moyen d’en faire un terroriste patenté…
Cette manière de traiter le problème qui ne se souci d’aucune solution humaine, politique, diplomatique n’est elle pas finalement une autre forme d’apologie du terrorisme ? Que va devenir ce jeune en prison ? Qui va-t-il y rencontrer ? Cette décision de justice n’est-elle pas de nature à nourrir sa haine et celle de ses pairs ? Quelle sera sa vie en sortant, comment s’insérera-t-il dans la société ?
La loi du 13 novembre 2014 a sorti le délit d’apologie du terrorisme de la loi sur la presse de 1881, pourtant déjà revue une dizaine de fois (on peut voir l’historique de son article 24 sur le site de Legifrance)
Les délits de presse de provocation à la commission d’actes terroristes et d’apologie du terrorisme sont donc désormais intégrés au code pénal : l’article 421-2-5 du code pénal prévoit aussi de nouvelles sanctions plus répressives lorsque les propos sont tenus sur internet :
« Le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne. (...) ».
Va pour sept ans, en attendant dix pour la prochaine loi… Le jeune Yassine ne s’en tire finalement pas si mal… Mais que fait donc la justice, malgré les exhortations de Mme Taubira ?
D’autres exemples :
« Un autre père de famille a été condamné à 18 mois dont 6 avec sursis-. Un mois après les attentats, le 16 décembre dernier, il avait pris la fuite devant les gendarmes dans le centre-ville de Tonneins, avant de finir sa course en voiture dans un muret. Lui aussi en état d’ébriété, il n’a pas souhaité se soumettre au contrôle d’alcoolémie, lâchant des insultes aux gendarmes. « C’est une grosse bêtise », dit-il en parlant de ses propos tenus ce jour-là. « Je suis le nouveau Mohammed Merah. Je vais faire une attaque suicide, je vais tuer plein de Français (il l’est, N.D.L.R.), plein de Schmidts et de juifs. » À la barre, pour s’expliquer devant ses propres filles mineures que le président du tribunal finit par sortir de la salle, il fait marche arrière. « Je ne parle jamais comme ça. J’ai une famille. » Les deux auteurs de ces propos récents ont été placés sous mandat de dépôt. Ils dorment en prison depuis hier soir. »
Ou encore cette jeune femme de 19 ans qui a été condamnée à 6 mois de prison ferme :
« Le 19 novembre dernier, soit six jours après les attentats de Paris qui ont fait 130 morts, une jeune femme de 19 ans avait été interpellée au centre commercial de l’Agora, à Evry, après avoir commis un vol dans l’une des enseignes de la galerie marchande.
Interceptée par un vigile, elle a été prise d’une colère folle qui a obligé la police à intervenir. Lors de son transfert au commissariat, elle avait fait l’apologie du terrorisme en criant que « ce qui était arrivé était bien fait » et qu’elle ne respectait « ni les policiers, ni les juges ». A titre de peine complémentaire, elle a été condamnée à cinq ans d’interdiction du territoire français. »
Toute cette folle escalade doit cesser. Liberté pour Yassine, comme une main tendue, un symbole de la fraternité donnée à ceux qui s’égarent.