Je découvre l’appel à une nouvelle manif en soutien aux migrants il y a quelques jours sur Paris Luttes Info. Depuis juin dernier et l’expulsion du campement de La Chapelle, les migrants sont en lutte et des manifs sont régulièrement organisées.
Sous couvert de lutte contre le terrorisme, l’état d’urgence est déclaré le soir même des attentats et toute manifestation interdite. Celle-ci bien sûr n’échappe pas à la règle et les autorités décident de l’interdire. Pour autant, elle n’est pas annulée et dans une certaine confusion, même quelques organisations se joignent à l’appel. Cette manifestation est là pour réaffirmer notre solidarité aux migrant-e-s mais participe aussi de la réponse aux attentats qui ont ensanglanté Paris et de la mise en place de l’état d’urgence.
Le décor est planté. Je me rends à ce qui, pour moi et pour beaucoup d’autres, est la première manifestation depuis la mise en place de l’état d’urgence. Après une semaine de déclarations sécuritaires et guerrières étalées dans tous les journaux, cette manif prend une connotation particulière et il m’est difficile de dire à quoi elle ressemblera.
J’arrive place de la Bastille du côté de la rue Saint-Antoine et voyant que la circulation n’est pas coupée, je pense dans un premier temps que la manif est déjà partie voir même déjà dispersée. Un coup de fil plus tard, je rejoins quelques centaines de personnes devant les marches de l’opéra. Force est de constater qu’on est peu nombreux-ses.
Il est 15h15, une banderole « reclaim the street » fait face à un cordon de gardes mobiles (GM) en nombre et visiblement prêts à réagir rapidement. A quelques centaines et au vue de la présence policière, on se demande si cette manif va rester à l’état de rassemblement ou réussir à décoller. En même temps, un Bastille / République, c’est pas le grand soir. État d’urgence ou pas, il doit bien y avoir moyen de tenir une manifestation sur un parcours déjà mille fois emprunté !
A 15h30, « De l’air, de l’air, ouvrez les frontières ! », les slogans fusent et le rassemblement commence à réunir environ 1000 personnes. Une partie des GM postés aux abords se sont repliés et a priori les flics ne bouclent pas la place. Slogans, crécelles et banderoles se mettent en branle. Les manifestant-e-s commencent à occuper la place et se dirigent vers le boulevard Richard Lenoir.
Les flics sur le qui-vive réagissent au quart de tour et une vingtaine d’entre eux nous emboitent le pas, remontent le cortège, et tentent de nous contenir derrière une rangée de bouclier. Secondes de flottements. Le nombre et la détermination pour nous, on pousse, on contourne, on court et on fait sauter ce premier barrage de flics penauds de se retrouver isolés au milieu des manifestant-e-s. L’armada de journalistes fait que bien malgré eux, une confusion temporaire chez les flics a aussi créée une ouverture que l’on n’a pas manquée.
« Solidarité avec les réfugié-e-s ! » Il en fallait pas plus pour nous réchauffer et les slogans se font plus forts. Le rythme s’accélère pour rejoindre le boulevard Beaumarchais, parcours prévu de la manifestation, avant que la seconde vague de flics n’y soit.
Quelques centaines de mètres plus loin, à nouveau une trentaine de GM réussit à nous couper la route et nous propose leurs boucliers et tonfas. Pour autant, au cri « d’état d’urgence, état policier, vous ne nous empêcherez pas de manifester ! » le millier de manifestant-e-s remonte le boulevard et contourne le dispositif déjà bien occupé par la banderole de tête.
Alors qu’un premier groupe ayant passé la ligne de flic rebrousse chemin pour aider le reste de la manif à faire de même, les GM décident de gazer et matraquer tout azimut celles et ceux qui tentent de passer. Dans leur empressement à réprimer, leurs gazes finiront surtout dans les yeux de flics qui piquaient déjà de se voir débordés.
Au bout de quelques instants, ils ont l’ordre de « laissez passer, on les aura plus tard », ce qui n’empêche pas certains flics zélés et quasi isolés au milieu des manifestant-e-s de taper dans le tas la haine au visage. Frustration d’une semaine de faction dans les rues de Paris ou humiliation de s’être fait déborder par des manifestant-e-s somme toute calmes mais simplement déterminé-e-s à manifester ? Finalement une pratique banale du « maintien de l’ordre ».
À partir de là, la marche s’accélère au rythme des cordons de gendarmeries qui tentent de remonter la manifestation par les côtés dans le but assez évident de nous « nasser », recette éprouvée des flics (comprendre encercler des manifestant-e-s, gazer et taper autant que nécessaire pour pouvoir tranquillement contrôler, embarquer, ou simplement relâcher au bout de plusieurs heures d’usures et d’humiliations). Mais ce ne sera pas le scénario d’aujourd’hui.
Une première fois, puis une deuxième et une troisième, les flics tentent de nous couper la route et les renforts sont de plus en plus nombreux. A chaque fois, la tête du cortège réussit à passer, le plus souvent au pas de course. La manifestation et les slogans commencent à s’étaler sur plusieurs centaines de mètres, mobilisant tout autant les flics qui ont un peu de mal à savoir qui ou quoi arrêter.
Autour de 16h20, on arrive finalement place de la République. La course nous ayant dispersée, j’arrive avec un petit groupe vite absorbé dans une foule d’un autre genre qui occupe déjà la place. Ce sont les parisien-ne-s venues rendre hommage aux morts des attentats.
Sans transition, je passe alors d’une ambiance de rage et de répression à celle feutrée et silencieuse du recueillement. Les bougies et les fleurs cernent la statue de la République, des personnes ont les larmes aux yeux, d’autres proposent des « câlins gratuits », les régies télé occupent tout un flan de la place . Un passant me demande « Où est le Bataclan ? » et j’indique vaguement la rue par laquelle je viens d’arriver.
Un peu éberlué, je retrouve les manifestant-e-s massé-e-s sur un côté de la place. La course s’est arrêtée. Derrière les banderoles, on fait face aux cordons de gardes mobiles qui se font également de moins en moins nombreux. On reprend nos souffles et on vérifie que tout le monde va bien. Il n’y a a priori pas eu d’arrestation. La manif se dissout petit à petit.
En définitive, nous avons pu manifester aujourd’hui ; et ce malgré l’état d’urgence. Malgré également la détermination des flics et du gouvernement à profiter de cet état d’exception pour museler toute contestation et empêcher par la force si besoin, toute manifestation.
Je serais à la prochaine. Contre l’état d’urgence et contre les frontières. Pour soutenir les migrant-e-s et contre toutes les formes d’oppression.