Cette brochure est un recueil de textes, entretiens,... publiés sur divers sites militants en France.
La confection de cette brochure a pour but d’approfondir la critique de la police et la justice pénale en prenant exemple sur ce qui se passe actuellement aux États-Unis.
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Sommaire
Défendre la forêt, abolir la police
Texte paru sur Lundi Matin le 23 août 2022
Atlanta, les habitants s’organisent contre la destruction d’une forêt et la construction d’un centre d’entraînement de la police. [Entretien]
Depuis avril 2021, la forêt d’Atlanta est devenue le point de rencontre symbolique et pratique de deux champs de lutte habituellement distincts : l’abolition de la police et la défense de la terre. En effet, le gouvernement y a pour projet de détruire une forêt afin de construire un gigantesque complexe d’entraînement pour la police ainsi qu’un plateau d’enregistrement pour l’industrie cinématographique. La police, le spectacle, le béton et les pelleteuses.
Évidemment, la résistance s’organise et s’annonce féroce. La reporter Greta Kaczynski est allée interroger un·e militant·e active dans cette lutte qui s’inscrit dans le double sillage de l’insurrection George Floyd et des luttes écologiques radicales : occupation de la forêt, harcèlement d’élus et sabotages des infrastructures des entreprises complices au menu.
Bonjour, peux-tu te présenter ?
Je suis un·e anarchiste originaire de l’île de la Tortue, impliqué·e dans le mouvement de défense de la forêt de Weelaunee, et je bénéfice d’une expérience internationale assez étendue. C’est pourquoi l’on m’a demandé d’être votre interlocuteur·ice pour cette interview. Je ne parle qu’en mon nom, aucune organisation ou individu ne pouvant représenter ce mouvement diversifié et décentralisé qu’est Defend the Atlanta Forest. Gardez cela à l’esprit pour le reste de cette interview.
En quoi consiste le mouvement Defend the Atlanta Forest (DTF) ? Pourquoi défendez-vous cette la forêt de Weelaunee, contre quoi et contre qui ?
En tant que mouvement, Defend the Atlanta Forest (DTF) est un ensemble décentralisé et diversifié de groupes et d’individus qui ont pour objectif d’empêcher deux projets menaçant la forêt de South River/Weelaunee à Atlanta : - la construction du complexe d’entraînement Cop City, - et la construction du Soundstage Complex des Blackhall Studios. Au-delà de l’importance locale et écologique de cette forêt urbaine unique, nous luttons également contre les avancées dystopiques en matière de militarisation de la police et de destruction de l’environnement. Notre mouvement recueille l’héritage militant de la rébellion George Floyd à Atlanta ainsi que celui de la tradition séculaire de défense des forêts et des terres sur notre continent.
Pour emprunter une expression zadiste, nos ennemis sont Cop City « et son monde », mais surtout, dans les circonstances présentes : l’Atlanta Police Foundation (APF) et les Blackhall Studios, les diverses forces de police qui les servent (Atlanta Police Department, Dekalb Police, etc.), ainsi que leurs partisan·es, leurs soutiens financiers et leurs sous-traitants : Brassfield & Gorrie, Atlas Consultants, Long Engineering, et quelques autres, que nous ciblerons tous sans relâche jusqu’à ce qu’ils s’engagent publiquement à abandonner leurs plans de destruction.
Quels sont vos objectifs, et que considéreriez-vous comme une victoire ?
Pour l’instant, nous nous concentrons sur l’arrêt de ces projets et la défense de la forêt. Une fois que nous aurons définitivement atteint cet objectif, je pense que les différents groupes et individus en lutte auront une idée et une vision différentes de la victoire ainsi que des projections différentes sur l’avenir de cette terre : nombreux sont celles et ceux qui soutiennent sa restitution aux habitant·es d’origine, les Muscogee (Creek) ; d’autres défendent simplement son maintien en tant que forêt publique. À cet égard, certains d’entre nous cherchent bien sûr à tirer les leçons de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et espèrent apprendre de ses succès et de ses échecs.
Qui est impliqué dans ce mouvement ? Êtes-vous lié·es à des groupes comme Extinction Rebellion ou Youth for climate ?
Nous ne sommes pas lié·es à ces groupes, bien que certains d’entre eux nous aient soutenus sur les réseaux sociaux. Le mouvement se compose surtout d’individus et de groupes locaux d’Atlanta, mais aussi de nombreuses personnes non affiliées venant de tout le continent, qui sont inspirées par notre lutte.
Quand le mouvement Defend the Atlanta Forest a-t-il commencé, et que s’est-il passé depuis ? Peux-tu nous faire une brève chronologie des événements ? Y a-t-il eu des tentatives d’évacuation ?
Le mouvement a commencé en avril-mai 2021, lorsque des militants locaux ont découvert les plans secrets de construction de Cop City. La première semaine d’action a eu lieu en juin. Nous avons maintenu une présence permanente dans la forêt depuis l’automne 2021, et survécu à deux tentatives d’expulsion. Simultanément et indépendamment, des personnes anonymes ont lancé une campagne ciblant les diverses entreprises et personnes impliquées dans la destruction de la forêt. Elles rapportent leurs sabotages, leurs manifestations et leurs autres activités sur ce site : https://scenes.noblogs.org/ .
À cet égard, l’événement le plus marquant a sans doute été le retrait de l’entreprise de construction Reeves Young (qui devait se charger de Cop City) le 18 avril 2022, après une série de sabotages féroces, de manifestations et la création du site web stopreevesyoung.com/ contenant une liste de noms et les adresses personnelles de leurs dirigeants et affiliés. Il y a eu trois semaines d’actions au total, la quatrième début le 23 juillet 2022.
Chronologie du mouvement :
- Printemps-été 2021 : La ville d’Atlanta, en partenariat avec Blackhall Studios, approuve l’échange de terrains publics du comté de Dekalb au Intrenchment Creek Park contre une parcelle de terrain appartenant actuellement au studio de cinéma.
- Avril-mai 2021 : Des activistes et des écologistes locaux découvrent un plan de la Fondation de la police d’Atlanta visant à transformer le terrain connu sous le nom de Old Atlanta Prison Farm, à l’angle de Key Road et de Fayetteville Road, en un vaste complexe d’entraînement de la police.
- 15 mai 2021 : Plus de 200 personnes se réunissent au parc Intrenchment Creek pour une séance d’information sur les propositions de développement. 17 mai 2021 : Selon une déclaration anonyme sur Abolition Media Worldwide, sept machines laissées sans surveillance sur la parcelle de terrain appartenant à Blackhall - principalement des tracteurs et des excavateurs - sont vandalisées.
- Juin 2021 : Des avis sont apposés dans la forêt pour informer les passants que les arbres de la zone ont été ’cloués’, ce qui a pour conséquence que leur coupe pourrait endommager les tronçonneuses et éventuellement blesser ceux qui les utilisent.
- Le 10 juin 2021 : Trois autres excavatrices sont brûlées sur la parcelle de terrain appartenant à Blackhall Studios. [...]
- Du 23 au 26 juin 2021 : Première semaine d’action attirant des centaines de personnes dans le mouvement.
- Été 2021 : La coalition Stop Cop City et d’autres groupes de gauche rejoignent le mouvement. Les organisations et réseaux militants de base organisent leurs propres manifestations, réunions et créent des pages sur les réseaux sociaux. [...]
- Du 10 au 14 novembre 2021 : Un large éventail d’événements culturels, de soirées d’information, de feux de joie et de réunions ont lieu pendant une deuxième semaine d’action. Celle-ci coïncide avec l’établissement d’un campement dans la forêt, qui a tenu six semaines.
- 12 novembre 2021 : une manifestation a lieu au siège de Reeves Young. Les renseignements recueillis par les militants indiquent que la société Reeves Young Construction a été engagée pour détruire la forêt et construire le projet Cop City. Une trentaine de personnes convergent vers le siège de l’entreprise à Sugar Hill, en Géorgie, brandissant des banderoles et exigeant que l’entreprise rompe son contrat avec la Fondation de la police d’Atlanta.
- 27 novembre 2021 : Un groupe de Muscogee (Creek) retourne sur ses terres ancestrales à l’emplacement actuel du parc Intrenchment Creek dans la forêt de South River, qui, en creek, s’appelle Weelaunee. La délégation Muscogee appelle tout le monde à défendre la terre contre les développements de Cop City et de Blackhall. [...]
- 20 décembre 2021 : selon une déclaration écrite anonymement et republiée sur le site Scenes from the Atlanta Forest, des bannières sont accrochées dans l’arrière-cour de la résidence privée de Dean Reeves, président de Reeves Young. [...]
- 9 janvier 2022 : Survival Resistance, une organisation écologiste locale, entame une campagne contre AT&T, qui finance le développement de Cop City, en organisant des manifestations devant ses bureaux. [...]
- De janvier à mars 2022 : de nombreuses machines de Long Engineering et Reeves Young sont détruites, ainsi que des distributeurs de banques qui financent la Fondation de la police d’Atlanta.
Quelle est la situation actuelle sur place, le lieu est-il occupé en permanence ?
Actuellement, plusieurs groupes occupent en permanence différentes parties de la forêt avec des campements et des cabanes dans les arbres. Je dirais que la situation est assez tendue depuis quelques mois, car l’Atlanta Police Foundation a prévu de commencer les travaux et de construire une clôture pour protéger leur déroulement (bien qu’elle n’ait pas de permis pour le faire). De multiples raids ont déjà eu lieu contre la forêt, à ses abords, et certaines de nos cabanes dans les arbres ont été détruites. Pourtant il est clair, de l’aveu même de nos ennemis, qu’il suffit d’un petit nombre de militant·es pour causer des retards significatifs, même si nous avons toujours besoin de plus de monde.
Où les personnes qui prennent part à votre lutte se situent-elles sur l’échiquier politique ?
De larges pans de la gauche soutiennent la lutte et participent plus largement. Ceux qui défendent la forêt en première ligne restent pour la plupart des anarchistes se situant hors de l’échiquier politique, bien que des personnes d’orientations politiques plus inattendues fassent parfois leur apparition.
Soutenez-vous uniquement l’action non-violente, ou acceptez-vous la diversité des tactiques ?
Il est évident que la non-violence ne domine pas nos modes d’action. Le mouvement s’est engagé dès le départ en faveur d’une diversité des tactiques, refusant de se conformer à la pratique libérale consistant à dénoncer les tactiques les plus combatives. Comme certains l’ont affirmé, le mouvement a démarré en trombe, les radicaux donnant immédiatement le ton avec une campagne de sabotage impliquant la destruction de machinerie lourde et le bris des fenêtres des bureaux de l’APF dans le centre-ville. De ce fait, les tactiques combatives font partie de l’ADN de DTF. De manière quelque peu inhabituelle dans les mouvements dits américains, l’un des défis que nous nous donnons aujourd’hui est en réalité d’entamer volontairement une désescalade, pour pouvoir recourir efficacement à des tactiques non-violentes plus classiques lorsque c’est utile pour notre campagne, plutôt que de se conformer à un modus operandi particulier, soit-il combatif, que nos ennemis seraient en mesure d’anticiper et donc de neutraliser
Quelle relation entretiennent les habitant·es d’Atlanta avec la police depuis le mouvement George Floyd ?
Les personnes qui ont été impliquées dans ce mouvement, notamment les populations noires, sont-elles également impliquées dans la défense de la forêt d’Atlanta ?
L’esprit de George Floyd dynamise évidemment notre mouvement, et des groupes et individus qui ont participé à la rébellion de 2020 à Atlanta sont aussi présents sur place et dans les rues avec nous, ou soutiennent le mouvement par d’autres moyens. Il est important de rappeler qu’Atlanta possède aussi une bourgeoisie diversifiée, et que les populations noires sont représentées à tous ses échelons, des médias dominants au maire d’Atlanta. L’élite qui niait l’existence du soulèvement de George Floyd à Atlanta, à l’occasion duquel [s’était tout de même établie une zone autonome armée sur les ruines du Wendy’s (une chaîne de fast-food) où Rayshard Brooks a été assassiné par la police, nie aujourd’hui la participation des Noirs à notre mouvement et nous traite d’« anarchistes blancs » et d’« agitateurs extérieurs ». Mais toutes celles et ceux qui ont été sur le terrain et dans les rues avec nous savent que c’est faux. Ils essaient de nous appâter pour que nous fassions du profilage racial et que nous nous exposions à des condamnations en divulguant nos identités officielles. Un de nos défis, justement, est d’arriver à conserver notre sécurité tout en montrant notre diversité pour revendiquer une légitimité publique.
Que pensez-vous de la police en général ? Est-elle une institution utile, d’intérêt général ? Ou bien plaidez-vous pour son abolition ?
La police est notre ennemie en tant qu’institution et en tant que concept. La police doit être démantelée à la fois matériellement et dans nos esprits. Personnellement, je n’en ai rien à foutre du réformisme du mouvement Defund the police (définancer la police) et de ceux qui pensent pouvoir abolir la police par le biais des conseils municipaux ou d’autres moyens électoraux. Le soulèvement George Floyd a montré les faiblesses de la police. Elle n’est plus perçue comme une force omnipotente, mais comme une institution hiérarchique limitée, intrinsèquement stupide, dont les faiblesses peuvent être exploitées. Le type d’abolitionnisme mis en acte par ceux qui ont réussi à brûler le Third Precinct à Minneapolis le 28 mai 2020 est le seul abolitionnisme qui m’inspire . Mais dans la campagne contre Cop City en tant que mouvement, on trouvera aussi des personnes prônant l’abolitionnisme Defund ou réformiste, et cette diversité d’opinions et de méthodes fait partie de la force du mouvement.
Y a-t-il d’autres luttes écologiques en cours à Atlanta, et plus généralement aux États-Unis ? Êtes-vous en lien avec elles ?
Certain·es d’entre nous participent, bien sûr, à un vaste réseau de défense écologique qui s’inspire de la tradition de résistance et d’action directe des autochtones. Par exemple : Standing Rock , et plus récemment la défense des forêts en Californie du Nord, la défense des forêts et la résistance contre les pipelines dans le Michigan et le Minnesota, et la résistance contre les pipelines en Virginie.
Fin de l’entretien.
USA : acharnement répressif contre les opposant-es au projet « Cop City » à Atlanta
Paru dans Contre Attaque le 7 juin 2023
Ces derniers jours, de nouvelles arrestations ont eu lieu à l’encontre des activistes qui s’opposent au projet de « Cop City » dans l’état de Géorgie, aux États-unis. Trois personnes ont été perquisitionnées et arrêtées par le SWAT, unité de police militarisée, pour avoir distribué des tracts où apparaissait le nom du policier qui a tué Manuel Terán, militant écologiste, en janvier 2023. Ils « encourent 20 ans d’emprisonnement » déclarent nos confrères de Lundi Matin.
Pour rappel, depuis 2021 une lutte s’est engagée à Atlanta contre le projet d’implantation d’un centre d’entraînement de la police que les opposant-e-s baptisent « Cop City », la ville des flics. Un projet qui détruira une importante partie de la South River Forest, « la plus grande forêt urbaine de la capitale de Georgie ». Ce sont 34 hectares qui devraient être sacrifiés pour y installer ce centre policier gigantesque, un « complexe à 90 millions de dollars », soit 84 millions d’euros, et qui « abritera une mini-ville pour recréer des situations armées » explique Reporterre. Cette ville des flics servira de camp d’entraînement mais aussi de décor de cinéma. Une combinaison entre capitalisme, guerre, répression et Spectacle. Un concentré de ce que notre époque produit de pire.
Le 18 janvier, le jeune activiste environnemental Manuel Terán, surnommé « Tortuguita », a été lâchement assassiné par la police. Le rapport d’autopsie révèle que son corps a été
criblé de 57 balles, selon Reporterre. La police affirmait au moment du meurtre qu’il aurait tiré en premier sur les forces de police. Théorie complètement réfutée par le rapport d’autopsie qui ne relève « aucun résidu de poudre sur les mains ou sur les vêtements de Paez Terán, qui levait les mains lorsqu’il a été tué ». C’est une exécution sommaire, pure et simple.
Les militant-es anti-Cop city font face à une répression d’une extrême violence pour défendre le « poumon vert » d’Atlanta. 1000 membres de la garde nationale ont été mobilisés contre ces opposant-es. Selon Le Monde, plus de 40 personnes – dont un français – sont poursuivies pour des faits de « terrorisme intérieur », sous couvert d’une loi datant de 2006, promulguée par Georges W. Bush. Ils encourent entre 5 et 35 ans de prison explique Radio France. Les ONG de défense des droits s’indignent : « D’après les informations contenues dans les mandats d’arrêt, de nombreux individus accusés de terrorisme intérieur ne sont accusés que d’intrusion ou d’autres délits mineurs », dénonçant ainsi « une tactique d’intimidation ».
Il faut dire que le projet est porté par d’importants lobbies, notamment « Atlanta Police Foundation (APF), un puissant acteur local qui compte à son conseil d’administration plusieurs dirigeants de prestigieuses entreprises : AT&T, UPS, JPMorgan ou encore Delta Air Lines ». Comme bien souvent, pour justifier des violences et des meurtres policiers au service d’intérêts privés, la répression judiciaire et policière s’abat d’autant plus fermement sur celles et ceux qui les dénoncent.
Une répression extrême des militant-es écologistes qui traverse les frontières. Ces derniers jours, en France, une vague d’arrestation a sévit à l’encontre de militant-es écologistes, soupçonné-es d’avoir participé à l’action de désarmement de l’usine de ciment Lafarge. C’est partout dans le monde que les militant-es écologistes et anticapitalistes subissent une répression de plus en plus féroce. En 2021, on dénombrait 1733 personnes assassinées pour avoir lutté contre la déforestation et l’agro-industrie. Ce meurtre policier à Atlanta fait écho bien évidemment à celui de Rémi Fraisse, tué par un gendarme en 2014 alors qu’il militait contre le projet de
barrage à Sivens. Et l’arsenal militaire et antiterroriste contre la lutte d’Atlanté rappelle les mots du gouvernement français qui parle d’éco-terrorisme.
Atlanta (États-Unis) : trois engins de chantier incendiés pour Tortuguita
Paru dans Sans noms le 20 février 2023
Trois engins incendiés en honneur de Tortuguita pourdéfendre la forêt de WeelauneeTraduit de l’anglais de Scenes from the Atlanta Forest,
19 février 2023
Hier, nous avons appris qu’une zone de la forêt de Weelaunee, près de la rivière, à proximité des studios BlackHall, avait été coupée à blanc. Les engins de chantier qu’ils ont utilisés ont été laissés sur place, alors au petit matin, nous sommes venus et avons incendié une pelleteuse, un bulldozer et un chargeur frontal.
Fuck les engins. Fuck les flics. Fuck les libéraux* qui ne se salissent pas les mains et qui essaient de dépeindre notre compagnon.ne tombé.e comme une version blanchie de quelque chose qu’ille (Tortuguita préférait le pronom « it ») n’était PAS. Nous pensons & espérons que Tort a bien tiré sur ce flic, purement et simplement…
Ce matin, à l’aube, un feu sacré a brûlé en son honneur – Nous souhaitons simplement que davantage de véhicules de patrouille de l’État de Georgie puissent se joindre au brasier.
La force d’intervention conjointe pour venger Tortuguita**
NdT :* c’est-à-dire la gôche dans le contexte nord-américain** voir ici sur l’assassinat de Tortuguita par les flics le 18 janvier dernier, et les attaques vengeresses qui continuent depuis
« If you build it, we will burn it »
Paru dans Lundi matin le 14 mars 2023
Un week-end offensif pour la défense de la forêt d’Atlanta
Cette semaine, un correspondant français s’est rendu dans la forêt d’Atlanta, lieu d’une lutte de défense où se conjuguent et se rejoignent une pluralité d’expérimentations politiques, culturelles, et où se déploie depuis bientôt deux ans un combat qui témoigne d’une inventivité sans cesse renouvelée de la part des activistes et groupes de camarades présents sur place. Nous avons publié plusieurs articles sur LundiMatin qui traitent de la situation sur place, et nous étions entretenus avec certains de ces activistes pendant l’hiver. Voici cette fois le récit de deux journées de construction, de courses-poursuites, de fêtes et de sabotage.
Dès samedi, nous étions donc plus de 400 personnes à nous retrouver à Gresham Park pour se diriger joyeusement vers la forêt de Weelaunee et reprendre le territoire qui avait été spolié par les autorités. L’ambiance était excellente, les enfants se lançaient de la peinture en poudre colorée, nous dégustions des burritos méticuleusement préparés, écoutions les discours vitalisants des écologistes radicaux et des prêtre.sse.s queer.
C’est au moment où nous nous sommes élancé.e.s vers la forêt que la foule est réellement apparue déterminée à enterrer Cop City et son monde. Cette déambulation bon enfant se déroulait sur la piste cyclable qui parcourt le parc, nous guidant jusqu’au RC Field où une magnifique scène en bois était construite pour le festival.
Pendant toute l’après-midi nous avons acheminé le matériel essentiel à la bonne vie du camp : des barnums, des jerricans d’eau, des tables et des tentes, de la nourriture... Puis nous avons construit un nouveau living room. Ce fut une belle journée ensoleillée, dépourvue de présence policière, où chacun.e a pu profiter de l’ombre qu’offraient les pins pour se détendre et aménager les lieux de vie. À 18h les musicien.ne.s ont commencé à jouer et nous étions plus de 500 à nous déhancher sur du punk hardcore et de la bonne trap anti-police. La soirée s’est finie tard, rythmée par de folles danses de corps sautant dans tous les sens et de cris collectifs contre Cop City.
Légèrement barbouillé.e.s par la sauterie de la veille, nous étions néanmoins bien frai.che.s le lendemain pour lutter. Un grand soleil nous a réveillés et un grand petit déjeuner était organisé dans la forêt pour remplir les ventres gargouillant de tout.e.s ces créatures en lutte qui ont eu la nuit pour conspirer. Le festival a redémarré dans la journée et nous a offert un beau début d’après-midi pour se détendre et réfléchir à la nouvelle manifestation annoncée pour 17h.
Une foule camouflée s’est donc retrouvée derrière le château gonflable afin de prendre d’assaut le poste de surveillance du projet. Un petit tour du festival avant l’expédition a permis de motiver de nombreuses personnes à rejoindre l’action. Ça chantait fort pendant ces 20 minutes de marche, les défenseur.se.s de la forêt appelant à venger Tortuguita. Les forces de l’ordre se sont positionné.e.s au loin sur la colline, derrière un grillage. Nous nous chargeâmes de désarmer les barrières des travaux en cours lorsque nous montions la pente. Très mal préparé.e.s, les flics n’avaient visiblement aucun dispositif anti-émeute et iels s’enfuirent au premier caillou jeté pour se réfugier derrière le dernier grillage, laissant même leur petite voiture de golf à l’abandon. C’est dans cet enclos abandonné à notre bon vouloir que nous infligeâmes un lourd tribut à toutes les machines de construction présentes ainsi qu’aux lumières de surveillance installées. C’était un joli zbeul, le mouvement s’activait rapidement pour mettre le feu à tout ce qui se trouvait devant nous. Ça lançait des cocktails, des mortiers et des pierres sur les policiers, toujours cachés derrière la route.
Un nouveau contingent de voitures sérigraphiées s’avance vers nous. Une pluie de pierre lui répond, et le fait reculer. Nous sommes nombreux.se.s, avec l’avantage d’être protégés par le grillage de l’enclos. En un éclair, nous laissons derrière nous d’immenses flammes et panaches de fumée, bien heureux d’avoir pu rendre hommage au défunt camarade Tortuguita et gagner du terrain face à Cop City. Si iels construisent, nous brûlerons tout.
La nuit tombe, la musique retentit fort. C’est alors que nous apprenons que les flics investissent le parking principal et sont en train d’arrêter des gens. Plusieurs campeurs se dirigent alors vers le parking et tombent nez à nez avec 3 policiers munis de grosses flashlights. Nous nous empressons de revenir en courant au camp, ils nous poursuivent, et parviennent à mener une percée absolument inattendue. Les 3 flics rentrent dans le camp et font face aux occupant.e.s qui leur crient de dégager. Un des agents de police jure sur Dieu qu’il nous tirera dessus. Personne a l’intention de se laisser faire. On se saisit de n’importe quel projectile à disposition, chassant les trois imbéciles qui nous avaient provoqué par leur visite. S’ensuit un affrontement de 15 minutes sur la piste cyclable avec échanges de gazs lacrymogènes, balles en caoutchouc contre feux d’artifices, banderoles et cailloux en abondance pour les tenir à distance (et en respect).
D’autres forces de police arrivées depuis le champ parviennent à nous entourer, on décide alors de se réfugier parmi les festivaliers. Les policiers cherchent des occupant.e.s dans les bois. Iels arrêtent de nombreuses personnes, certaines simplement allongées sur des tapis près du festival, en les visant au revolver et au taser. Une femme avec son bébé est poursuivie dans la forêt. Situation compliquée : stress, encerclement.
Après cette odieuse chasse à l’homme, le SWAT barricade la sortie de la prairie et plusieurs camions anti-émeute et riotcops arrivent pour se positionner à 50 mètres de la foule. Malgré cette proportion absurde de flics, on reste devant la scène, à crier que nous avons des enfants avec nous (ce qui était bien vrai) et à écouter les groupes de punk et de chill music, qui appellent le public à se dresser calmement face aux flics tout en continuant les festivités. Aucune arrestation à ce moment là, on reste sur le terrain du festival, bien déterminé.e.s à lutter encore et encore.
C’est dans ce contexte de lutte et de répression que la diversité des tactiques révolutionnaires puise toute sa puissance. Ce que la forêt a à nous offrir ici et que nous pouvons tenter de reproduire, c’est un écosystème de tactiques où chaque partie entre en relation avec les autres. De l’organisation de concerts, d’actions semi-clandestines aux cultes religieux, il est sûrement difficile de comprendre en quoi cela importe et comment les liens résonnent entre eux.
Mais c’est justement en faisant participer une pluralité de sphères qu’une force politique majeure peut émerger dans la lutte pour la forêt. Celle-ci, composée de nouveaux partisans prêts à défendre ce territoire, comme sur la ZAD de NDDL ou au camp de Standing Rock auparavant, donne à voir une hétérogénéité locale, singulière et diversifiée. « I will defend this land », un slogan répété depuis deux ans maintenant, a encore pris tout son sens grâce à la solidarité et aux batailles vécues par les 1000 personnes présentes ce week-end. De bons présages s’annoncent pour la forêt de Welaunee.
Fuck Cop City
Paru dans le numéro de septembre 2023 du Ravachol
Entretien avec une camarade de Unity and struggle à propos de la lutte contre le cop city à Atlanta.
Pour le numéro de rentrée on s’attaque a du lourd et vu qu’on est internationaliste on a eu la chance de pouvoir faire un entretien avec Fern militante de Unity & struggle et engagé dans le mouvement a Atlanta contre le Cop city. Le cop city c’est un projet énorme soutenu de la mairie d’Atlanta et le service de police pour construire un centre de formation a la sécurité publique dans la forêt de Welaunee. Ce mouvement contestataire inédit a su rallier en lui le mouvement écolo et le mouvement pour l’abolition de la police. Maintenant place à l’entretien !
Salut, peux-tu te présenter et nous dire comment et quand as-tu rejoint le mouvement Stop cop city ?
Salut, je m’appelle Fern et j’utilise le pronom « elle ». Je vis à Atlanta depuis 8 ans maintenant et je me suis engagée dans des collectifs anarchistes. Avant la pandémie de la covid 19, j’ai milité dans un groupe, A world without police, qui est un groupe qui lutte pour l’abolition de la police. J’ai pris une pause dans le militantisme parce que je ne me sentais pas rassurée avec les risques de la pandémie, je les ai donc retrouvés plus tard, courant 2022, et iels faisaient à ce moment pas mal de boulot avec le mouvement Stop cop city. C’est comme ça que je me suis mise à militer dans le mouvement, en aidant dans les évènements, en faisant de la défense collective et en soutenant des camarades et personnes qui se faisaient arrêter. Ça va faire à peu près 2 ans que je suis dans le mouvement.
Qui est derrière le projet et quel groupe apporte le financement ?
Le financement de ce projet provient d’une part de l’argent des contribuables, donné par la ville d’Atlanta, mais une majeure partie du financement vient d’un groupe nommé The Atlanta police foundation. Pour résumer, c’est une association à but non lucratif. Ils ont une place très importante concernant les votes pour le budget de la police et sont un grand soutien du service de police d’Atlanta. Beaucoup de sociétés et d’entreprises financent cette association, comme Home Depot, Delta Airlines, mais aussi des universités comme celle de Georgia. Beaucoup d’entreprises soutiennent le projet puisqu’ils ont des intérêts communs avec la police, comme celui de protéger la propriété privée qui a pour conséquence de repousser les pauvres en dehors des villes.
Après l’expulsion de la forêt de Weelaunee en décembre (ou des militant.e.s s’étaient installé.e.s), et le meurtre de Tortuguita par la police, que devient le mouvement actuellement ? Y a-t-il de nouveaux endroits où les gens discutent et s’organisent ?
C’est une bonne question et pour être honnête, c’est plutôt compliqué. Depuis janvier le mouvement a pas mal changé. Je ne connaissais pas personnellement Tortuguita mais certain.e.s de mes ami.e.s étaient proches de lui. Après sa mort ça nous a fait un choc mais on n’a pas eu le temps de faire notre deuil, ni de prendre soin de nous car l’État était constamment sur notre dos, à nous surveiller quoi qu’on fasse. Tu sais que si toi tu prends une pause, le projet du Cop City ne va pas en prendre. C’était difficile pour nous de prendre du temps et de prendre soin de nous collectivement, mais on avait besoin de ce temps-là. D’autres personnes du mouvement se sont faites arrêter aussi, il fallait donc les soutenir car iels se sont pris de grosses peines. La mort de Tortuguita et l’expulsion de la forêt étaient une grande perte pour le mouvement. La forêt était un lieu formidable où l’on pouvait tous se rassembler. Par la suite il y a eu des tentatives de revenir occuper la forêt, qui n’ont pas vraiment abouti, même si certaines personnes font des distributions de nourriture et de vêtement et ça n’a pas l’air de déranger les flics. Pendant une semaine d’action il y a eu une espèce de fête/barbecue avec les camarades qui se tenait à l’entrée de la forêt et la police était là pour surveiller. Elle n’est pas intervenue, ce qui laisse penser qu’il n’y aura plus d’autres occupations dorénavant. En mai et juin, lors des deux réunions du conseil d’état, des militant.e.s se sont mis.e.s, de manière complètement inattendue, à occuper temporairement la mairie. Il y avait beaucoup de colère mais aussi beaucoup de joie d’enfin se retrouver après tout ce temps, et l’on a pu revenir, pendant un temps, à ce qu’on avait créé comme forme d’organisation dans la forêt. Lors de la dernière semaine d’action, il y a eu plusieurs occupations de la forêt mais encore une fois c’était temporaire et il y a surtout eu de la distribution de nourriture et des gens avec du matériel de camping. Il y a eu un changement dans la stratégie de lutte, qui n’est plus basée sur une défense des terres mais sur le fait de cibler les entreprises qui sont derrière le projet, de faire pression sur les élu.e.s et de faire des pétitions. Ça ne marche pas énormément on espère donc revenir à une stratégie comme la précédente, plus offensive.
Comment le mouvement est organisé ?
Le mouvement est organisé d’une manière décentralisée. On est constamment en train de réfléchir à nos manières de faire en observant ce qui marche et ce qui ne marche pas. Pendant pas mal de temps c’était assez informel, il n’y avait pas de mouvement ou de lieu où les gens pouvaient discuter entre elleux, mais il y a de ce la un an environs, des camarades de confiance et impliqués dans le mouvement ont décidé de mettre en place un espace de coordination. C’était un espace pour partager des informations, des projets et discuter collectivement. La coordination n’avait pas pour but de prendre des décisions pour le mouvement, mais de regrouper différents groupes politiques ou individu.e.s afin de parler stratégies etc. On fait très attention sur la manière dont on s’organise, parce que depuis le début le mouvement est très ouvert à la pluralité des moyens d’action. Personne ne condamne les stratégies des uns ou des autres et si des gens veulent par soucis de sécurité s’organiser ailleurs iels peuvent tout à fait le faire. Cette coordination et son fonctionnement ont un peu changé au fil du temps en raison d’une visibilité grandissante. Des gens faisant partie d’associations légalistes ou des ONG sont venus dans la coordination et des gens, comme moi, un peu sceptiques vis-à-vis de ces organisations, ont quitté petit à petit la coordination. Il y en a toujours toutes les semaines mais je n’y vais plus. Il y a un nouvel espace d’échange qui vient de se lancer ce mois-ci sous forme d’assemblée populaire. Il y a eu une réunion, à laquelle je n’étais pas, mais des gens de A world without police m’ont rapporté que ça reprenait les mêmes idées que la coordination à ses débuts, mais en un peu plus formel, où chaque personne représente un groupe différents. Il y a aussi un temps dédié aux personnes qui souhaitent partager des informations importantes et demander de l’aide à d’autres groupes et individu.e.s pour organiser des évènements. Il y a eu des problèmes en interne notamment à propos de groupes qui prennent des décisions sans consulter les autres pour faire les semaines d’actions. C’est un point assez difficile dans l’organisation, et il y a eu quelques conflits à propos de ça la semaine dernière. Mais quand un groupe appelle à une semaine d’action, on se doit d’apporter du soutien parce que si ça tourne mal c’est l’entièreté du mouvement qui prend. On essaie d’être le plus à l’écoute des besoins des uns et des autres, et de faire en sorte que tous les groupes puissent faire les actions qu’ils avaient prévues, mais c’est toujours complexe à mettre en place. L’organisation décentralisée peut générer de la frustration et des moments de tensions, on doit donc trouver certains compromis pour que tout le monde soit écouté et pour qu’on puisse prendre soin des uns des autres. Quelques groupes formels sont dans l’organisation comme A world without police ou Unity and struggle, et beaucoup de gens font des allers retours dans des collectifs selon leurs affinités. Jusqu’alors, personne n’a dénoncé qui que ce soit sur l’espace public donc c’est un bon signe pour la suite, et ça montre que les gens sont prêt.e.s à travailler ensemble.
Le mouvement pour l’abolition de la police et le mouvement écolo sont deux groupes bien distincts mais ce mouvement semble être le trait d’union entre les deux. Comment cette rencontre s’est-elle passée ?
C’est un sujet sur lequel on a beaucoup parlé avec Unity and struggle car c’est un mouvement vraiment unique qui traite de ces deux problèmes. Avant que je sois impliquée dans le mouvement, il y avait ce groupe nommé South River Watershed Alliance qui était beaucoup plus penché sur des questions écologiques, d’une manière assez libérale et légaliste, pour protéger la rivière et la forêt de Welaunee. Lorsque des gens plus radicaux ont commencé à s’organiser et notamment à évoquer des concepts d’abolition du système pénal et carcéral, le groupe les regardait d’un mauvais œil en disant que les radicaux allaient faire peur aux gens susceptibles de les rejoindre. En bref, iels avaient peur que des anarchistes utilisent la forêt pour conspirer. Iels étaient donc sceptiques mais quand iels ont vu que les radicaux s’organisaient également autour des questions environnementales ça les a rassurés. Au fur et à mesure qu’iels ont commencé à mieux se connaître, une relation de confiance s’est instaurée. Ce groupe est aujourd’hui encore dans le mouvement, mais plus au centre de l’organisation. C’est une généralisation, mais les gens qui sont dans le mouvement pour des raisons écologiques sont plus du côté libéral politiquement, tandis que ceux qui militent pour l’abolition de la police ont un fonctionnement plus radical, ce qui peut être à l’origine de tensions. Les gens impliqués pour des raisons écologiques ont tendance à dire « Je suis d’accord avec le Cop City mais pas dans la forêt » alors que bien entendu, notre positionnement est que le Cop City ne doit être ni dans la forêt ni ailleurs. Mais je pense finalement que les gens ont conscience que s’ils veulent un mouvement d’ampleur avec un massif soutien populaire, il faut accepter que les gens s’impliquent dans le mouvement pour des raisons différentes des nôtres. Et plutôt que de fermer ses portes, il faut espérer qu’en accueillant ces gens, en discutant avec eux et en leur montrant nos actions, ils changeront d’avis et prendront conscience qu’aucun Cop City n’est souhaitable.
Nous pouvons dire que le mouvement est très local et populaire, mais est-ce que des organisations écologiques ou politiques nationales ont rejoint et soutenu la lutte ?
Le mouvement a clairement été populaire avec une organisation par la base depuis le début, les gens opposés en ville font le travail depuis des années maintenant pour le combattre. Au début, pendant la première année, il n’y avait pas d’assos / ONG impliquées, à part le Community Movement Builders qui est techniquement un organisme à but non lucratif, mais qui opérait beaucoup plus sur le terrain et à la base. Le DSA (Democratic Socialists of America) a été impliqué au début et iels essayaient de combattre le projet par des moyens électoraux et quand cela n’a plus fonctionné, iels ont en quelque sorte abandonné.e.s. Pendant longtemps, c’était donc juste des organisations anarchistes / communistes, et peut-être dans les six derniers mois, surtout après l’assassinat de Tortuguita et après que toutes les accusations de terrorisme intérieur aient commencé à tomber, le mouvement a commencé à avoir plus d’attention nationale et internationale. C’est à ce moment que les organisations à but non lucratif ont commencé à s’impliquer et que le DSA a recommencé à s’impliquer. Le NAACP (national association for the advancement of colored people ), le mouvement Black Lives Matter, et beaucoup de grands groupes sans but lucratif sont derrière la stratégie référendaire. Par exemple, au cours des deux ou trois derniers mois, il y a eu cette nouvelle stratégie qui consiste à essayer d’obtenir un référendum sur le financement afin que les gens puissent voter pour ou contre que la population dépense de l’argent pour financer le Cop City. Je suis très sceptique à l’égard de ce plan et de la stratégie électorale en général. Même si on ne veut pas soutenir cette stratégie, on aide du mieux qu’on peut, mais nous sommes très critiques à ce sujet, avec notre groupe. Certains de mes amis et camarades pensent que c’est une excellente idée, mais je pense que les ONG ont été beaucoup plus impliquées dans cette stratégie parce qu’elle leur est familière. Il y a des pour et des contre dans le mouvement par rapport à l’implication des ONG : d’un côté certains pensent que c’est une bonne manière d’avoir du soutien financier et matériel, mais d’un autre côté cette présence pousse toujours des mouvements à avoir une stratégie moins radicale que celle initialement imaginée, on reste donc sur nos gardes. Jusqu’à présent, les relations sont correctes, ils font leurs choses de leur côté, nous faisons les nôtres de notre côté, et ils nous laissent en quelque sorte seuls, sans essayer de dénoncer nos tactiques ou de créer une fracture dans le mouvement. Je pense que ce mouvement a été fort parce que c’est un mouvement très populaire et je pense que ce qui va le rendre plus fort c’est que personne ne se met des bâtons dans les roues.
Est-ce que la construction du Cop City a déjà commencé ?
Oui, et c’est vraiment horrible et déchirant. On peut voir les chantiers dans la forêt en suivant une longue route que l’on peut parcourir en voiture. J’avais des ami.e.s qui vivaient là-bas, donc j’y passais plus souvent mais maintenant j’évite d’y aller parce que ça me rend triste. On peut voir des endroits où ils ont commencé le chantier et il y a eu des images de drone où l’on pouvait voir la zone complète qu’ils avaient dégagée et coupée. Certaines personnes, lors d’une réunion publique de la ville, ont montré une photo de ce qu’ils avaient coupé et on remarquait qu’iels avaient coupé beaucoup plus que prévu. Je pense que le coulage de béton pour la fondation est censé se dérouler bientôt, il n’a pas encore commencé et je connais des gens qui ont élaboré des stratégies pour perturber cela, mais la construction avance malgré tout. Il y a quelque chose de très intime et émotionnel dans le lien que l’on peut avoir avec la forêt, et voir des arbres être abattus c’est en quelque sorte s’avouer que l’on n’a pas réussi à les protéger, ce qui est dur à avaler. Tout ce que nous pouvons faire, c’est aller de l’avant et nous assurer qu’aucun autre arbre ne sera abattu.
Pour conclure, cela pourrait intéresser nos lecteur.ice.s : comment pouvons-nous soutenir le combat quand nous sommes en France ? Est-il prévu de faire un jour des rencontres internationales à Atlanta ?
C’est une bonne question. À certains égards, je pense que c’est déjà une lutte internationale et même le fait que vous nous ayez contactés et que vous vouliez entendre parler de la lutte, c’est quelque chose d’incroyable pour moi. Je sais qu’il y a eu beaucoup de tentatives pour trouver de la solidarité entre les luttes, comme en Allemagne et en France, il y a beaucoup de gens ici qui sont internationaux qui font l’aller-retour ou qui vivent ici et qui rejoignent le mouvement. Au cours de la dernière semaine d’action, il y a eu un événement qui était essentiellement un appel vidéo et il y avait des gens en France et des gens en Italie qui parlaient des différentes défenses des terres dans lesquelles ils étaient impliqués. On essaie de faire le lien avec ces mouvements et nous. On doit continuer la lutte et penser à la façon dont notre lutte et les autres luttes sont liées, surtout parce que la propagande d’État va toujours utiliser l’argument du récit de l’agitateur extérieur en disant que les habitant.e.s d’Atlanta veulent le Cop City et que ce sont seulement les gens qui viennent d’autres endroits qui veulent vraiment causer des problèmes. Évidemment, ce n’est pas vrai, mais il est également important de se rappeler que si le Cop City devait être construit, elle ne toucherait pas seulement les habitant.e .s d’Atlanta mais elle servirait de modèle pour les services de police partout dans le pays et dans le monde. Nous voyons déjà d’autres villes aux États-Unis qui se sentent influencées et qui commencent à en proposer leur propre version. Nous savons déjà que la police aux États-Unis est formée à l’étranger et qu’ils forment les forces de police dans d’autres pays en leur apprenant leurs techniques. Les gens se battent depuis longtemps contre un programme appelé GILEE (programme d’échange international d’application de la loi en Géorgie) qui facilite les échanges internationaux entre les pays et leur police. Des agents de police d’Atlanta peuvent avoir des liens entre les Forces de défense israéliennes, de sorte que les agents de police vont en Israël et que les agents de police d’Israël viennent à Atlanta pour apprendre essentiellement des tactiques de répression. La police d’Atlanta leur enseigne comment réprimer les communautés noires et la police israélienne leur enseigne ce qu’ils ont appris en réprimant et en assassinant les Palestinien.ne.s. C’est une lutte internationale, alors nous continuons de partager les informations sur ce qui nous semble important. Un point important également c’est que mon organisation (Unity and struggle) est une organisation nationale, nous avons des gens impliqués à Atlanta et dans d’autres villes comme à New York. C’est important d’être en contact avec des gens en dehors du mouvement puisqu’on est tellement à l’intérieur de la lutte qu’il est très difficile pour nous d’avoir une plus grande perspective et de penser aux choses de manière plus abstraite, étant donné qu’on se retrouve régulièrement à avoir un.e ami.e et/ou notre bien-aimé.e ciblés par l’État. J’ai l’impression qu’ici on fait constamment face à l’État qui nous surveille pour chaque fait et geste. Il est donc essentiel d’avoir des gens qui sont plus éloignés de la lutte qui peuvent penser à la stratégie et par exemple à faire le lien entre les choses qui se passent ailleurs. En quelque sorte, tirer des conclusions plus générales sur une stratégie ou sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, ou sur ce que nous pouvons apprendre de ce mouvement. Alors oui, je pense qu’il est important de participer au mouvement et que les gens viennent de partout dans le monde, mais je ne sais pas encore s’il y a des plans pour vous à l’échelle internationale ou une semaine d’action internationale. Cependant, toutes les semaines d’actions depuis le début ont été internationales et les gens comme vos lecteur.ice.s devraient se sentir absolument libres de venir à Atlanta, nous adorerions vous accueillir. Nous devons faire le travail nécessaire pour continuer les combats et organiser l’infrastructure, et les gens qui sont plus loin ont le travail de théoriser ou d’entrer en contact avec des camarades. C’est peut-être une sorte de point de vue marxiste sur les choses mais il y a un temps où l’on doit penser plus concrètement et il y a un temps où l’on doit penser plus abstraitement, et je pense que pour nous à Atlanta tout est très concret, mais il est également important d’avoir ce retrait plus abstrait. Je pense que c’est ce que nos camarades et ami.e.s d’autres endroits peuvent faire pour aider la lutte, pour continuer à aller de l’avant, et nous guider sur les choses que nous pouvons apprendre sur cette expérience.
Fin de l’entretien
Pour soutenir les camarades américain.e.s qui font face a la répression : https://linktr.ee/weelauneearresteefundraisers