On ne peut qu’être étonné des changements d’ambiance au fil des jours. Ce mercredi matin à l’arrivée, peu de monde devant le tribunal et surtout peu de gendarmes ou d’encadrement policier à la porte. On entre facilement, même si l’on est moins nombreux que les jours précédents on est quand même un bon nombre à venir assister à ce troisième jour de procès. Des BACeux de Montreuil sont encore présents, mais en bien moins grand nombre qu’hier. La défense des policiers propose d’entendre le commissaire Satiat. Ils l’ont sans doute fait venir pour prouver que le commissaire de Montreuil de l’époque soutient ses troupes. Curieusement, on a l’impression que le juge n’a même pas entendu leur demande.
Il commence par lire le manuel de formation du Flashball. 3 heures de présentation de l’armes, et l’après-midi tir de dix cartouches. Les interdictions sont précisées, telle que la distance minimale de 7 mètres, et les spécificités sont précisées aussi, au delà de 12 mètres l’arme est dîte imprécise. Le juge précise qu’une formation initiale est prévue, sans remise à niveau par la suite.
C’était surtout pendant les deux premiers jours que les trois policiers étaient inquiétés par les questions du juge. Ce mercredi matin, c’est le moment du passage des experts à la barre, puis du début des témoignages. Avant les experts, et comme point d’entrée dans le côté technique et scientifique des choses, Joachim est invité à prendre la parole sur les conséquences de ces blessures. Il commence par raconter combien cela a changé sa vie, que « c’est une petite mort »,
Au bout de plusieurs moi mon oeil s’est rétracté, l’aspect du visage s’en trouve changé de manière insupportable pour moi et les autres.
Joachim raconte l’ampleur de ses blessures. « Être brisé dans son identité, celle avec laquelle on a un rapport immédiat avec les gens. C’est comme une petite mort, quelque chose en vous ne reviendra plus ». On entame « un long chemin, un long chemin qui va prendre des années, qui passe par une transformation complète de votre vie. J’ai changé de métier, non je n’ai pas changé d’amis, c’est ce qui m’a permis de tenir ». Il est en partie coupé par le juge qui lui demande de s’en tenir aux faits scientifiques, aux opérations médicales, en accord avec la suite de la matinée, le juge affirme vouloir entendre les faits techniques. Joachim raconte alors toutes les opérations qu’il a du subir, sur plusieurs années. « On enlève l’œil et on vous greffe une bille de corail ». « Autant moi, j’avais 35 ans, j’avais les outils, mais quand cela touche des enfants, des adolescents, c’est une cassure qui est là incommensurable ».
On entre ensuite dans la troisième phase du procès, après le conflit entre notre vérité et celles des policiers, les moments de tensions sur leur usage du Flashball comme arme dissuasive, l’écoute de leurs justifications et de leurs falsifications ; les récits fantasmagoriques de nous comme manifestants « courageux » qui après quelques tirs de flashball à la tête fuient en lançant sans discontinuer des dizaines de canettes vides, attendent une trentaine de policiers au tournant, sont « ces individus hostiles » sur qui il est tout naturel que les forces de l‘ordre ouvrent le feu en seine-saint-denis, comme dans toute banale opération de police, voilà qu’au troisième jour c’est la parole scientifique qu’il faut entendre. Celle qui de prime abord se présente comme objective, technique, strictement limitée aux faits et exprimée à la barre par des experts qui se présentent eux-mêmes comme tels et à cet titre comme extérieurs aux faits, au contexte, et surtout non concernés par les enjeux du procès (disent-ils, disent-ils).
Beaucoup des questions du juge vont porter sur l’arme, sur son fonctionnement, et surtout sur ce qui arrive à la bourre. La balle de caoutchouc est dans un godet, et au moment du tir, la poudre explose dans la bourre, et la balle s’en détache ensuite. Toutes les questions du juge vont porter sur la possibilité que la bourre frappe une autre cible, rebondisse, dévie de la trajectoire de la balle et touche quelque chose ou quelqu’un. En gros, toutes ces questions explorent l’argument du tireur Le Gall qui dit que R aurait pu être touché par lui, mais par dommage collatéral, soit sans qu’il l’ait particulièrement visé, ni même surtout qu’il ait voulu tirer sur lui directement. D’autres questions portent aussi sur la distance et l’imprécision de l’arme à 10m, 15m, etc.
Après cette introduction, la première experte convoquée est de la Police Scientifique, et est elle-même commandant de Police. Son discours va être à l’image de son école.
Elle connaît les chiffres. Une cartouche de Flashball pèse 290g pour 44mm de diamètre. Ce n’est pas une arme précise, on compte 60cm de diamètre d’erreur à partir de 12m, et à 30m on a plus de 5m de diamètre d’erreur (la zone visée est au centre du cercle, soit ici 2m50 de rayon pour 5 mètres de diamètre). Elle présente les rapports balistiques pour chacun des blessés. Ses premières considérations sont dures à entendre. Selon elle, d’emblée, on ne peut exclure la bourre, ni que le torse ait été visé.
Elle donne des conclusions, terribles à entendre au départ :
- Pour Igor, la blessure ne correspond pas à un flashball
- Pour R, pas de tirs non plus car il y a une trace de brulure, cela doit être du à un feu d’artifice (cris dans la salle)
- Pour Gabriel, pas sûr que cela soit un flashball, la blessure est plus grande, mais c’est peut-être éventuellement un flashball…
- Pour Eric, même pas la peine de discuter, ce serait tout autre chose.
Elle reprécise que des blesssures pourraient venir de feu d’artifice…que le point visé n’est pas forcément le point touché..qu’en aucun cas une cartouche de flashball ne peut brûler sauf si tirée à moins d’un mètre…
Terrel contre-attaque. Elle rappelle que la police ne transmet aucune donnée sur les blessures dues aux flashballs, sur les différentes histoires. Il semblerait qu’elle n’en donne qu’à ses experts à elle (et encore). Une des premières façons d’attaquer une experte, c’est de présenter une autre expertise. Terrel en avance une autre, utilisée d’ailleurs dans d’autres procès autour de blessures aux flashball, qui contrairement à ce qui a été dit montre qu’une cartouche de flashball peut entrainer des brûlures, ou des abrasions. On entre dans un étrange débat, « sur les faits techniques », sur ce que fait une balle de flashball. L’experte prétend dans un premier temps que si et seulement si le tireur est à quelques centimètres de sa cible, ou à tout au plus un mètre, la personne visée pourrait être légèrement brûlée par la poudre qui prend feu au moment du tir (mais se disperse nécessairement à des distances plus grandes). Pourtant, si la balle de flashball n’arrive pas toute à fait droite sur sa cible, il est facile d’imaginer qu’elle frotte la peau, qu’elle provoque une « abrasion », abrasion constatée dans plusieurs cas et qu’un médecin généraliste peut confondre avec une brûlure. L’experte va donc être mise en doute même si elle va continuer de dire qu’une brûlure est une brûlure et une abrasion une abrasion, elle se trouve obligée d’admettre qu’un tir de flashball peut causer sur les contours de l’hématome provoquée par la balle de caoutchouc une trace de brûlure.
Quand Eric demande si une blessure à la nuque pourrait être handicapante, l’expert ne répond pas, c’est en dehors de ses compétences. Il ne répond pas plus quand elle demande si il arrive qu’un boxeur perde un œil ? (puisque le flashball aurait un effet « coup de poing »).
Le procureur contre-attaque. Si ce n’est pas une balle de flashball qui touche Igor, alors quoi ? Si une blessure fait 1cm de moins qu’une blessure « scientifiquement déterminée » de flashball, vous ne croyez pas qu’on appelle ça un hématome ? Si Eric a eu une entorse, n’est-ce pas compatible avec le flashball ?
L’experte est obligée de revenir sur toutes ses déclarations de départ ! Elle nous parle de test de tirs sur des plaques de polystirène.
« on a quelques cas à étudier, mais pas énormément (…) avant cette affaire là, j’en ai pas eu d’autre » « mon expertise en la matière est assez limitée ».
Là Lienard sort un manteau de son chapeau, apporté par le commissaire Satiat, manteau qui aurait été touché par un tir de mortier ! Hurlements dans la salle en faveur de sa bétise.. Même le procureur se moque de lui. La pièce n’est pas au dossier, personne ne peut y croire, Lienard est fier de sa blague.
Le second expert est pire que la première. On dirait vite un psychopathe enfermé dans un labo qui fait des test précis sur les tirs de flashball mais dans les conditions scientifiques optimales, c’est à dire absolument non naturelles, impossibles, mais qui permettent d’isoler une seule variable.. Qu’est-ce à dire ? Il explique placer l’arme sur un chevalet en métal et la faire tirer toute seule avec un laser pour voir si la cartouche dévie. Le problème, c’est que ces conditions lors d’une intervention de police, elles n’existent tout simplement pas. Son propos qui se veut objectif et scientifique se retourne vite en impossibilité de dire quoi que ce soit dès que l’on sort de l’aspect purement technique et des conditions de test en laboratoire. D’ailleurs, de l’affaire il ne sait rien, il n’a évalué les choses qu’à partir d’une dizaine de documents du dossier, sans photos, sans cartes, rien d’autre que des formulaires. Cet état d’esprit lui permet de commencer par une comparaison vaseuse qui met avant tout l’accent sur la malhonnêteté possible de la victime.
Son exemple ? « vous vous prenez un coup de poing, vous allez aussitôt à l’hopital. On va constater un hématome. Vous vous prenez un tir de flashball, mais n’allez à l’hopital que 6 jours plus tard, vous aurez le même hématome ».. Donc d’après lui, on ne peut jamais être tout à fait sûr de la cause des variables. Ces foutus humains ne permettent jamais vraiment d’isoler une seule variable… « on peut avoir des liaisons mais associés à toute autre chose », « des feux d’artifices, des coups de poings, de pied ». Il n’y aurait qu’avec Monsieur Gatti « qu’on peut monter en hypothèse » et encore… selon lui. Un peu plus tard, quand le juge lui demande si on peut entendre un tir de flashball, il dit que oui et assurément mais dans le silence, quand il n’y a pas de bruits de fond. Sinon, dès qu’il y a des voitures, un cri, du bruit, deux personnes côte à côté n’entendent pas la même chose. Et si ces deux mêmes personnes sont concentrées, alors là elles peuvent livrer des témoignages complètement différents. C’est là tout l’echec de son scientisme, comme isoler les variables est impossible, finalement il ne peut conclure que des choses très floues. Sa perspective n’est de toutes façons pas la vérité, il ne sert qu’à réintroduire du doute au nom de la science. Puisqu’on ne peut jamais être complètement sûr qu’il s’agit d’un tir de flashball, ou que le tireur a visé la tête, alors on ne peut rien en conclure formellement.
Plus il parle, et plus il est ridicule, il reprend en plus la distinction entre brûlure et abrasion, en disant que là le médecin a écrit brûlure... Si on lui demande s’il aurait pu se tromper, n’étant pas médecin légiste, il répond que non c’est écrit brûlure... La salle apprécie à sa juste mesure son expertise… Son seul bienfait c’est en réponse à une question de Joachim d’enfin nous préciser la différence entre « viser » et « désigner ». Désigner ce serait pointer l’arme et tirer. Viser ce serait tirer mais en utilisant l’appareil de visée de l’arme, en collant les yeux sur le viseur. Il ne répond pas par contre à la deuxième question de Joachim, « quand on tire sur quelqu’un, est-ce qu’on voit cette personne sur qui on tire ? ». Il ne peut que dire que comme il ne connaît pas la luminosité, les yeux du tireur, la situation, que « voir c’est multifactoriel », il ne peut rien dire… Il prend même la métaphore du meilleur cuisinier.. Si on lui donne les meilleurs aliments, il fait forcément quelque chose de bon, mais sinon, on peut rien prévoir.
Après leurs deux passages, on s’aperçoit immédiatement qu’en vérité c’est précisément l’imprécision de l’arme qui fait du flashball un atout pour les policiers. Le second expert insiste tellement sur l’imprécision intrinsèque du flashball qu’on comprend combien cela dédouane les flics tireurs de toute responsabilité. Ils peuvent toujours prétendre avoir visé les pieds et n’avoir atteint la tête qu’à cause de l’arme elle-même, alors comment leur en vouloir ? Il est bien plus utile aux flics d’avoir une arme dont on n’a pas à répondre.
Heureusement, les experts ça se termine vite. Joachim prend la parole pour présenter alors la logique des témoins, pour aider à faire comprendre le sens de ces interventions dans leur globalité. La séance est ensuite suspendue avant la reprise avec les témoins.
Ensuite, à la reprise à 13h30, ce premier passage de témoins va être très fort. On aura un grand silence dans le tribunal, beaucoup d’émotion et l’écoute de toutes les autres histoires.
Au départ, Pierre Douillard lance le bal. Il raconte sa blessure, à Nantes en 2007 quand le LBD est en phase d’expérimentation, puis il enchaine sur l’histoire de l’arrivée du flashball. Il insiste sur les propriétés de cette arme là, qui doit faire peur, impressionner, faire du bruit, et qui s’adressent à ceux qui sont indésirables.
Ensuite, Nathalie Torselli, la mère de Quentin Torselli éborgné le 22 février 2014 à Nantes. Elle parle en tant que parent, qui a vu son enfant démoli, qui est passé du désespoir à la rage, « on ne peut pas se taire, on doit dénoncer ces pratiques, droit dans ses bottes, continuellement attaquer ces pratiques ». C’est « une blessure qui ne vous quitte jamais, qui est ravivée à chaque nouveau blessé ». Elle raconte aussi combien il peut être dur de voir son fils victime soudain traité comme quelqu’un de dangereux.
Christian Tidjani vient parler après elle, de l’histoire de son fils mutilé en octobre 2010 devant un lycée de montreuil en seine-saint-denis… « celui qui a l’arme, il veut à la fois devenir juge et bourreau ». « À chaque blessé, il y a un PV, erroné, moi j’appellerais ça un faux ». « C’est à nous de prouver qu’il n’y a pas de légitime défense ». « C’est difficile d’entendre que ce sont des délinquants, d’entendre dire qu’on est des criminels ». « Des échauffourées ont eu lieu, un lycéen a été légèrement blessé » dit la préfecture.
L’histoire de Casti arrive ensuite avec lui à la barre. Il raconte sa blessure et surtout le harcèlement dont il est la cible depuis. Son affaire, comme pour Quentin, a eu un non-lieu. Soi-disant la vidéo a disparu, et trop d’échauffourrées ont eu lieu. Il est pourtant mutilé à 19h20, et les soi-disant affrontements n’ont lieu qu’à 19h40, après qu’il ait été touché justement, mais non, ni la justice ni la police ne veulent rien savoir. Son témoignage est très fort.
Ensuite, c’est Omar Slaouti, sur l’affaire Ali Ziri, qui là encore a eu un non-lieu. Un non lieu ? « un non lieu c’est lorsqu’il est écrit que la force dont a usé la police a été proportionnelle, ce qui signifie mécaniquement que la chose peut se reproduire ». Il y a eu toute une bataille autour de cette histoire. Il la raconte, raconte tout ce qu’elle implique, raconte aussi que c’était un ami de son père, ce monsieur de 69 ans, et que son père, un monsieur calme ne comprend pas « comment son ami de 69 ans, menotté dans le dos, puisse être un danger quelconque pour trois policiers ? ». Il dit comment son père lui a dit avoir l’impression que cela recommencait, que cela reprenait, repartait les événements comme le massacre du métro charonne.
Les flics continuent à fermer les yeux et à se boucher les oreilles.
Amal Bentounsi clot cette première session de témoignage. Elle raconte l’assassinat de son frère, Amin Bentounsi en 2012. « Tirer une balle dans le dos, même en temps de guerre, ça ne se fait pas ». « Qui enquête sur la police ? ». Le procès des policiers a eu lieu l’an dernier, et le parquet a fait appel de leur relaxe.
Jeudi, suite des témoignages à partir de 9h30, puis début des plaidoiries.
Suspension de séance. Reprise demain à 9h30 pour d’autres témoignages : Farid El Yamni frère de Wistam tué par la police...
Mais aussi des militants de Calais, des membres de Defcol qui raconteront la répression du mouvement contre la loi travail...
Des copains qui raconteront le contexte politique du 8 juillet, ce qu’il se passait alors à Montreuil
Le soir même le rassemblement à Montreuil a bien lieu. On est bien 250 à s’y retrouver pour discuter, entendre les témoignages de la journée (dit différemment vu le contexte bien plus sympathique), écouter des histoires de violences policières et de luttes présentes à Montreuil et ailleurs.
Le rassemblement se disperse vers 21heures.
A suivre