Chômage en Algérie : une jeunesse entre protestation et désespoir

Les chômeurs sont en première ligne de la contestation sociale quasi permanente en Algérie. Laissés pour compte dans un système politique particulièrement méprisant beaucoup de jeunes chômeurs rêvent d’Europe. Devant le manque de perspective, certains, surnommés les « Harragas » migrent en brûlant leurs papiers derrière eux. D’autres choisissent de se suicider en s’immolant par le feu.

Les chômeurs sont en première ligne de la contestation sociale quasi permanente en Algérie. Pourtant très riche en pétrole et gaz, ce pays connaît une explosion des exclusions sociales et de la pauvreté. Un pays de paradoxe, ou nonobstant le chômage qui y règne, on importe des ouvriers chinois pour travailler sur divers chantiers, qui devant le manque absolu de perspectives fuient le pays en barque ou vont s’immoler par le feu.

L`Algérie est un pays grand comme cinq fois la France et 72 fois la Belgique.
Avec 70% des Algériens de moins de 30 ans, le gouvernement se compose essentiellement de plus de 60 ans. Un régime de vieux qui règne sur une population à majorité de jeunes. Cette gérontocratie est dirigée par une poignée de généraux âgés et de responsables des services de renseignements « accrochés au pouvoir depuis l’Indépendance et réfractaires à tout changement, au point d’enfoncer le pays dans un état de léthargie et au bord de l’implosion ». [1]

L’actuel président Abdelaziz Bouteflika à 76 ans se représente pour un 4e mandat présidentiel en avril 2014. Pourtant, il sort à peine d’un grave AVC et d’une hospitalisation en France de plus de deux mois en 2013 .
D’ailleurs au vu de ses très rares apparitions publiques et encore plus rares tenues du conseil des ministres, le président semble avoir un peu de mal à se remettre, voir à parler et se bouger !
Il règne pourtant sur un pays aux importantes réserves de changes : 190 milliards de dollars. Ce qui lui permet de se positionner en créancier du système financier international, dont le FMI.
Avec 173 tonnes d’or en 2012, il se classe à la 24e place des pays détenteurs de réserves officielles en or. Il pointe ainsi en 11e position juste derrière l’Allemagne et devant France, l’Italie et le Royaume-Uni.

Cette abondante manne financière ne profite qu’à une petite minorité de nantis. Une nomenklatura issue de l’armée et de l’ancien parti unique, le FLN ainsi que de leurs clientèles respectives.

Le Front de Libération nationale, avait lancé en 1954 la guerre de libération contre l’occupation coloniale française. Il a été le parti unique de 1962 à 1989, année qui ouvre le champ politique algérien aux autres obédiences et partis interdits auparavant. En fait, ce pays n’est sorti de la dictature des militaires ou du parti unique que pour tomber dans une République démocratique de façade.

« Quelque soient les élections dans ce pays c’est toujours les candidats adoubés par les militaires et le fameux cabinets noir – véritable lieu du pouvoir opaque et toujours secret- qui l’emportent. » explique le docteur Boudarène, opposant politique. Aussi pour beaucoup d’Algériens aller voter ne sert plus à rien dans un contexte où les fraudes et les bourrages d’urnes hérités du temps colonial parasitent toujours les élections.

Pour maintenir une relative paix sociale l’État algérien continue à soutenir certains produits de première nécessité mais le reste du coût de la vie peut s’ aligner sur les pays d’Europe. C’est le cas notamment des prix des viandes, du poisson, des fruits et légumes, des vêtements.

« L’Algérien lambda, sans réel pouvoir d’achat, n’a pas accès à ces denrées. C’est ainsi, assure M. Boudarène, qu’un nombre sans cesse grandissant de familles vit en dessous du seuil de pauvreté et que de plus en plus de personnes s’enfoncent dans une « extrême pauvreté ». Vocable utilisé par les Nations Unies pour désigner la misère. »

Pour ceux qui travaillent les salaires sont insignifiants. Le salaire national minimum garanti est de 18 000 DA brut par mois (150 euros), c’est le plus faible des pays du Maghreb. L’inflation galopante appauvrit inexorablement et la classe moyenne laminée à quasi disparue.

La « protesta » sociale

Sur les 38 millions d’habitants, la majorité entre 20 et 35 est en âge de travailler.
Mais des emplois il n’y en a pas en suffisance. Un chômage endémique frappe tant les jeunes sans formation ni instruction que les diplômés de l’enseignement supérieur [2].
Ils sont ainsi des millions de chômeurs algériens à se débrouiller pour vivoter grâce à l’économie informelle : vente de tout et n’importe quoi à la sauvette, gardiens de parking autoproclamé pour quelques pièces.
La délinquance et les bandes organisés d’une rare violence se développent d’une manière jamais connue de par le passé. Quant au taux de chômage officiel de 10 %, d’aucuns pensent qu’on peut allégrement le multiplier par trois.
Le climat social délétère conjugue sans relâche émeutes populaires et répression.
Toutes les régions du pays sont touchées par le mécontentement et les protestations sociales, cela va de la Kabylie traditionnellement aux avant-poste de la contestations politique depuis 1980 à bon nombre de villes du Sud, au riche sous sol en pétrole.

En première ligne de la protesta sociale se positionnent les chômeurs avec leur Coordination Nationale de Défense des Droits des Chômeurs. Le 28 septembre 2013 avait d’ailleurs été décrété, journée de la colère par le CNDDC afin de dénoncer les promesses non tenues par le gouvernement algérien.
Le coordinateur de ce mouvement, Tahar Bélabès collectionne les arrestations, tabassages et citations en justice, tout comme certains militants de la ligue des droits humains tel Yassine Saïd.

Les syndicats inféodés au système politique ne défendent ni les travailleurs licenciés et encore moins les chômeurs poursuivis en justice. Les chômeurs se sont organisés de façon autonomes en dehors des rouages du pouvoir et ils dénoncent
« la grave répression subie par les militants et les activistes du mouvement des chômeurs, menée par les services de sécurité sous forme de persécutions et poursuites constantes »
 [3].

Les Harragas, les brûleurs

Laissés pour compte dans un système politique particulièrement méprisant des populations défavorisées, beaucoup de jeunes chômeurs rêvant d’Europe.Harrag, mot arabe maghrébin veut dire brûler. Les harragas sont les migrants hors des circuits officiels et balisés qui brûlent leurs papiers pour ne pas être renvoyés dans leur pays. S’ils sont pris par les gardes-côtes ou la police souvent ils mentent sur leurs origine. Ils traversent la mer à partir de Mostaganem ou de Annaba.

Depuis quelques années, ils sont des milliers à prendre le risque de mourir en mer dans ces barques qui ne font la fortune que des passeurs et trafiquants d’être humains. Les Harragas brûlent la mer, les frontières, leur passé. Derrière cet exil forcé, se cache la misère et surtout le mépris ressentis par tant de jeunes algériens de la part d’un système et d’une société qui ne leur offrent aucune perspective de travail ni d’évolution dans la vie hormis la fréquentation des mosquées. Pour ces jeunes qui défient l’immense cimetière marin qu’est devenue la mer méditerranée, la Harga est un cri de désespoir, peut être mais surtout un espoir, celui d’exister : Parmi d’autres damnés de la terre, ces jeunes veulent rejoindre les côtes andalouses, Gibraltar, la Sicile, les Canaries, les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, l’ile de Lampedusa ou encore Malte.

Les rêves d’Europe des jeunes qui réussissent la traversée se transforment souvent en cauchemar dès lors qu’ils viennent grossir les rangs des sans papiers et des clandestins.
« Arrivés en Europe, raconte Virginie Lydie [4], quand ils ne sont pas morts en mer, la clandestinité les attend et avec elle, la rue, la prison…
Ce n’était pas comme ça qu’ils voyaient l’Europe, et pourtant leur pire cauchemar est l’expulsion.
Pour l’éviter, ils cachent leur identité. Au départ, la stratégie est payante, mais elle rend tout espoir de régularisation impossible et les plonge dans une précarité extrême. Plus le temps passe, plus leur situation devient intenable, plus le retour leur est impossible. Alors ils restent, et à défaut d’avoir coulé en mer, ils sombrent dans un interminable naufrage qui les mène vers la folie, la mort parfois. »

Virginie Lydie a mené de longues enquêtes sur le terrain. Son livre est ponctué de nombreux témoignages de clandestins, d’expulsés, de psychiatre algérien, psychologue et anthropologue spécialistes de la médiation interculturelle, sociologues, magistrat. Il est préfacé par Kamel Belabed [5], père d’un harraga disparu.
Ils ont été plus d’une centaine de jeunes gens, âgés entre 20 et 35 ans, à avoir essayer de prendre la mer durant l’année 2013 [6].
Certains sont été interceptés au large d’Oran et de Annaba par les garde-côtes algériens et ont été arrêtés.

« La seule réponse qui est aujourd’hui apporté à ce désastre social, déclare le député Boudarène, est la répression. Faut-il rappeler que le pouvoir a fait voter, par l’Assemblée nationale et le Conseil de la nation, une nouvelle loi qui pénalise l’émigration clandestine ? » [7]

En effet, le président de l’Assemblée nationale algérienne justifie cette loi par l’existence « d’organisations de passeurs ». Il dira à la journaliste d’El Watan qui lui a posé la question, que les harragas sont apparus parce que les passeurs offrent leurs services ! On croit rêver !
Le pouvoir algérien minimise la signification de la harga qui prend de plus en plus d’ampleur. Les émeutes comme moyen de revendication sociale se généralisent dans le pays. Elles expriment la colère et le désarroi de populations sans logement, sans travail ou sans gaz de ville dans un pays producteur, un comble !
Les politiques restent aux abonnés absent et seule la police intervient. Cette arrogance c’est ce que les algériens appellent la Hogra, un terme générique pour désigner autant le mépris que ce régime politique.
Un système qui nourrit une mafia politico-financière qui table sur le clientélisme, le népotisme et la corruption grâce à la manne financière.
Pendant que les opportunistes et prédateurs de tous bords s’affairent autour de l’immense mangeoire qu’est devenu ce pays, des milliers de jeunes risquent leur vie à travers la mer Méditerranée. D’autres, désespérés vont s’immoler devant les institutions de la République.

L’immolation

En Algérie, ils sont nombreux à se suicider par le feu.

L’immolation, drame de la désespérance s’il en est, peut conduire les survivants derrière les barreaux.

Et oui, après les amendements proposés au Code pénal algérien en 2008, à propos de « la sortie illégale du territoire national » passible d’une peine pouvant aller à six mois de prison, le gouvernement y a rajouté la poursuite en justice de toute personne suicidaire, qui sortira indemne de son immolation !

« Des nouvelles instructions ont été données aux différents services de sécurité de procéder à l’interpellation de tous les candidats téméraires à l’immolation et le suicide et sa présentation devant la justice.
 » [8].

La peine encourue est de 3 à 4 ans de prison ferme. La durée d’emprisonnement est divisée par deux pour le cas de « suicidaire » mineur au moment des faits. Cette mesure coercitive est d’ores et déjà appliquée.
Avis donc aux désespérés tentés de s’immoler, si par malheur ils survivent, la loi algérienne ne leur fera pas de cadeaux ! Aucune empathie officielle pour ces citoyens conduits au désespoir par une politique économique et sociale désespérante.

Hicham habitait Tiaret, à 350 km de la mer. Il avait 22 ans. C’était un beau jeune homme qui aimait rire avec ses copains. Seules restent de lui des photos.
Il fait partie de la centaine d’immolés annuels par le feu en Algérie.
Sa famille vit dans un des quartiers pauvres de la ville de Tiaret.
Dans leur deux pièces de tôle et de brique, il dormait sur un matelas en éponge sur le sol. Il y vivait avec sa soeur et sa mère et seul son maigre revenu de vendeur de rue à la sauvette les faisaient vivre. Sa soeur licenciée en Lettres ne trouvait pas de d’emploi.
Il tenait un étal en rue où il vendait des lunettes. Mais un jour le flic a été plus coriace que d’habitude et a voulu l’embarquer. Hicham a couru chercher une bouteille d’essence. Le flic goguenard l’a nargué « allez vas-y immole-toi si tu es un homme » raconte sa soeur dans le film de Jean Rémi ‘Les immolés d’Algérie’ [9].
Le jeune homme s’est enflammé au milieu des passants. Hicham va décéder à l’hôpital après 5 jours d’agonie. Aucun responsable politique ne va se déplacer ni soutenir sa famille. Mépris total. Suite a son enterrement des milliers d’Algériens manifestent leur colère contre le pouvoir et la police. Les émeutes en son hommage vont durer un mois mais seules quelques images vont en filtrer sur internet. « 
Cela s’est embrasé plusieurs fois, plusieurs jours de suite mais les autorités on étouffé l’affaire. Ils ont bloqué les routes autour de la ville et la voix des manifestants s’est tu. » explique tristement sa soeur. Elle accuse texto la Hogra de l’avoir tué. Ce mépris généralisé chez les policiers et toutes les autorités.

Dans un pays où le pétrole rapporte 70 milliards de dollars par an la malvie, la précarité et le désespoir poussent de nombreux Algériens à s’immoler par le feu.
Leur nombre dont seule la presse privée fait le décompte macabre est proprement scandaleux. Les émeutes systématiques sont réprimées.

Si en Tunisie, l’immolation de Mohamed Bouazizi avait enflammé le pays et fait tomber le régime de Ben Ali, en Algérie les immolations en place publiques ont commencé en 2004 mais seules en témoignent quelques images et vidéo amateurs sur internet. Ces torches humaines racontent les misères d’un des plus grands producteurs de pétrole et de gaz au monde.
Plus de 3 millions d’Algériens survivent dans des bidonvilles pendant que de nombreux enfants vivent dans les déchetteries comme celle de Aïn Smar à Alger.

Rescapés du feu

Hamidou a 26 ans, il a survécu à son immolation. Il est brûlé au 3e degré sur plusieurs parties du corps. Il vit aussi dans un bidonvilles près de Mostaganem, une ville en bord de la mer Méditerranée .

« Quand je me suis vu en flammé je me suis évanoui, raconte t-il dans le film de J. Rémi, à l’hôpital j’ai sombré dans une sorte de coma pendant deux semaines. »

Tout son corps a été brûlé sauf ses yeux. Sa famille s’entasse dans une pièce unique dans un taudis. Une promiscuité banale en Algérie.

A Mostaganem, les immolations sont courantes : 16 en 2011 et 4 au début de 2012 d’après la Ligue des Droits de l’Homme. Aucun des jeunes de ce quartier ne travaille car « ici tout marche au piston, pas de piston pas de travail, déclare un jeune dans le film de J.Rémi. Si tu veux vendre des chaussettes au bord du trottoir la police te fait dégager, on ne nous laisse pas nous débrouiller pour survivre. »

Survivre à une immolation n’est que le début d’un long cauchemar, à Chelef, depuis 3 ans Aïcha maintient son mari Mohamed en vie grâce à une recette de cuisine à base de cire d’abeille et d’huile d’olive. Elle prépare deux fois par semaine cette crème qui leur coûte très cher : près de 1 million de dinars c’est à dire 100 euros tous les 4 jours payés par les revenus du père de Mohamed et de l’aide de voisins et de bonnes gens solidaires.
Mohamed a 28 ans. Il ne peut plus bouger et souffre continuellement. Sa femme et sa mère le couvrent de pommade tous les jours depuis 3 ans. Là aussi aucune aide des autorités algériennes.

Maladie sociétale

Quand ils sortent de leur silence méprisant, ces autorités accusent les suicidés par le feu de malades mentaux. Assertion mensongère que les parents de Rachid ont dénoncé. La famille [10] du jeune homme a affirmé qu’il ne souffrait d’aucun trouble mental et ses amis ont indiqué que le chômage était la cause de son suicide.
Rachid, 23 ans s’était aspergé de cinq litres d’essence avant de se bouter le feu à Bejaïa.Transporté d’urgence à l’hôpital de Sétif à l’est d’Alger, le jeune homme est décédé.
En décembre 2013, Kamel Falek, 30 ans a aussi voulu s’immoler par le feu , du haut du mur du siège de la sûreté urbaine d’El Mehmel, commune située à 7 kilomètres de la ville de Khenchela [11]. En s’aspergeant d’essence et en se mettant le feu avec un briquet ce jeune homme entendait aussi protester contre la situation de précarité dans laquelle il se trouvait. Il s’agissait là du quatrième cas d’immolation par le feu devant un siège dépendant des services de la sûreté de Khenchela depuis le mois d’août 2013.

Parmi les 889 tentatives de suicide enregistrées dans le département de Tizi Ouzou, en Kabylie ces cinq dernières années, 355 cas, soit 40% sont le fait de chômeurs [12], jeunes, dans la tranche d’âge entre 20 à 40 ans.
De tels drames, la télévision et les autres médias de l’état n’en parlent pas. Motus et bouches cousues devant ces torches humaines.
Vouloir faire passer l’immolation sous le chef de maladie mentale, c’est discréditer et disqualifier ce geste de protestation ultime mais surtout vouloir lui nier sa portée politique. Une tactique des nantis au pouvoir pour se dédouaner de leur responsabilité et rejeter la faute sur la victime.
En Belgique, on connait la culpabilisation des chômeurs, voila celles des immolés en Algérie ! La multiplication des cas d’immolation par le feu nous semble quand même révélatrice d’une pathologie sociale, en tout cas celle de société autoritaire ou dictatoriale.
La où la personne en souffrance, au chômage, sans revenus décents n’arrive plus à se faire entendre par les voies normales.
Comment protester alors face aux inégalités sociales et à l’injustice quand tout est verrouillé ?
N’est-ce pas là une ultime et horrible façon qui reste aux exclus et aux opprimés pour exister dans l’espace public au mépris de leur vie ?

Aida Allouache
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Photo prise lors du Premier meeting international des chômeurs à Rabat le 14, 15, et le 16 septembre 2012

Note

Ce texte est repris du site www.jcalgerie.net

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