À l’initiative de l’INHESJ (L’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice), un ensemble de recherches ont été exposées dans le cadre du programme ANR (Agence national de la recherche) « Violences radicales militantes » (Vioramil) sur les effets des politiques de gestion en terme de prévention et de répression des radicalités militantes, au regard des dynamiques d’escalades et de désescalades observées à l’échelle européenne.
Ces recherches visent notamment à saisir le fonctionnement du cortège de tête et l’organisation des milieux autonomes en s’intéressant aux perceptions/constructions des phénomènes de violence militante engendrées par les médias et à leur gestion par les pouvoirs publics.
Si l’infiltration du cortège de tête et des milieux autonomes par les renseignements généraux ne fait plus l’ombre d’un doute, il semble toutefois que "l’ombre de l’ultragauche" sème le trouble parmi la recherche académique, les médias dominants et les décideurs politiques.
Propos introductifs
C’est par un rappel de la loi du 10 janvier 1936 [1] sur la dissolution et ses possibles motifs des groupes considérés comme radicaux et empreints d’une idéologie que l’on apprend et confirme la volonté délibérée de l’État de rechercher à opérer des effets psychologiques à l’encontre des citoyens en vue de maintenir un contrôle social.
Là où la période précédant 1968 était synonyme de conspiration et de révolution pour caractériser les groupes d’extrême-gauche, à la suite de 1968 et jusqu’à aujourd’hui il serait dès lors plutôt question de terrorisme. Néanmoins, la radicalité est appréhendée par les pouvoirs publics comme une soupape de sécurité démocratique, telle que l’aurait alors démontrée la réintégration sociale de certain.e.s ex-maoïstes, devenu.e.s à ce jour membres du parti socialiste ou encore de la « France Insoumise » et de partis plus à droite, conduisant ainsi à leur pacification.
Ces travaux sur la radicalisation s’appuient sur l’étude des socialisations en effectuant une distinction entre, d’une part l’engagement, entendu comme intégration à une organisation radicale, et d’autre part la rébellion relevant plutôt de l’ordre de l’individuel.
La radicalité ferait alors l’objet d’un usage stratégique en vue de permettre la fabrication d’une identité valorisée et connaîtrait des phénomènes d’escalade que les pouvoirs publics cherchent désormais à réduire. Par ailleurs, ces mêmes pouvoirs publics considérant en un sens la ZAD, Notre-Dame-des-Landes particulièrement, comme pouvant fournir des possibilités de reconversion du fait des activités développées en son sein.
La radicalité politique en audience
Avec l’instauration de l’état d’urgence, la radicalité politique aurait conduit à des transformations du pouvoir judiciaire dans le sens d’une prise en charge des trajectoires, traduisant un phénomène social en phénomène judiciaire.
Ce principe de judiciarisation conduit à appréhender l’engagement dans la radicalité politique d’un point de vue matériel et idéologique, ce tout en restant marqué par un traitement judiciaire différencié entre les hommes et les femmes mais avec avant tout le souhait de démontrer l’existence d’une organisation hiérarchisée structurant les groupes ciblés.
Bien que soit avancée l’idée selon laquelle les changements en terme de politiques pénales ne donnent pas nécessairement lieu à un changement de regard du parquet sur ces questions, on observerait tout de même une fluidité dans la qualification de faits relevant de la radicalisation et du terrorisme.
Politiques de maintien de l’ordre
L’une des difficultés principales de la gestion policière relève des renseignements car la traçabilité des groupes d’extrême-gauche serait de nos jours plus difficile du fait de leur organisation en réseaux.
Face à l’institutionnalisation et la routinisation du recours à la rue, c’est à présent la pacification qui est visée par différentes doctrines de maintien de l’ordre, aussi bien à travers le service d’ordre et la négociation mais aussi par le retardement des pratiques coercitives, ou encore via la mise à distance des forces de l’ordre dont la présence à elle seule serait censée impressionner les groupes radicaux.
Des suites du tournant des années 2000, il y a eu une escalade de la répression opérée notamment à l’égard des mouvements dits Altermondialistes donnant lieu du point de vue des pouvoirs publics à une crispation auquel il faut à-présent remédier.
Cela passerait donc par un renforcement de la légitimité policière à l’aide d’un traitement en singularité afin de porter atteinte aux solidarités collectives via des interventions ciblées et une fréquentation quotidienne des groupes sur laquelle repose la judiciarisation de la radicalité politique.
Selon une porte parole du ministère de l’Intérieur qui s’est exprimée, ce dernier espère ainsi pallier les difficultés d’identification des prétendu.e.s organisateur.trice.s de violences radicales en s’appuyant notamment sur une conception globale et graduée des dispositifs de sécurité selon le niveau de violence à l’œuvre en manifestation : intervention auprès des organisateur.trice.s (niveau 1), participation des collectivités territoriales (niveau 2), interventions des dispositifs locaux (niveau 3), interventions des dispositifs zonaux : maintien de l’ordre (niveau 4).
Réflexions sur l’émergence d’interactions violentes en manif
L’étude réalisée plus spécifiquement autour du cortège de tête vise à dévoiler les facteurs de l’émergence d’interactions violentes produits en son sein, à travers une propension à mettre en œuvre un répertoire d’actions, dont la durée et l’intensité sont relatifs au contexte dans lequel il s’inscrit, ainsi que des justifications au recours à la violence d’ordre normatives et utilitaires.
Un constat du mouvement de la loi travail durant l’année 2016 est établi : les actions répressives des forces de l’ordre ont conduit à un grossissement du phénomène émeutier, avec la radicalisation d’une part non négligeable de personnes au sein du cortège de tête pas nécessairement déterminées en tout premier lieu à se joindre aux éléments considérés comme les plus radicaux et violents.
C’est donc vers les individus plutôt passif.ve.s en temps normal qu’il est préconisé aux pouvoirs publics de se tourner.
Cette volonté de désescalade pourrait passer par une réduction des dispositifs coercitifs et des contrôles d’identité, conduisant à une politique de mise en retrait. Les capacités limitées en terme de stratégies allouées au cortège de tête constitueraient alors un facteur pouvant permettre à terme le contrôle du déclenchement des affrontements.
Tout en invalidant l’utilité réelle du recours à la manifestation de nos jours (sauf lors de décès), les pouvoirs publics souhaitent cependant maintenir cette forme de protestation qu’ils considèrent d’autant plus comme un spectacle, ayant conscience de la possibilité qu’elle offre d’influer sur les perceptions structurantes de l’opinion publique par la production d’image et la communication.
Processus de démobilisation
Dans le cas où une frange des milieux autonomes en viendrait à la lutte armée, comme ce fut le cas par le passé, les pouvoirs publics peuvent recourir à des processus de démobilisation.
Des mesures de clémence constitueraient notamment un moyen d’obtenir la fin des violences par un consensus entre l’État et les activistes. Bien que cela semble peu envisageable et pas abordé à ce jour par le ministère de l’Intérieur selon une porte-parole, un appui de l’État sur des militant.e.s importantes au sein des groupes favorables à une "réinsertion" pourrait avoir pour objectif d’arriver à ses fins.
À travers l’exemple de l’OAS est relaté le recours historique à l’amnistie et à des mesures de réinsertion, incluant cependant une poursuite de la surveillance des concerné.e.s après coup.
Le siècle face à sa violence
"La politique, c’est la guerre continuée par d’autres moyens" (Foucault) pouvait-on lire, pendant qu’un énième chercheur s’affairait à souligner la séquence politique actuelle à laquelle on assiste.
Celle-ci est appréhendée comme une crise des formes contemporaines de la politique avec l’absence de référent politique commun et la recrudescence d’affrontements entre les individus et l’État en hausse constante depuis 2013, stabilisés en 2016. Il ne s’agirait non plus de conflits inter-étatique mais désormais de conflits d’ordre intra-étatique avec l’idée qu’un renversement s’est opéré, à savoir que l’instauration de l’état de guerre semblerait la solution pour avoir la paix.
La violence politique se traduit aujourd’hui par des situations de violences non armées, des suites d’un changement de répertoires d’actions d’autant plus axé sur les dégradations et les pillages.
Face à la clôture de l’horizon révolutionnaire et du compte à rebours enclenché par le réchauffement climatique, les générations actuelles seraient empêtrées dans le présentisme et feraient l’objet d’une radicalisation antérieure à la situation émeutière, durant laquelle par ailleurs il y aurait un oubli de la peur causée par l’absence d’avenir. L’extrême gauche ne serait alors plus synonyme de révolution mais d’insurrection et de rébellion au travers d’une dimension apocalyptique, traduisant le manque d’horizon très marqué chez la jeunesse.
Face à la production d’image, en tant que prolongement de l’acte de l’émeute, l’enjeu pour les pouvoirs publics serait donc de construire l’ennemi et dans cette optique de façonner la paix.
Propos conclusifs
En guise de conclusion a été dévoilé en avant-première l’avenir du pouvoir judiciaire au vu de ses transformations en liens avec des actes terroristes perpétrés, conduisant à terme à la disparition de la souveraineté des États-nations dans l’union européenne.
En effet, jusqu’en 2001, le pouvoir judiciaire s’inscrivait dans le cadre national des États, mais à la suite des événements du 11 septembre 2001 deux nouveaux instruments ont été adoptés : le mandat d’arrêt européen et le partage du renseignement (2005).
Après les événements du 13 novembre 2015, il y a eu acceptation d’une coopération judiciaire multilatérale à travers le partage de toutes les informations à la disposition de chaque pays à l’échelle européenne.
Le terrorisme a donc permis la suppression très avancée des frontières en ce qui concerne le pouvoir judiciaire, dont on connaît les nombreuses répercussions sur les militant.e.s.
Les années à venir s’annoncent d’autant plus inquiétantes, la création d’un parquet européen antiterroriste est prévue pour 2020 afin de permettre "la protection des intérêts financiers de l’union européenne". Cela donnerait alors lieu à un abandon complet de souveraineté des États au profit d’une harmonisation des infractions et du droit pénal matériel, ainsi que des procédures qui y sont liées avec une totale indépendance des institutions européennes dans l’exercice de leurs fonctions.
Ces recherches et les éléments qu’elles fournissent doivent être prises sérieusement en considération par le cortège de tête et les milieux autonomes, puisque l’apport critique proche de zéro dont elles relèvent conduit à la dépolitisation de l’ensemble des questions relatives aux modes d’actions et aux luttes étudiées, puis à la production d’une vision pacifiée des rapports sociaux.
Les violences existeraient en elles-mêmes et seraient le fruit d’une idéologie qu’il faudrait combattre, sous-entendu l’ensemble des membres du programme de recherche ne seraient pas empreint.e.s de l’idéologie néolibérale, s’agissant selon ces dernier.e.s évidemment de la seule idéologie légitime sans alternatives possibles.
Pour reprendre les termes de l’un des chercheurs, il convient finalement de "faire comprendre à ces jeunes qu’iels sont dans la bonne société" en cherchant à les y réinsérer, faute de quoi iels en viendraient à la lutte armée.
La nécessité d’un profond travail de théorisation semble donc nécessaire afin de renforcer et repenser la dynamique entamée avec le mouvement de la loi travail pour inscrire véritablement la critique au cœur même de nos pratiques.
CRR