Rarement une manifestation n’aura connu une si forte affluence dans les rues parisiennes lors de ces dernières décennies. C’est certainement un des enseignements que l’on peut tirer de cette journée du 19 janvier 2023.
Tandis que la CGT évoque le chiffre de 400 000 manifestant-e-s, le ministère de l’Intérieur se couvre de ridicule en parlant uniquement de 80 000 personnes, soit à peine un concert au Stade de France...
À cette échelle, difficile d’avoir une idée bien précise du nombre exceptionnel que nous étions à battre le pavé mais tout le monde s’accorde pour dire que l’ampleur de cette manifestation est au moins égale aux plus grandes manifestations de 2010 (réforme des retraites sous Sarkozy) voire celle de l’entre-deux-tours de la présidentielle en 2002 (Chirac vs Le Pen).
La matinée avait débuté par une remontée des chiffres de grévistes, toutes très puissantes ! 50% de grévistes pour l’EDF, des gares SNCF vides (80% de conducteurs/conductrices en grève), des métros quasiment à l’arrêt ou encore près de 70% de grévistes dans l’éducation nationale avec une mobilisation très forte notamment en Seine-Saint-Denis (300 écoles fermées !).
Les établissements scolaires du second degré désertés par les personnels n’ont donc pas entraîné des blocus généralisés. Les lycées Hélène Boucher, Lamartine et Turgot ont néanmoins sû mettre en place des blocus efficaces et ainsi animer les rues parisiennes dès l’aurore ! Cela n’a pas empêché les pandores de faire leur sale taff répressif et de jouer de la gazeuse à main devant le lycée Boucher. Avec détermination, les élèves de Boucher ont néanmoins sû imposer leur blocus et brandir des banderoles évocatrices comme « métro boulout caveau ». Dès 8h, le ton était donné.
L’objectif principal de la fin de matinée était donc de se mettre en marche pour rejoindre la place de la République. Une centaine de bus (toutes organisations syndicales confondues) partaient de toute la région (après les AG interpro) et quelques départs collectifs depuis Paris et sa banlieue proche ont permis de se mettre en chauffe avec ce temps froid (comme à Montreuil ou depuis la Cantine des Pyrénées dans le 20e).
Aux abords de République, le constat est sans appel : la foule est impressionnante. Il est même difficile de se déplacer sur la place tant l’espace nous paraît si restreint occupé. Les manifestant.e.s affluent de tous les côtés à pieds ou en vélo (Magenta, Richard Lenoir, Bastille, Turbigo, Oberkampf...).
Très rapidement, un cortège de tête se met en place derrière une longue banderole du collectif Black Lines au niveau du 74 boulevard Beaumarchais. Il y a beaucoup de monde avec aussi bien des habitué.e.s des cortèges de tête drapé.e.s de Gilets Jaunes, des syndicalistes, des retraité.e.s en galère ou solidaires, des capuché.e.s qui se protègent du froid ou des quidams tout autant abasourdis par la foule qui se dessine au loin et qui ne semble pas prendre fin.
La manifestation ne démarre pas pour autant. La banderole avance très lentement et les intrusions répétées de CI (compagnie d’intervention) et BRAV mettent rapidement en action les manifestant.e.s les plus déterminé.e.s à vouloir tenir les bleus en respect. Les charges dans le cortège de tête, tout aussi aléatoires que violentes (les parties du haut du corps ont encore été délibérément visées par les flics avec leurs matraques), provoquent quelques mouvements de panique mais dans l’ensemble la foule parvient à rester unie. Qu’on se le dise, la police a plusieurs fois coupé le cortège de tête en deux, quitte à aller au contact avec le carré de tête syndical mais la foule était bien trop nombreuse et débordait de tous les côtés avec notamment un point de fixation très dense à Bastille qui permettait là aussi des allers et venues sur le boulevard Beaumarchais.
À 17h, le cortège n’avait pas dépassé Bastille et il est certain qu’un bon nombre de manifestant.e.s n’ont pas continué de défiler. Un cortège de tête se reconstitue par la suite rue de Lyon avec une police bien moins présente. Chaque panneau publicitaire est défoncé et c’est au croisement entre l’avenue Daumesnil et la rue Abel que la tension remonte en intensité avec l’arrivé de la Brav et CI. Quelques jets de projectiles et contre-charges répondent aux « bonds offensifs » des flics. Pour autant, la manifestation continue son cours sur le boulevard Diderot avec une certaine sérénité. La police a semble-t-il déserté les abords de l’avenue et ses rues adjacentes (comme en témoigne la circulation routière et les voitures éparses qui tentent de se frayer un chemin...).
Les écrans de pubs continuent d’être brisés, quelques poubelles sont incendiées et des chants résonnent pour clôre la journée harassante en beauté (« A-a anti anticapitaliste »). L’arrivée sur Nation est proche. Sur la place, l’ambiance est festive tandis que les cortèges syndicaux arrivent par grappes, progressivement dans une légère pluie et un froid quasi-glacial.
Les gens ont répondu présent. À nous d’entretenir cette révolte pour qu’aucun jour de plus ne soit un retour à la normale.
Des participant.e.s à la journée du 19 janvier 2023.