Au 31 décembre 2016, le bail qui permet à Armand Gatti et la Parole errante d’occuper le 9 rue François Debergue à Montreuil prend fin. Le conseil départemental de Seine-Saint-Denis, propriétaire des lieux, reprend la main sur cet espace et tout ce qui l’entoure. La Parole Errante, en tant que structure officielle en charge des lieux, termine son histoire et prend en quelque sorte sa retraite. Pas question donc que le bail reparte à l’identique, mais rien de clair pour autant pour la suite, même si l’on se devine combien les socialistes du conseil départemental peuvent vouloir prolonger des lieux d’expérimentations, et d’organisations politiques et sociales en île de France…
Tout aurait même dû fermer dès mai 2015. Le conseil départemental n’avait toutefois pas de projet et surtout un collectif s’est monté, la Parole Errante demain, pour s’opposer à toute table rase de l’existant (et potentiellement à tout devenir du lieu comme nouveau centre d’art contemporain, quand par exemple le conseil départemental voulait y installer les rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis à l’année et sans aucune autre réalité, pas même culturelle ou artistique). Suite à quelques mobilisations le statu quo a donc été prolongé un temps et, pour trouver une solution de couloir, le conseil départemental a lancé un appel d’offres pendant l’été chargé d’étudier différents projets pour choisir le meilleur, essentiellement sans doute en fonction de critères économiques : quelle structure culturelle pourrait gérer ce lieu sans bénéficier des subventions publiques de la région ?
Historique de l’installation de la Parole Errante à Montreuil
Gatti et sa troupe sont dans ces lieux depuis 1997. À l’époque, toute la grande salle était avant leur arrivée une usine de pneu. Il a fallu pas mal d’années et de travaux pour rendre l’espace praticable, mais à l’époque Montreuil était encore une banlieue lointaine et les chefs de la culture ne regardaient pas trop ce qu’il s’y passait. Gatti était là et faisait ce qu’il voulait. Des subventions de la DRAC à hauteur de 300 000 euros par an aidaient pour beaucoup au fonctionnement du lieu. Pour une salle grande comme celle de la Parole Errante, les frais courants sont vite élevés. Pourtant, ces subventions ont grandement diminué, voire disparu depuis quelques années, même si en 2012 des travaux de mises aux normes (essentiellement par la construction d’issues de secours) permettaient enfin l’accueil d’un large public. Il y a peu de matériel technique à la Parole Errante, car il n’y a plus beaucoup d’argent dans les caisses. Pour autant, envers et contre tout, il y a eu depuis quelques années un accueil presque inconditionnel à la Parole Errante. « Rares sont les lieux en région parisienne qui pratiquent une telle ouverture où ni l’argent, ni la reconnaissance préalable ne constitue une barrière »
Cela fait partie des visées du Conseil Départemental, faire place nette et installer une nouvelle structure à beau pedigree institutionnel, capable de faire de cet endroit « un vrai lieu culturel » comme on en connaît partout… Il faudrait aussi que cela soit rentable, économiquement viable, évidemment, d’autant plus que le système de subventions dont a pu bénéficier un lieu comme celui-là n’existe de toutes façons plus beaucoup, quelles que soient les villes ou les lieux. Et si autrefois il existait des subventions à l’année, aujourd’hui elles sont beaucoup plus par projet, par évaluation permanente, et une structuration telles qu’elle a existé à la Parole Errante avec un grand nom comme Gatti en tant que façade institutionnelle et des pratiques et des usages loin du contrôle des institutions semble en partie impossible aujourd’hui. L’administrateur actuel de la Parole Errante, lié à Gatti, y croit encore un peu d’ailleurs, il était en partie favorable à l’idée d’un appel d’offres.
La Parole Errante Demain !
Quoiqu’il arrive, on ne peut pourtant pas s’en remettre au conseil départemental, et à son travail de sélection dans les bureaux. Il est certain que l’autonomie et la liberté qui existe à la Parole Errante, quiconque y a organisé une soirée le sait, seront grandement mises à mal si des manageurs culturels d’aujourd’hui prennent les rênes de cet espace. Tout la tentative du collectif de la Parole Errante Demain est d’imposer un processus, une réinvention du lieu à partir de ce qui y a été accueilli et d’un temps d’expérimentation qui nous permette de nous imposer dans les lieux pour ne plus en partir. La création récente du Centre Social autogéré participe de cette dynamique. Il va y avoir une guerre d’occupation des lieux, une guerre des soirées qui peuvent compter et des programmations, notamment contre ce que pourrait vouloir faire du lieu d’autres structures. Parmi ceux qui ont répondu à l’appel d’offres, il y a par exemple Mains d’œuvres qui veulent une annexe à leurs locaux de Saint-Ouen, il y a la pépinière européenne des jeunes artistes (déjà en partie dans les murs) dont le nom dit déjà le projet, il y a encore les Jeunesses Musicales de France qui ont pour avantage institutionnel d’avoir beaucoup de subventions, ils en reçoivent tant du ministère de la culture que de celui de l’agriculture parce qu’ils vont chercher pour la ville les artistes dans les campagnes et les villages.
La Parole Errante Demain a aussi déposé un projet, sans espérer gagner ni jouer tout à fait le jeu, mais pour continuer d’être dans la bataille et d’imposer des suites à la Parole Errante qui repartent de tout ce qui précède. Il va y avoir une guerre d’occupation, mais peut-être pas pourtant de clair instant de déclenchement. Il n’y aura sans doute pas ce moment où le Conseil Départemental déclare « tous dehors » et reprend tout les lieux, les choses se passeront plus longuement, plus subrepticement. Et il n’est de toutes façons pas facile de squatter un tel lieu en espérant le garder longtemps. Il va falloir toutefois défendre cet espace, trouver ou retrouver comment il peut compter politiquement aujourd’hui, pour Montreuil, Paris et partout ailleurs, trouver aussi comment faire pour l’habiter, le peupler, y être suffisamment présents pour que tout les projets du Conseil Départemental ne puissent pas s’y installer.