“Pour un féminisme de la totalité”

Ce mois-ci Renversé imagine un turfu féministe. ’Pour s’échauffer avant le 8 mars, nous vous proposons de (re)découvrir les écrits de penseur.euses et militant.es féministes qui explorent de nouvelles perspectives pour un féminisme révolutionnaire, contre l’instrumentalisation de nos luttes par le néo-libéralisme, l’extrême droite et les politiques sécuritaires.’

Le texte qui suit, tiré du livre Pour un féminisme de la Totalité (éditions Amsterdam, 2017), décrit le champ féministe français. Nous avons choisi de le publier malgré tout car nous jugeons qu’il pose des questions s’appliquant également à la Suisse.

Programme pour un féminisme de la totalité

Parler du féminisme dans le débat public est, par les temps qui courent, devenu un rituel pour poser une « question de société ». D’une affaire médiatique à l’autre, du voile à l’école jusqu’aux bars PMU de Sevran montrés du doigt pour leur manque d’hospitalité envers les femmes, la société est sommée, périodiquement, de se positionner sur tel ou tel « scandale » présenté comme une atteinte aux droits des femmes. Il est désormais notoire que ces « paniques morales » sont le plus souvent des chevaux de Troie d’une idéologie réactionnaire, raciste, les cibles réelles de ces campagnes étant presque toujours les Noirs, les arabes, les musulmans, la jeunesse populaire en grande partie non blanche, les espaces de convivialité prolétariens.

Les associations féministes, partis de gauche et syndicats comptent parmi les partenaires que ces offensives cherchent à solliciter. La logique consiste précisément à mobiliser la société civile pour qu’elle intervienne sur le terrain du droit, de la justice, de l’État. À chaque campagne, l’enjeu est de faire pression pour ou contre une législation, un décret, une délibération judiciaire, une déclaration politicienne, une politique de subvention. Ces interpellations répétées de l’État et ses appareils n’ont pas manqué de façonner l’espace de la lutte féministe. Le féminisme est traversé par un profond clivage qui se condense autour du rapport à l’État et qui s’est dessiné au cours des offensives racistes, islamophobes successives au nom de la cause des « droits des femmes ». Il existe d’abord un féminisme, notamment représenté par Osez le féminisme (OLF) et le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), qui est caractérisé par son ancrage dans les espaces syndicaux, les partis, et les associations à gauche de la gauche. Cet espace joue encore un rôle majeur dans la structuration du champ féministe proprement militant en France – l’organisation des marches nationales comme le 8 mars et le 25 novembre sont à son initiative –, mais il est marqué par un rapport conciliant envers les institutions publiques et un positionnement rétrograde sur l’islamophobie, les discriminations subies par les femmes musulmanes. Plus généralement, cet espace du féminisme institutionnalisé emboîte allègrement le pas des campagnes médiatiques autour du voile, du harcèlement de rue, de tel ou tel fait de violences sexistes impliquant des hommes non blancs. Sans réflexivité ni raison stratégique, ce positionnement implique un ralliement au consensus inégalitaire.

De l’autre côté de la barricade, un féminisme en mouvement, diffus, s’inscrit dans une attitude de défiance à l’égard de l’État et de ses appareils. On y retrouve des collectifs et AG féministes autonomes, des organisations transpédégouines, les collectifs 8 mars pour toutes ou Femmes en lutte 93, ainsi que toutes les figures qui se revendiquent du féminisme intersectionnel, décolonial, ou encore de l’afroféminisme.

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Mots-clefs : anti-sexisme | femmes | féminicides

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