Paris ville morte, n’a jamais été aussi vivante

Quelques médias ont qualifié la capitale de ville morte samedi matin. Mais vue de l’intérieur, elle n’a jamais été aussi vivante. Un témoignage, suivi des droits de réponse en vigueur.

Paris Ville Morte

Les Gilets Jaunes ont réussi un véritable coup de force ce samedi à Paris. Effectivement, la capitale en très grande partie était économiquement à l’arrêt total. Dès tôt le matin, les gérants des magasins loin du centre qui comptaient bien ouvrir leurs portes pestaient en apprenant que leurs employés ne pouvaient accéder à leur lieu de travail. Ils refermaient leurs volets aussitôt. Les autres, plus prévoyants, avaient déjà décidé de ne pas se pointer du tout. Beaucoup avaient de toute façon pris la peine de barricader leurs entrées et certains, apparemment peu confiants en une quelconque protection officielle, ceinturaient leurs commerces de rangées de gros bras siglés “sécu”.

Dans les rares stations de métro encore ouvertes, aucune information précise sur l’état du réseau. Sur le quai, pas grand monde, à part cette dame qui s’excite au téléphone : “Il a fait fermer tout Paris, ce bâtard de Macron !”. La rame qui arrive n’est pas très remplie, et s’arrêtera pour de bon à la station suivante : “terminus !”.

A la sortie, spectacle surréaliste. Les boulevards sont vides de tout : pas une voiture en vue, pas un magasin ouvert, pas une trottinette qui traîne. Seulement quelques petits groupes en noir et jaune qui avancent tranquillement, silence général.

Arrivés à quelques encablures de l’arc de triomphe et au niveau des premiers cars de CRS, une brigade de la BAC sur les dents n’hésite pas à se jeter courageusement sur nous. Apparemment, eux-aussi trouvent l’atmosphère pesante et cherchent de la vie. Première fouille contre un mur, mais rapide, car les collègues viennent d’interpeller un type à côté. On le jette dans une bagnole, les flics montent aussi, sauf un. Cafouillage. “on est déjà cinq par caisse !”. Engueulade. On ressort le type effaré, on cherche un autre véhicule. Transfert, sirènes, décollage.
On commençait à se dire que la stratégie de la peur avait payée, qu’on était seuls dans cette ville fantôme, mais enfin on sent un peu d’excitation dans l’air, de la vie ?

Paris, jamais aussi vivante

Devant l’arc de triomphe, nouvelle fouille. Un flic de la BAC sort son talkie :

  • “chef, ils ont des œufs !”
  • “y’a quoi dedans ?”
  • “des œufs quoi, des œufs durs. On fait quoi ?”
  • “ben on les mange !”
    Sourire aux lèvres, ravi de l’absurdité de son travail consciencieux, il rend la boite d’œufs.

Derrière, un gros rassemblement est déjà formé sur les champs élysées. L’ambiance semble chaude et bon enfant. Il est encore tôt, on trace notre route mais on reviendra.
En direction de la manif’ des gauchistes de St Lazare, on est plutôt à contre courant. Les avenues sont toujours désertes mais on croise de plus en plus fréquemment de petits groupes se dirigeants vers les champs.

Et c’est là que ça devient vraiment étrange. Presque à chaque fois, ces groupes s’arrêtent pour papoter, dans la rue, à Paris, avec des inconnus ! On se renseigne sur sa ville d’origine, sur les points de rassemblement, les points de fouilles, le matos confisqué. On se souhaite bon courage.

Toute cette partie de la ville est alors piétonne et calme, ce qui semble favoriser les échanges et les rencontres. Les seuls qui ne s’arrêtent pas sont les joggers qui sillonnent les rues et traversent les check-points comme si ceux-ci n’existaient pas. Aucune porte d’immeuble ne bouge, les parisiens semblent cloîtrés dans leurs apparts, à part celui-ci, errant devant chez lui, perdu et affolé. Il nous enjoint à quitter la ville, à ne pas bloquer l’économie. Il ne comprend pas, il est en colère. Nous le laisseront là après avoir débattu quelques minutes avec lui. “D’accord mais s’il-vous-plait, ne cassez rien, s’il-vous-plait !” fini-t-il presque en larmes. Puis Il aborde le groupe suivant.

On se rend compte qu’a force de s’arrêter tous les deux platanes, on a pas trop avancé. On décide d’arrêter de discuter avec n’importe qui, non mais ! Mais c’est presque impossible, tout le monde veut bavarder. À Paris, quand deux regards se croisent, on s’arrête et on prend des nouvelles, c’est comme ça.

Une grande foire

La suite vous la connaissez : des rassemblements, des cortèges, des nasses, des grenades, des feux, des vitres qui éclatent. Énormément de monde, partout. Peu d’alcool avant le soir. Peu de frictions entre manifestants. Peu de sigles. Beaucoup de nouveaux. Peu de discussions sur le fond.
Nous n’avons été témoins que de peu de mépris de lutte. Nous étions à l’aise dans ces foules qui nous semblaient plutôt bienveillantes.

Finalement, cela ressemblait un peu à un festival de rue, avec ces groupes qui se croisent et se re-croisent en se demandant ce qu’ils ont vu. Mais un festival sans alcool, et donc un peu plus morose.

Mais sur les Champs Élysées, changement d’ambiance. Plus qu’un festival, c’est en fait une grande foire qui se déroulait ici tout l’après-midi.

Tout l’après-midi, les champs avaient en effet tout d’une foire populaire.
D’abord, l’entrée était totalement libre, à la condition de faire la queue devant les gentils vigiles CRS qui pouvaient vérifier que tout le monde avait bien son ticket (à retirer à l’office du tourisme).

Dedans, on pouvait trouver tout un tas de stands différents qui duraient chacun des heures. On regrettera l’absence de plan de situation et d’affichage clair. Parmi ces stands, nous avons pu voir :

  • le stand clown : venez vous moquer des CRS sans les toucher, et pariez sur celui qui craquera le premier. Peut-être celui-ci, la mine déconfite face à cette demoiselle qui lui tend une fleur depuis 2H ? Celui-là, qui ne supporte pas les insultes et qui se demande rageusement pourquoi le canon à eau derrière lui ne s’allume pas ?
  • le stand orange : qui gagnera le dernier cri des téléphones de chez orange ? Le jeu est simple, il suffit de tendre le bras à travers la vitrine, mais attention aux charges de la BAC !
  • le petit train : tous en wagons pour enfoncer une ligne policière dans une des rues perpendiculaires. On avance, on recule, on avance, on recule. Passera ? Passera pas ? La réponse est oui, au bout de plus d’une heure, le petit train fera un tour derrière les lignes de flics pour revenir par une autre rue, tambour battant.
  • le stand médic : venez prendre une pause sérum phy en terrasse, transformée en hôpital de campagne plus vrai que nature

Et j’en passe : le stand de tir bien en-tendu, le chamboule-tout, la chorale…

Ce qui nous a réellement frappé, à part les tonfas, c’est que chacune de ces activités prenaient place dans un endroit très localisé, et y restait tout l’après midi.
Nous pouvions très bien ressentir cet esprit de provocation de foules entières, qui ciblaient ici ce magasin proche des flics, là cette brigade particulière, encore et encore, inlassablement.

Ce qui nous a sauté aux yeux aussi, à part les gaz, c’est que bien qu’un groupe soudé de quelques personnes puisse facilement lancer un nouveau “jeu”, les initiatives n’étaient pas très nombreuses ni variées.
En particulier, nous avons regretté le peu de banderoles, de musique, le manque d’idées quant aux slogans, l’absence de réels groupes de discussion et d’activités y menant.
Et pourtant, nous avons aussi ressenti ce désir de participer, ces foules de moins en moins passives au fur et à mesure de l’après-midi qui passe, apprenant et prenant acte en temps réel des stratégies qu’on lui opposait.

Droit de réponse presque imaginaire

Alors qu’on s’apprêtait à publier ce texte, nous avons reçu plusieurs lettres émanant des ministères de l’intérieur et de la justice que nous reproduisons ici afin de permettre une information la plus complète du public.

« Il n’y a pas eu de débordement, ni même “énormément de monde” comme vous en faites part. En effet, nous rappelons ces simples faits :
À paris, à part les 8 000 policiers mobilisés, nous avons compté 10 000 manifestants. Nous sommes très satisfaits du dispositif policier mis en place. Il n’y a jamais eu autant de casse.
Si cela fait un ratio de 4 policiers pour 5 manifestants, à l’échelle du pays, nous avons compté 89 000 policiers pour 136 000 manifestants, soit un ratio global de 2 policiers pour 3 manifestants.
Ces chiffres parlent d’eux même, la situation était totalement sous contrôle.
 »
La pref’ de Paris (sous gestion directe de l’intérieur)

«  Oui, c’est vrai, nous avons procédé à un certain nombre d’interpellations préventives en amont de la manifestation. Cependant, le terme ’interpellations préventives’ n’est pas justifié.
En effet, à Paris par exemple, nous avons procédé à 1082 interpellations préventives, et en comptant les interpellations préventives non suivies de garde-à-vue (182) ainsi que les procédures classées sans suite (284), nous arrivons a un ratio de 466 interpellations préventives pour rien contre 616 interpellations préventives suivies de poursuites judiciaires, ce qui est quand même pas mal.
Ces chiffres parlent d’eux même, la situation était totalement sous contrôle.
 »
Nicole Belloubet, ministre de la justice (sous contrôle de l’Élysée)

«  Il est inexact de dire que nous n’écoutons pas le peuple quand il parle. En effet, bien avant la dernière manifestation, nous avions déjà pris tout un tas de mesures d’appui, parmi celles-ci :

  • la possibilité pour les commerçants de mettre leurs salariés au chômage le temps de réparer leurs vitrines ou de débloquer les ronds-points
  • des dérogations à la durée maximale du travail pour les entreprises souhaitant profiter des événements afin de maximiser les rentrées d’argent pour noël
  • des reports d’échéances fiscales et sociales pour les business cherchant à optimiser leur chiffre d’affaire sur l’année 2018
    Ces annonces parlent d’elles-même, le peuple est sur écoute.
     »
    La pref’ de Paris (sous gestion de l’Élysée)

Nous avons aussi reçu cette lettre du directeur des galeries Lafayettes :

« Le groupe Galerie Lafayettes s’associe aux revendications des gilets jaunes. C’est pourquoi notre équipe de sécurité, vêtus de ces gilets fluo au passage de cortèges devant notre magnifique enseigne, exhortait joyeusement la populace à avancer promptement. Malheureusement, face aux nombreuses forces de police présentes à l’arrière des dits cortèges, ils ont été contraint de retirer leurs gilets. Mais nous avions prévu le coup, car ils ont pu les remplacer aussitôt par de superbes brassard jaunes (en vente à prix réduit dans notre enseigne, rayon maintien de l’ordre). Galeries Lafayettes, la France vit plus fort ! »
Philippe Houzé, PDG des Galeries Lafayettes

Conclusion

En conclusion, un petit jeu.

Qui a dit, au lendemain de cette dernière manifestation :
nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies ?

1 – Emmanuel Macron
2 – Jean-Luc Mélenchon
3 – Philippe Poutou

Réponse : https://youtu.be/2RV3_7Dz56o?t=715

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Localisation : Paris

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