60 mars, aux alentours de 18h, Place de la République à Paris, Nuit debout
En ce 60 mars, malgré le froid et le ciel menaçant, une nouvelle soirée de réflexions, de discussions, de partage s’annonce sur la place de la République.
Mais, seules la présence des forces de l’ordre au sein même de la station de métro, ou encore la fermeture des sorties principales permettant l’accès à la place peuvent nous laisser comprendre que les autorités en ont décidé autrement... Ou en tout cas, qu’ils ne se priveront pas de nous dissuader, grâce, dans un premier temps, à l’intimidation...
À la sortie du métro, la fouille systématique le confirme. Il est important de noter, que les contrôles s’intensifient lorsque l’individu semble « suspect »... Autant dire, plus vulgairement, que la vérification se fait « au faciès »... Certains objets sont confisqués : notamment les masques de protection, les lunettes (de ski etc. ), ou encore le sérum physiologique...
Sur la place, l’installation semble difficile. En effet, la solitude nous envahit à la commission « biblio debout » : pas de cantine, pas d’infirmerie, pas de TV debout, pas de logistique, pas d’assemblée générale autour de nous... Je comprends alors que le camion contenant le matériel est bloqué par les forces de l’ordre, l’empêchant d’accéder à la place. Je reçois un message d’un ami :
direction boulevard magenta ! .
Entourée de « collègues » de la bibliothèque, nous nous dirigeons vers le boulevard. Les informations ont du mal à réellement circuler mais nous comprenons que le camion est stationné plus loin, et qu’il faudra le décharger à la main malgré les contrôles policiers... Nous sommes à vue d’œil une centaine à nous diriger d’un pas décidé vers le canal saint-Martin. Une dizaine de minutes plus tard, nous retrouvons le camion. C’est alors que s’organise une sorte d’assemblée générale sauvage afin de prendre la meilleure décision. Nous votons et décidons d’accompagner le véhicule en l’entourant jusqu’à la place de la République. La pluie commence à tomber... Nous retraversons le 10e arrondissement. Les premiers mètres se déroulent dans le calme.
Lorsque le camion s’engage dans l’avenue de la République, les sirènes retentissent intensément... Alors que nous sommes en fin de cortège, nous voyons le camion accélérer brusquement. Nombreux sont ceux qui tentent de le suivre en courant. De fait, nous nous éparpillons et nous étalons... Je suis quelques mètres derrière le camion et ne me retourne pas encore mais les CRS chargent derrière nous. Le camion quand à lui est bloqué par le barrage policier préalablement installé à l’entrée de la place. Nous sommes donc encerclés. Les mains en l’air, plusieurs voix s’élèvent « on veut juste libérer le camion ! ». Je ne peux le voir mais une chaîne humaine tente d’entourer le véhicule. De là, commence le festival de bombes lacrymogènes... Cette fois j’aperçois les visages de mes camarades recouverts de gaz... À seulement quelques mètres, pour ne pas dire à mes pieds, une bombe assourdissante explose. Au milieu de la foule ! L’air est irrespirable, les yeux piquent, les oreilles sifflent...
Cette fois, je me retourne, aperçois deux amis à l’angle d’une petite rue. Je sors de cette véritable embuscade. Nous tentons de reprendre nos esprits. Mais maintenant, il faut vite regagner la place et surtout l’entrée par l’avenue de la République afin de soutenir les nuitsdeboutistes encore encerclés ... L’ambiance est toujours électrique et tendue. Les négociations avec les forces de l’ordre commencent. Il semblerait qu’il y ait eu une tentative d’interpellation mais le nuitdeboutiste aurait été finalement relâché rapidement... Même si j’arrive à repasser le barrage et m’approcher du camion, je suis trop loin pour comprendre vraiment la situation et seules les rumeurs parviennent à mes oreilles.
Quelques minutes plus tard, les CRS autorisent le déchargement du véhicule. Une chaîne humaine s’organise afin d’acheminer le matériel jusqu’à la place. La communication avec les forces de l’ordre est très difficile, les contradictions s’enchaînant, ajoutant encore d’avantage de l’incompréhension générale. Je retrouve dès lors un ami, le visage sévèrement marqué par les gaz lacrymogènes... Il m’affirme également avoir reçu un coup de matraque à la jambe... J’entends autour de moi que le conducteur du camion a été extirpé de la cabine, et qu’un CRS a même tenté de le gazer à l’intérieur du véhicule... Les témoignages se multiplient autour de moi et nous sommes stupéfaits de cette violence gratuite... En effet, il est important de rappeler que nous voulions simplement décharger le matériel afin de s’installer, de discuter, de débattre, de réfléchir...
L’arrêté préfectoral interdisant le « stationnement des véhicules de catégorie N1 place de la République », il autorise « l’installation de structures précisées dans la déclaration de manifestation » (cf communiqué de la préfecture de police concernant les rassemblements du mouvement de la « Nuit Debout »).
Enfin, pendant le déchargement du camion, en revenant vers l’avenue de la République, nous avons justement constaté un durcissement du barrage policier. Il était encore plus difficile d’avoir des informations fiables mais les forces de l’ordre semblaient empêcher tout mouvement du véhicule... Après de très longues minutes, et de nombreuses discussions avec les forces de l’ordre, le camion a finalement été « libéré » vers 21h et a quitté l’avenue de la République.
Camille Debout