Samedi 9 février - 14h : la manif a déjà commencé depuis un moment mais mieux vaut tard que jamais, on se décide à la rejoindre ! Grâce à des contacts dans le cortège on arrive assez vite à rattraper la joyeuse troupe des Gilets Jaunes rue de Rennes au niveau du métro St-Placide. Premier constat : on est en dehors du parcours déposé. Les flics sont présents en masse dans le quartier et bloquent certaines rues mais ne semblent pas pour autant en mesure de remettre cette manifestation sauvage dans le droit chemin. L’ambiance est plutôt festive, la foule très diverse. Je discute avec un camarade syndiqué à la CGT [1] : c’est son premier samedi aux côtés des Gilets Jaunes. Réticent au début en raison de l’anti-syndicalisme affiché par le mouvement, les convergences affichées ces dernières semaines et le durcissement autoritaire du pouvoir (loi anti-manifestant.e.s, perquisition chez Médiapart...) ont fini par le convaincre de rejoindre activement la mobilisation.
Arrivé.e.s à Montparnasse, une banque se fait éclater ses vitrines sous les acclamations de la foule. Le cortège reprend ensuite brièvement le parcours déposé sur le boulevard de Montparnasse, ce qui n’empêche pas quelques autres cibles capitalistes de se faire attaquer au passage. Difficile d’estimer précisément le nombre de personnes présentes à ce moment, il doit être aux alentours de 15h et la foule est très très impressionante. Un flux dense et continu de manifestant.e.s arrive de la rue de Rennes pour s’engager sur le boulevard. Très rapidement, le cortège décide de nouveau de sortir du parcours déposé et se retransforme en manifestation sauvage en tournant à gauche sur la rue de Vaugirard.
À partir de ce moment, c’est un véritable festival de bris de vitrines capitalistes qui commence : banques, assurances, agences immobilières... Aucune n’est épargnée. Il n’y a plus un flic en vue. La casse est très largement soutenue par les manifestant.e.s, la fréquence des slogans anticapitalistes s’intensifie, ils sont massivement repris.
C’est à ce moment qu’on assiste à des scènes assez surprenantes comme ce mouvement nous en réserve désormais depuis 13 semaines : les mêmes personnes qui entonnaient un « aa-aa-anti-anticapitaliste » enchaînent juste après sur une marseillaise, puis sur un « Paris, debout, soulève-toi »... WTF ! Mais preuve en tout cas que nos slogans trouvent désormais un écho au-delà des cercles militants. Un type gueule à tue-tête « CRS suicidé, à moitié pardonné » en agitant en même temps un grand drapeau français...
Arrivé.e.s au niveau du métro Volontaires, une bagnole de flics qui passait par là semble-t-il par hasard se fait chasser loin de la manif. Le cortège quitte alors la rue de Vaugirard pour continuer son périple vitrinophobe dans les petites rues de ce quartier très chic, sans recroiser aucun flic pendant encore une bonne demi-heure.
À l’approche du point de dispersion officiel de la manifestation — le Champ de Mars — les condés se font de nouveau beaucoup plus présents. Au niveau du métro Ecole Militaire, on se rend compte qu’un deuxième cortège arrive par une autre avenue : a-t-il suivi le parcours officiel ou bien s’est-il lui aussi transformé temporairement en manif sauvage ? Toujours est-il que les deux cortèges fusionnent pour s’engouffrer sur l’avenue Bosquet, la pression policière se fait de plus en plus forte mais trop tard pour les vitrines et leurs familles. On passe devant le siège du medef (!) gardé seulement par une quinzaine de keufs mais leurs collègues ne sont pas loin alors on ne s’attarde pas trop devant. Peut-être qu’un groupe derrière tentera quand même une petite action symbolique ? On prend ensuite la rue de Grenelle sur la gauche pour se retrouver enfin sur le Champ de Mars, au pied de la tour Eiffel !
Très vite des affrontements éclatent avec les flics, le lieu le plus emblématique de Paris se transforme alors en théâtre d’émeute. Les chaînes de télévision ont beaucoup montré les images d’une bagnole vigipirate incendiée et des vitres « anti-attentats » (visiblement pas si blindées que ça) entourant la tour Eiffel abimées. Elles ont en revanche très peu montré l’ambiance assez incroyable qui se dégageait à ce moment là : des scènes d’émeute donc, mais avec encore des centaines de touristes en plein milieu dont certain.e.s qui se prennent en selfie avec ces fameux.ses « Yellow Vest ». Quelques centaines de mètres plus loin sur le Champ, des familles se promenaient encore tranquillement avec leurs enfants sans s’inquiéter ni du gros nuage de gaz et de fumée, ni des détonations des grenades au pied de la Dame de fer, photographiant amusées la police montée.
Il doit être aux alentours de 16h30-17h et la situation devient vraiment tendue, alors que le Champ commence à se vider on s’éloigne un peu. C’est la qu’on tombe par hasard sur une avenue portant le nom d’Elisée Reclus [2] ! Drôle de quartier pour ce camarade, mais une belle occasion de lui rendre hommage.
On nous informe ensuite que du monde est en train de se regrouper au niveau du Trocadéro, le pont est bloqué par les flics qui ont désormais repris le contrôle de ce côté de la Seine. Après un détour pour traverser on se retrouve sur l’esplanade, de nouveau aux côtés de milliers de Gilets Jaunes. L’ambiance est plus calme mais on sent la foule toujours aussi déterminée. Ici ce sont des marié.e.s qui se font prendre en photo au milieu des GJ avec la tour Eiffel en arrière plan.
Au bout de quelques minutes un cortège finit par se former et prend l’avenue Kléber en direction de l’Etoile. Reprise du festival de bris de vitrines, plusieurs bagnoles de luxe sont également incendiées. Peu après avoir dépassé le métro Boissière, des dizaines de keufs déboulent de partout et chargent l’arrière du cortège en gazant. C’est le moment qu’on choisi pour se tirer et rentrer, mais peut-être que cet acte XIII s’est poursuivi ailleurs et après ?
On peut en tout cas tirer un bilan plutôt positif de cette journée :
- Malgré la violence de la répression (encore une main arrachée ce samedi à Paris), des milliers de personnes ont de nouveau battu le pavé. Difficile de faire une estimation exacte mais le chiffre donné par la préfecture (4000 personnes) est vraiment ridicule, il y avait autant sinon plus de monde que lors de l’acte XII où cette même préfecture annonçait 10500 personnes à Paris (14500 selon le cabinet occurence).
- La stratégie consistant à sortir du parcours déclaré a été une vraie réussite, permettant de manifester tranquillement sans voir de flics pendant un bon moment, dans une super ambiance !
- Contrairement à certaines rumeurs qui circulaient, les fachos ne se sont pas montrés. Bien mal leur en aurait pris d’ailleurs étant donné la tonalité du cortège. Le même jour ils se sont également fait virer de la manif à Lyon, pourtant un de leur bastions.
- Les mots d’ordres les plus discutables de type RIC sont de moins en moins mis en avant, remplacés par la dénonciation des violences policières et le retour au centre des questions sociales.
- De nouvelles personnes semblent rejoindre encore la mobilisation, plus proches du monde syndical et des mobilisations sociales traditionnelles.
- Au fil des semaines, ce mouvement continue donc de prendre de plus en plus une tournure camarade et anticapitaliste.
Cependant, si notre camp politique était bien présent dans la rue ces deux derniers samedis, on peut encore regretter le peu de tracts distribués : on a croisé qu’un seul groupe qui diffait une petite brochure, que les manifestant.e.s s’arrachaient ! C’est pourtant vraiment le moment de diffuser nos idées !
Sur ce, allez, à samedi prochain pour encore Gilet-Jauner !
C.B.