Manif du 1er mai : compte-rendu de la Legal Team Paris

Manif du 1er mai : compte-rendu des audiences au TGI de Paris (porte de Clichy) du 3 et 4 mai 2018 ainsi que quelques remarques collectives à partager..

La préfecture avait annoncé plus d’une centaine de gardes à vue suite aux évènements du 1er mai. Le 3 mai ont eu lieu les premières comparutions immédiates et les premiers déferrements au tribunal, fraîchement déménagé à porte de Clichy. Le bâtiment est immense, tout de verre et d’acier, situé entre le périph’ et des blocs de béton préfigurant un nouvel éco-quartier : « Pour vous, la justice se modernise ».

A l’intérieur, tout est d’un blanc immaculé. D’en bas, on peut voir les étages supérieurs et les nombreux flics qui y sont postés.

On y trouve une caméra presque tous les mètres, jusque dans le couloir des toilettes. Entre des ascenseurs qui ne montent qu’à certains étages, (tous sauf le votre évidement), ceux qui sont réservés au personnel, les passerelles, les couloirs, les salles fantômes, ce nouveau bâtiment semble avoir été conçu pour condamner quiconque à errer indéfiniment.

JOURNALISTES ENTE

Les audiences ont eu lieu dans une salle spécialement dédiée aux interpelé.es du 1er mai, la 23.3 ou 4.07 d’après la double numérotation en vigueur. Cette salle de "délestage" sert à soulager les autres salles de comparution immédiate, mais surtout à séparer les procès des événements politiques de ceux des autres justiciables. Seules les comparutions du 1er mai eurent lieu dans la salle, contribuant d’une part à créer un sentiment de justice d’exception pour les gens qui comparaissent pour des fait dits politiques ; mais d’autre part et surtout à invisibiliser le cours normal de la justice : une justice à plusieurs vitesses, une justice de classe, raciste et paternaliste. Ce nouveau cloisonnement a pour but de continuer à briser la solidarité entre les différent.es prévenu.es, les différent.es prisonnier.es, les "politiques" et les "sociaux" ainsi qu’entre leurs soutiens, qui ont tant à faire ensemble...

14h10 : Après une heure d’attente devant la salle d’audience, sous les objectifs d’une demi-douzaine de caméras de TV, le passage en force d’un avocat permet l’ouverture de la salle. Les flics ouvrent d’abord aux avocats, puis à la presse. Une trentaine de personnes s’engouffre dans la salle. Lorsqu’une proche d’une des personnes accusée demande à entrer, elle a pour toute réponse qu’il faut attendre de voir s’il reste de la place dans la salle.

14h20 : Un flic annonce que les téléphones sont interdits. Les journalistes s’offusquent :« même pas les journalistes ? » ; « et twitter ? », « et comment on tweet ? ». Sonnerie de fin de cours de récré. Les magistrats entrent. Les journalistes ont leurs passe-droits. Les premières personnes apparaissent dans la cage en verre. Le spectacle commence.

LES PROCÈS DU JEUDIMAI

 Les six personnes à passer sont accusées de "participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens" (222-14-2) ; et pour certain.es d’entre-elleux d’avoir résisté à leur interpellation en se débattant. La salle hallucine en entendant la qualification de l’accusation de groupement, laquelle sera pourtant répétée toute la journée avec des variations autour d’un thème : "en l’espèce en s’étant rendu au défilé du 1er Mai/en possession d’une tenue et d’accessoires spécifiques dissimulant le visage pour empêcher l’identification et l’interpellation,/circulant dans un groupe de plusieurs personnes pour commettre anonymement des dégradations".

Après la confirmation des identités des prévenu.e.s et le rappel des charges qui pèsent sur elleux, les avocat.es de la défense demandent la suspension de l’audience afin de pouvoir s’entretenir avec leurs client.e.s. Ils n’ont en effet pu voir leurs client.e.s et préparer leur défense qu’un quart-d’heure avant le début de l’audience.

À la reprise de l’audience, les prévenu.e.s ayant refusé d’être jugé.e.s immédiatement, le tribunal doit examiner par le menu leur vie afin de statuer sur leur éventuelle mise en détention provisoire. Tout y passe, leur parcours scolaire, leur lieu de vie, les implications sentimentales de leurs proches, leurs relations avec leur famille, la profession de leurs parents, frères et soeurs, leurs études, les divers emplois qu’ils ont pu exercer en parallèle, leur engagement associatif etc.

Le fait d’avoir changé de cursus en cours de route, de ne pas avoir un emploi stable est perçu comme suspect, "chaotique", à la limite de la déviance.

Comme d’habitude lors des procès, ce sont des parcours ou des choix de vie qui sont jugés plus que des actes.

Les avocat.es demandent à ce que soit noté le fait qu’au moment où leurs client.e.s ont été présenté.e.s devant le tribunal iels n’avaient pas eu connaissance de l’intégralité du dossier et des pièces, ils ne les ont eu qu’à la suspension de l’audience. Le tribunal en prend note. La procureure demande un contrôle judiciaire avec interdiction de séjourner ou de paraitre à Paris sauf pour préparer leur défense jusqu’au procès. Les avocat.es s’indignent de l’ouverture d’une chambre spécifique pour ce procès et soulignent qu’il est interdit de juger en comparution immédiate des faits politiques. Ils demandent qu’aucun contrôle judiciaire ne soit retenu pour leurs client.es compte tenu de l’absence de risque de fuite ou de non présentation au procès. La juge suivra les réquisitions de la procureure.

L’un des cas, après une interminable pause, est celui d’une personne qui manifestait pour la première fois, " très bien intégrée" socialement. Elle est là dans le rôle du "bon.ne manifestant.e", l’erreur judiciaire, celle qui n’a rien à faire là, celle qui déclare "regretter d’avoir été là au mauvais endroit, au mauvais moment". Heureusement, elle sortira du dépôt sans CJ. Malheureusement, elle a servi de façon très évidente de levier pour foutre en taule deux autres personnes présentes dans le box.

Le contraste est à leur désavantage. Elles sont longuement cuisinées autour de leurs identités fictives données au départ aux forces de l’ordre ; puis sont envoyées en détention provisoire en douce : après la suspension pour décider du sort des trois, la séance reprend sans prévenir, à la hâte, devant une salle vide. Quand le public s’en rend compte et se précipite dans la salle, la première personne est déjà partie et les deux autres envoyées en taule jusqu’à la date de leur procès. Alors que le public leur crie quelques mots d’encouragement, la présidente réclame le silence, "par respect pour tous".

L’absurde est à son comble. Comment utiliser la situation des un.es pour enfoncer les autres....

Cette journée dans la chambre 23.3 laisse un sale goût de voyeurisme, de dissection. Dans cette chambre consacrée à mots couverts au "black bloc", la sélection des prévenu.e.s de ce 3 mai offre clairement un spectacle pour les charognards journaleux, un palpitant article "Mais qui se cache derrière la cagoule ?" servi sur un plateau.

VENDREDIMAI

Retour au tribunal. Un premier contrôle devant l’entrée, un second après l’entrée, un troisième pour accéder à la "salle d’attente". Cette fois, de nouvelles consignes ont fait leur apparition : une quatrième fouille est effectuée devant la salle d’audience où les briquets y sont désormais interdits. Les journalistes passent évidemment entre les fouilles. Cette fois, ils ont un banc attitré dans la salle.

Les audiences commencent. Les jours se suivent et se ressemblent. Les mêmes profils paraissent dans la cage en verre, les mêmes accusations sont prononcées et les même peines tombent.

Une première personne comparaît pour avoir ramassé un terminal de carte bleue dans la rue. Après l’habituel et humiliant interrogatoire de personnalité, la réquisition du procureur est fidèle à elle-même : disproportionnée. Elle sort tout de même libre en attendant le renvoi de son procès.

La seconde personne comparaît, en plus du groupement, pour des motifs "gravissimes". Elle aurait fui face aux flics et aurait été en possession d’un engin incendiaire. En l’espèce : un fumigène.

Le fumigène est présenté comme une arme de catégorie D2 : « le fumigène permet de confectionner avec lui une bombe incendiaire ». Le juge observe dans le dossier que l’individu portait des vêtements sombres grâce à une photo… en noir et blanc.

Réquisition : quatre mois de prison avec mandat de dépôt, avec pour peine complémentaire deux ans d’interdiction de manifester dans Paris, deux ans d’interdiction du XIe et XIIe arrondissement, ainsi que deux ans d’interdiction de port d’arme sous autorisation.

Elle est finalement condamnée à 1000€ d’amende et deux ans d’interdiction de port d’arme.

Paraît ensuite quelqu’un.e qui aurait "jeté un parpaing" sur un policier. Le récit de ses déclarations suscite la solidarité et des applaudissements dans la salle. Ille demande un renvoi. La proc demande la détention provisoire avec mandat de dépôt.

La séance est suspendue et la répression s’abat sur le public. La personne ayant applaudi est expulsée de la salle avec interdiction d’y retourner. Le reste du public est menacé. Si cela se reproduit, le huis-clos sera déclaré pour toutes les affaires suivantes. Pour avoir écrit un mot de solidarité (« Courage ! ») sur son cahier, quelqu’un a été menacé par les flics d’être sorti.e de la salle. Le juge, qui condamne à tour de bras les gens qui se suivent dans le box, justifie cette répression par un certain « respect » à tenir envers les personnes qui comparaissent et qui risquent la prison. Tout le monde, sauf lui, avait bien évidemment compris que nous avons étions là pour soutenir les interpelé.e.s, dans la détestation complice et collective des magistrats.

L’audience reprend, les juges ont statué : ce sera finalement un contrôle judiciaire.

Encore deux, trois, quatre personnes se succèdent dans la cage pour y subir un interrogatoire intrusif, des réquisitions effrayantes et les décisions du juge.

Les deux affaires suivantes sont renvoyées avec un contrôle judiciaire. Deux autres personnes sont jugées immédiatement, et relaxées. Deux autres en revanche, sont envoyées en détention provisoire jusqu’à leur procès alors qu’ielles souhaitent être jugées tout de suite. Ielles quittent la salle avec aplomb sous les cris de liberté clamés par le public, l’un.e déclarant que « jamais vous n’aurez mes empreintes et vos barreaux ne me briseront pas ! ».

 Au total, au cours des comparutions immédiates de ces deux jours :

 * 3 personnes ont été jugées. Deux ont été relaxées et une
condamnée à 1000€ d’amende.
 *12 personnes ont demandé un renvoi. Parmi elles, on compte deux personnes sorties libres en attendant leur audience, six autres subissent un contrôle judiciaire et quatre autres sont actuellement en détention provisoire.

Pendant ce temps, dans les couloirs et salles fermées au public du tribunal, donc de manière à ce que personne ne soit au courant, plus d’une dizaine de personnes sont passées devant un procureur pour avoir un rappel à la loi, 2 sont placées sous contrôle judiciaire avec convocation pour procès ultérieur, 7 personnes passent devant un.e juge d’instruction et un.e juge des libertés et de la détention pour décider de leur sort en attendant de voir ce que l’enquête ouverte pour « participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens » (soit le même chef d’inculpation que pour les autres). Fort heureusement illes sortent tou.te.s avec un contrôle judiciaire néanmoins très important.

++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++

Le communiqué diffusé par la préfecture le 30 avril, pour "inviter les manifestants pacifiques à se désolidariser des individus violents susceptibles de créer des exactions" est resté lettre morte. La politique de la peur n’a pas opéré au regard des milliers de manifestant.e.s qui sont allées se rejoindre dans le cortège de tête.

Nous dénonçons aussi la politique du chiffre mise en oeuvre par la préfecture. Dès 17h le 1er mai, elle annonçait plus de 200 interpellations, espérant semer la panique et le désespoir parmi les manifestant.e.s.

Nous tenons à saluer toutes les personnes qui nous ont contacté.e.s pour donner des nouvelles, organiser des rassemblements devant les commissariats, entourer les personnes en garde à vue et empêcher la machine judiciaire de faire son sale boulot : légitimer les opérations policières.
N’hésitez pas à continuer de faire circuler notre téléphone 07 53 13 43 05.

Enfin, lors des procès, la question de la non-dissociation des personnes ("bon.ne manifestant.e/casseur.euse" ou "inséré.e /marginal.e") reste une question difficile à mettre en oeuvre. Nous n’y renonçons pas.

Réunion mercredi 9 mai à 18h à la Bourse du travail de Paris voir ici :
https://paris.demosphere.eu/rv/62102

N’hésitez pas à faire circuler le lien vers notre cagnotte en ligne pour faire jouer la solidarité financière afin qu’elle ne repose pas sur les seul.e.s interpellé.e.s.
Nous appelons aussi à la solidarité avec les personnes en détention (kalimeroparis@riseup.net.

Vive la lutte collective !

La Légal Team Paris de la Coordination contre la répression et les violences policières.

stoprepression@riseup.net

  • Cagnotte et articles : tinyurl.com/stoprep2
  • FB bientôt remis à jour : Coordination contre la répression et les
    violences policières Paris-IdF
Localisation : Paris 17e

À lire également...