Les embuscades continuent au tribunal de Bobigny

Depuis le milieu de semaine, l’État et sa justice condamne les expressions collectives des habitants du 93 contre les violences policières, la justice et l’État. Les procès se sont poursuivis jeudi 9 février. Récit des camarades présents sur place ces derniers jours publié sur le site quartierslibres.

Contrairement à la journée de mercredi au TGI de Bobigny, celle de jeudi a été un tant soit peu plus calme. Quatre personnes sont passées en comparution immédiate. Le mardi soir, l’une d’entre elles avait été interpellée à Aulnay-sous-Bois, deux autres à Villepinte, et la dernière à la gare de Saint Denis. Et cette fois-ci, seuls deux journalistes assistaient aux audiences (et on ne va pas s’en plaindre).

Dans la salle, une maman qui était venue la veille au TGI de Bobigny pour chercher son fils dont elle n’avait plus de nouvelles depuis lundi. Difficile d’imaginer dans quel état d’inquiétude elle pouvait se trouver. Il s’était rendu à Aulnay afin de participer à la manifestation du lundi après-midi en soutien à Théo et sa famille. C’est le mardi soir qu’il a été violemment interpellé dans un bus, par des flics débarqués alors que le chauffeur avait bloqué un groupe de jeunes à l’intérieur sans même avoir démarré (‘faut pas s’étonner si les bus brûlent).

À son arrivée dans le box, il se trouve confronté à la juge du jour, hautaine et agressive, comme la veille. Notons qu’après avoir lu son cursus scolaire, elle change de ton : « Vous avez eu 11 de moyenne au bac et vous êtes en fac de médecine, c’est que vous n’êtes pas un abruti… » Le procureur, à côté de ses pompes, cherche à lui faire endosser un tag et un outrage, en s’appuyant sur un dossier plus que bancal. L’avocat, qui pour une fois n’est pas un avocat commis d’office, demande le renvoi.

Vient le tour des deux accusés de Villepinte. Le procureur présente de nouveau un dossier mal ficelé basé sur des procès verbaux de flics, « rédigés » avec les pieds, à base de suppositions hasardeuses. Ils sont tous deux accusés d’avoir « transmis les positions des équipes de police sur le terrain ». Pour ces simples « faits » hypothétiques, le procureur réclame 2 ans de prison ferme [1].

Le décalage entre la répression infligée aux jeunes des quartiers et celle qui a pu s’abattre sur de jeunes « militants » est frappant, pour des chefs d’accusation similaires. Les premiers n’ont pas le CV flatteur des seconds, ni pour la « société », ni pour la juge qui prétend la défendre. Elle a d’ailleurs, sans surprise, passé son temps à dénigrer chacune des paroles des accusés, à leur brailler dessus à tout bout de champ, à les prendre de haut. Leur avocate commise d’office, par crainte de la détention provisoire, a préféré leur conseiller d’accepter la comparution immédiate. Encore une fois, à l’inverse de nombre de militants, ils ne pouvaient pas forcément présenter les garanties de représentation adéquates pour éviter la détention.

Le dernier accusé est un habitant de Saint Denis, papa de deux enfants. Il s’est fait arrêter suite à un énième contrôle. Il est accusé d’outrage, pour ces mots : « Bande de violeurs, fils de putes, justice pour Théo ! » ; « Vous les gaulois, vous êtes tous des sales races » ; « Vous avez violé Théo ! On va vous retrouver et se venger… » Bref : une page entière de rage. On l’accuse aussi de violences sur agent n’ayant pas entraîné d’Interruption Temporaire de Travail (ITT) – en l’occurrence, un coup de pied balancé à flic qui lui avait jeté son café bouillant à la figure). Contrairement au flic, le prévenu s’est vu prescrire 1 jour d’ITT. Nul besoin d’être un génie pour capter qui a violenté qui, et que si de telles « insultes » ont pu sortir de sa bouche à l’encontre des condés, elles sont le fruit d’une colère longtemps contenue, sortie d’un bloc ce jour-là, un jour de trop :

« C’est toujours les mêmes policiers qui me contrôlent, ils s’arrêtent toujours sur moi, tous les jours. Ils m’embêtent, ils m’appellent par des noms que je ne citerai pas ici, alors qu’ils savent très bien comment je m’appelle. Ils viennent toujours me contrôler, ils me cherchent, j’essaie de ne pas rentrer dans leur jeu. J’étais énervé par ce qu’ils ont fait au jeune Théo et ce qu’ils nous font à Saint-Denis tous les jours… Ils provoquent les jeunes de Saint-Denis »

Il se fait couper la parole à chaque fois qu’il tente de s’exprimer au cours de l’audience. Puis le procureur prend la parole, et c’est là qu’on commence à vraiment halluciner : le proc’ déguaine sans honte la carte du racisme anti-blanc. Et pousse même le vice en prétendant lui rappeler que l’IGPN (Inspection Générale de la Police Nationale, alias « la police des polices ») existe, et qu’il aurait dû porter plainte auparavant, tout simplement. On se demande s’il lui arrive parfois de sortir de son tribunal. L’avocate commise d’office laisse échapper un léger sourire avant d’expliquer au procureur que les plaintes n’aboutissent jamais. Mais comme pour les deux jeunes de Villepinte, le père de famille qu’elle défend ne dispose pas des garanties suffisantes pour prendre le risque de demander le renvoi.

L’impression générale est claire : les juges voulaient expédier les affaires. Les délibérés ont été rendus en un temps record. Le renvoi du premier à été accepté, l’accusé est aujourd’hui sous contrôle judiciaire avec interdiction de se trouver dans le 93 ; son procès aura lieu en juin. Les deux jeunes de Villepinte sont tous deux condamnés à 2 mois de sursis avec travaux d’intérêt généraux (T.I.G) : ils devront donc effectuer 105 heures de T.I.G, sans quoi ils devront purger 2 mois de prison ferme. Quant au papa de Saint Denis, il est condamné à 3 mois de prison avec sursis.

On constate une fois encore la volonté des juges et du procureur de dissocier l’indissociable, et donc de refuser catégoriquement que qui que ce soit parle des exactions qu’a subies Théo. Et une réelle volonté politique de faire des exemples.

Du côté des prévenus, les récits sont souvent les mêmes : des interpellations violentes autant verbalement que physiquement ; l’impossibilité de passer un appel téléphonique lors de leur garde à vue comme la loi les y autorisait pourtant (en l’occurrence contacter leurs proches), privation de nourriture, insultes, coups.

À la sortie du TGI, il est à peine 21 heures. Avec l’une des familles, nous cherchons à regagner l’Est du 93. Mais arrivés au terminal de bus de Bobigny, on apprend que tous les bus sensés s’y rendre ne roulent plus : ils affichent tous « service terminé ». Plus de 20 bus à l’arrêt donc, tout comme les tramways (le T4 et le T1), donc aucun moyen de circuler entre les villes de l’Est de la Seine Saint Denis. Bien-sûr, personne n’a été prévenu, et ce sont des centaines de personnes qui se retrouvent à devoir rentrer à pied après une journée de boulot.

Ils ont instauré un couvre-feu, ils éteignent les lumières dans certains quartiers, ils provoquent les habitants à coups d’insultes et de contrôles à répétition.
Le lendemain, vendredi, c’est la même rengaine : les bus en direction de Montfermeil, Sevran, Clichy-sous-Bois, Aulnay-sous-Bois, Villepinte et Blanc-Mesnil sont à l’arrêt depuis 14h.

À notre grand étonnement, aucune comparution immédiate n’a eu lieu vendredi, malgré l’annonce de plusieurs arrestations. Mais les comparutions immédiates pleuvent pour les jours à venir. La présence de soutiens fait la différence. Soyons là.

Trouvé sur le site quartiers libres.

Note

On rappelle la cagnotte qui permets aux familles d’être soutenues financièrement et humainement, et d’avoir une défense à proprement-dite : c’est ici que ça se passe.

Notes

[1Note de la modération : le procureur a réclamé 4 mois de prison sans mandat de dépôt et non 2 ans ferme lors d’un réquisitoire ultra-réactionnaire et complètement déconnecté du cas des deux accusés. Le reste du récit concorde complètement avec les infos qu’on a sur cette journée d’audience

Localisation : Bobigny

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