Pour tenir un lieu aussi grand, poser dès le début le rapport de force avec les autorités publiques et s’ouvrir à l’initiative d’autres personnes, il fallait mobiliser un maximum de monde avant et pendant l’ouverture. Le 17 novembre 2012, en plein après-midi, une centaine de personnes surgissent ainsi d’une rue parallèle et remontent l’avenue. Elles s’apprêtent à officialiser l’occupation de ces anciens locaux de la compagnie d’Electricité de France, qui gère les 58 sites nucléaires du territoire. Un an et demi après, le bâtiment d’habitation et les trois immeubles collectifs sont toujours squattés.
Un espace d’autonomie
Une semaine après l’occupation, le 24 novembre 2012, a lieu la première assemblée générale réunissant les collectifs et les individus souhaitant participer à l’élaboration du projet politique et pratique du lieu. Près d’une cinquantaine de personnes y assisteront. Les bases de fonctionnement de ce qui s’appellera désormais le Transfo (en référence au transformateur électrique qui alimente le quartier depuis l’enceinte des bâtiments) sont jetées.
Le bâtiment A est dissocié des bâtiments B, C et D et devient le seul lieu d’habitation du squat. Autonome des autres espaces, il s’organise sur la base des décisions prises par les habitants lors de réunions qui leurs sont propres. Les trois autres bâtiments sont gérés par l’ensemble des collectifs et individus désireux d’y participer et sous réserve du respect d’un ensemble de principes définis lors de cette première réunion.
Il s’agit tout d’abord d’un espace non-marchand. Les rapports sociaux qui fondent l’organisation de nos sociétés sont médiatisés par des rapports financiers. Producteur dans l’espace du travail, client des ressources ou consommateur dans les espaces destinés aux loisirs, nos vies sont déterminées par les rôles que nous occupons dans les différents espaces/fonctions du système économique.
Il s’agit pour nous d’étendre la gratuité autant que possible, en n’organisant que des activités et des évènements à prix libre (tu donnes si tu le peux, si tu le veux, ce que tu peux, ce que tu veux). L’argent récolté est destiné au défraiement (nous ne sommes pas un îlot autarcique mais vivons au sein du grand marché) et aux soutiens des luttes que nous faisons vivre. Il ne s’agit pas, par ailleurs, d’un espace de loisir ou d’un centre culturel susceptible de participer à la gentrification des villes de Bagnolet et de Montreuil, mais d’un espace de lutte ouvert aux collectifs autonomes. Nous souhaitons ainsi nous organiser en dehors des logiques citoyennistes sur lesquelles se fonde l’action des partis et des syndicats.
En France, et plus particulièrement à Paris, différentes approches du squat s’opposent justement par le rapport qu’elles entretiennent avec les autorités publiques. Si certains choisissent le dialogue et tentent d’obtenir un contrat d’occupation garantissant temporairement et sous conditions leur bonne entente avec la municipalité locale et le propriétaire, nous Transfous et Transfolles revendiquons notre volonté d’autonomie. Ainsi que l’explique le tract Le Transfo comment ça marche, édité en janvier 2013, le Transfo est un squat.
Il a été obtenu par des moyens considérés comme répréhensibles par une justice dont nous ne reconnaissons pas la légitimité. Les pratiques illégalistes nous permettent d’obtenir ce que nous voulons sans avoir à remplir les conditions imposées par une autorité extérieure. Nous accédons à ces espaces gratuitement et y organisons des évènements publics dans les conditions que nous choisissons. Nous refusons de justifier notre rôle social et de construire une image de respectabilité destinée à nous faire accepter par un monde auquel nous ne voulons pas ressembler. Pour éviter toute confusion et que les choses soient claires, ni la police ni aucune instance de contrôle n’est acceptée dans l’enceinte du lieu.
Ces bases de fonctionnement ne doivent pas s’interpréter comme une simple posture mais comme une réponse concrète aux enjeux soulevés par la transformation des villes européennes. La métropolisation qui organise la concentration des activités du tertiaire supérieur (finance, culture) et des lieux de pouvoir dans des centres et des périphéries de plus en plus larges, participent à l’éviction des catégories populaires. De plus en plus éloignées des centres économiques et de décisions, ces classes dangereuses éclatées, réprimées, sont désormais de mieux en mieux invisibilisées. L’enjeu de la gentrification n’est pas la mixité sociale mais le maintien de quartiers
populaires dans lesquels l’urbanisme contemporain n’a pas encore terminé son processus de normalisation. S’il est fermé aux pouvoirs publics, le Transfo est donc ouvert aux habitants des villes de Bagnolet et de Montreuil et de nombreuses initiatives ont été mises en place pour organiser cette rencontre.
Dans cette perspective le squat ne vise pas seulement à dégager des espaces où nous pourrions vivre, à créer des alternatives, mais participe à une contestation plus large des logiques qui nous oppriment, de la propriété privée, du marché immobilier dont elle fournit la possibilité, du salariat qui, en organisant la séparation entre possédants et possédés, permet cette propriété privée. Les luttes qui y trouvent un espace nécessaire à leur organisation, au développement d’activités qui les font connaître et les soutiennent, se veulent solidaires des opprimés, de tous ceux et toutes celles qui cherchent à s’organiser par eux-mêmes, sans intermédiaires et sans représentants, qui se battent contre l’évidence de l’État, du Capitalisme et la
banalité des rapports sociaux sexistes, racistes, et de toutes les formes anciennes et contemporaines de la domination.
Des activités autogérées
Les décisions relatives à l’accueil de nouvelles activités, à l’organisation d’évènements, et à l’entretien des espaces collectifs sont prises lors de l’assemblée générale qui a lieu tous les dimanches à 14h. Nous n’avons ni rôles fixes, ni statuts, et faisons attention à ce que les différentes fonctions (prendre des notes, distribuer la parole) soient assurées par des gens différents et volontaires à chaque réunion. Nous sommes particulièrement attentifs aux prises de paroles, à ce que chacun puisse s’exprimer sans qu’aucun n’en prenne le leadership. Mais cette volonté de bienveillance n’implique pas l’évitement de certains conflits qui permettent de remettre en question
les fausses évidences et contribuent à l’affirmation collective et individuelle.
Dans la même perspective et parce que nous pensons que le vote à la majorité conduit à la tyrannie de cette même majorité, nous prenons nos décisions selon le modèle du consensus, c’est-à-dire qu’une activité ou un événement est accepté si personne ne s’y oppose. L’AG est souveraine mais comme la
participation n’y est pas obligatoire et que nous souhaitions maintenir un lien avec ceux qui désirent quand même s’impliquer dans le lieu, nous retranscrivons les notes de chaque réunion et les envoyons sur la mailing liste de l’assemblée de l’espace collectif. Certaines décisions sont ainsi reportées afin de laisser le temps à chacun d’y réfléchir plus longuement.
Au cours de l’année et demi qui vient de passer, de nombreuses activités ont ainsi pu prendre place de façon plus ou moins régulière, plus ou moins pérenne, au sein des différents espaces offerts par ce lieu. Les bâtiments collectifs accueillent ainsi un labo photo, un espace enfant, plusieurs salles de réunion, un freeshop, deux salles de concert, un café, une cantine, un ring, un atelier vélo, un espace peinture (banderoles, affiches, etc.), une salle de danse, une bibliothèque, deux infoshops, un cinéclub, un garage, un atelier menuiserie, le studio de notre future radio, etc.
Comme nous ne sommes soumis à aucune règle et que l’usage de cet espace ne dépend que de nos envies du moment, il se renouvelle constamment. Le Bâtiment D par exemple, ouvert sur la rue Robespierre avait dans un premier temps été occupé par un atelier métal. Le départ de ce premier groupe et la menace d’une expulsion ont conduit les membres du collectif de soutien à la
ZAD de Notre-Dame-des-Landes à déménager du bâtiment B où ils avaient construit la cabane de la Transfu, démontée et remontée à NDDL. Après avoir aménagé un espace de détente et de rencontre, un atelier vélo et un atelier menuiserie et construit une éolienne et tout un tas d’instruments étranges comme un vélo mixeur pour faire du houmous, tout ce petit monde s’attèle maintenant à l’installation de cultures hors-sol.
Seules constantes donc, les individus et les groupes d’individus qui investissent les lieux décident par eux-mêmes des modalités de cet investissement mais prennent par là même la responsabilité de la gestion et de l’entretien que leurs activités supposent. Au Transfo il n’y a pas de chef, pas de personnel d’entretien, pas de gestionnaires donc... Do It Yourself !
Il a été particulièrement important dans ce cadre de distinguer l’habitation des lieux collectifs animés en grande partie par des personnes venues de l’extérieur. Des compromis ont donc dû être décidés. Par exemple le nombre de concerts, qui s’organisent en plus des autres évènements, a été limité à deux par mois. Du concert de soutien à la radio militante Fréquence Paris Plurielle le 12 avril 2013 et le tournois international de boxe populaire du 2 novembre 2013 auxquels des centaines de personnes ont assisté, en passant par les cafés et les cantines de soutien aux prisonniers mexicains, russes ou biélorusses, au No-TAV, aux cinémas engagés des collectifs Synapses et Pico y Pala, etc., le Transfo n’a en effet jamais manqué d’animation !
Nous souhaitions par ailleurs nous ouvrir sur le quartier et proposer des modalités de
rencontre permettant de contester tout à la fois le processus de gentrification qui transforme les villes de Bagnolet et de Montreuil, et les logiques qui le fondent. Des cantines à prix libre et des distributions gratuites des excédents de nos récup’ de légumes bio ont ainsi été régulièrement organisées. Une kermesse, les Transfolies, dont les activités (essentiellement des jeux) étaient plus spécifiquement dirigées vers les enfants, a également eu lieu le 15 juin 2013.
On pourrait encore parler de la manifestation du 27 avril 2013, organisée alors que la trêve hivernale - qui suspend depuis l’hiver 1954 les expulsions locatives entre le 1er novembre et le 15 mars – s’achevait, dans le but de contester les logiques de restructuration urbaine à Montreuil et Bagnolet, d’affirmer notre soutien aux migrants des foyers et à tous ceux et celles qui subissent les logiques de la métropolisation et de ses corollaires.
Un espace éphémère
Pour le moment, et après un an et demi de bataille judiciaire, le Transfo est encore là. Les titres de propriété des quatre bâtiments sont répartis entre trois filiales d’EDF, la compagnie d’électricité de France, et nous devrions avoir des nouvelles de la situation juridique en septembre.
Bien que nous ayons toujours compté avec le caractère éphémère de ce type d’action, nous résisterons à l’expulsion. Mais avant, pendant et après l’ouverture du Transfo d’autres initiatives d’ouvertures ont eut lieu.
Des Baras de Galliéni, au Dilengo à Ivry, en passant Attiéké à Saint-Denis, et bien d’autres, les squats continueront !
Pour plus d’infos.
http://transfo.squat.net/
mail : transfo at squat.net
Le Transfo, 57 avenue de la République, 93170 Bagnolet (métro Gallieni ou Robespierre).