Ce n’est pas un secret : à proprement parler, il n’y a pas eu de mouvement contre la loi Vidal. Mais, comme nous n’avons cessé de l’écrire et de le relayer lors du printemps 2016, qu’une suite de manifestations et de débordements ne soit pas un mouvement n’est pas un signe de faiblesse : c’est tout à son honneur. Car les mouvements se suivent, se ressemblent et se maîtrisent trop facilement, d’un côté comme de l’autre. Il faut alors tendre une oreille plus attentive à ce qui se passe depuis plusieurs mois dans les facs : non pas un mouvement mais une série d’irruptions disséminées qui parviennent à instaurer un rapport de force local plus ou moins intéressant.
En plus de Toulouse (fac en partie occupée et régulièrement bloquée depuis deux mois), Rennes, Paris (et d’autres), la fac de Bordeaux est actuellement en proie à une agitation sans précédent. Avant la grande manifestation du 22 mars, voici un récapitulatif en forme d’échauffement de la situation bordelaise (à la fac) depuis quelques mois.
À Bordeaux, le mouvement contre la loi Vidal a pris une ampleur inédite ces dernières semaines. Ici, on dit que la ville est endormie, que son ethos est le flegme et les regards sont tournés vers des villes plus bordéliques de l’Ouest : Toulouse, Nantes, Rennes. Il semblerait que les verrous aient sautés.
Comment renverser un rapport de force
Dès novembre, les premiers tractages sur la loi ont commencé. Manifs sur le campus ou dans le centre, débrayages sauvages d’amphi, AG, ça se bouge à la fac, mais la mobilisation peine à décoller.
Décoller : viser juste, marquer le coup, persister (ne pas céder à l’intimidation).
Le premier blocage du campus Victoire, en plein centre ville, a lieu le 1er mars. Les quelques barricades érigées dans les rues alentours sont démontées par la police. Le 6 mars, l’amphi Gintrac est occupé. C’est une visée juste. C’est une façon de persister. C’est un tournant. La direction de l’université va commettre un impair. Elle a la bêtise de se montrer sous son vrai jour, et faire ce qui, depuis les années 60, est connu pour être un catalyseur de révolte : elle fait pénétrer la police dans l’université. Les étudiants sont évacués de manière extrêmement violente.
Deux jours plus tard, le 8, une AG se tient sur le parvis. Le ton a changé. La rumeur du scandale a fait son trou dans les couloirs, les images de l’évacuation ont tourné sur les réseaux. L’administration rebat ses cartes. Elle joue maintenant à la médiation. Elle donne dans une tonalité plus doucereuse. « OK pour l’amphi Gintrac, mais seulement la journée. Pas de blocage, pas d’occupation ». Bon, on s’entend mal sur le parvis : cet amphi, on le prend, et après on discute.
Hors de question de se laisser dicter des modalités d’action par ceux qui nous envoient les flics, hors de question d’acter que la répression a fonctionné. L’AG fixe un ultimatum. Si le président de l’université n’a pas démissionné le lundi suivant, l’amphi sera occupé à nouveau. Pour la « jeunesse », c’est le chemin qui a été parcouru depuis 2016, peut-être. La répression ne fonctionne plus. Le traumatisme de l’évacuation peut et doit être surmonté ensemble.
Les syndicats étudiants sont perplexes, « on va tout perdre, l’amphi la journée, c’est déjà ça », « c’est trop tôt par rapport au mouvement ». Sauf qu’on n’a jamais vu une AG aussi nombreuse, la massification, c’est comme le reste, il faut l’arracher par des gestes qui tranchent. C’est toute la différence entre une AG qui vote et se disperse, et celle où se décide et s’élabore le coup d’après. D’ailleurs, cette AG décide de partir en manif sauvage dans le centre-ville pour clamer haut et fort qu’on ne se laissera pas faire.
Et de fait, ça fonctionne. Le lundi soir, l’administration, devant le fait accompli vient nous donner les « consignes de sécurité » pour la soirée. L’amphi a été arraché, il est désormais occupé de jour comme de nuit. C’est comme si, à présent, rien n’allait être vu au rabais. Mais l’occupation d’un amphi n’est pas une fin en soi. Faire tomber une administration n’est pas une fin en soi. Il y a un gouvernement à faire plier. Il y a des victoires à célébrer. Et après ?