Julia a été arrêtée au gré de la vindicte policière lors du 1er mai dernier à Paris. Son témoignage sur sa gav est publié ici. Elle a fait l’objet d’une OQTF et été placée en CRA, des prisons illégales qui servent déjà depuis trop longtemps à enfermer les exilé.e.s. On fait le point ici sur les moyens employés par l’État pour intimider et enfermer celleux qui s’opposent à lui.
Mardi 18 mai. Cela faisait désormais une semaine que notre camarade Julia*, ressortissante européenne non-française, était enfermée au CRA du Mesnil Amelot. Elle en sort tout juste. On connaissait le rôle abject de ces traumatisantes quasi-prisons pour le traitement des « étrangers en situation irrégulière », notons désormais qu’ils servent aussi à réprimer les militants internationaux. À l’occasion d’une charge de CRS, Julia trébuche. Elle est attrapée, un ami qui tente de l’aider reçoit un violent coup de matraque sur le crâne. Les policiers s’asseyent à trois sur elle, la frappent au sol, genoux sur la nuque et l’immobilisent avec un serflex. Emmenée hors du cortège, les insultes sexistes fusent : « T’es quoi toi ? homme ou femme ? Ça se voit pas et on a besoin de savoir. Je dis salope ou pas ? » « J’ai fracassé la tête de ton pote. »
Si les circonstances violentes et arbitraires de son interpellation sont communes par des dizaines de manifestant-es français-es, Julia ne subira pourtant pas le même traitement. Après son arrestation, elle est placée en garde à vue (gav). Celle-ci ne s’éternisera pas, il faut dire qu’il n’y avait pas grand-chose contre elle. Elle est donc déférrée dès le lendemain midi et comparait devant un délégué du procureur (DPR) au TGI de porte de Clichy. Comme beaucoup, elle reçoit un simple avertissement pénal probatoire. Mais au lieu de sortir du tribunal, elle est isolée dans un box sans aucune justification. On ne lui notifie que bien plus tard qu’elle est sous le coup d’une Obligation de quitter le territoire Français (OQTF) ainsi qu’une ICTF (Interdiction de circuler sur le territoire Français) pour une durée maximale de 3 ans – équivalent à l’IRTF pour les ressortissant-es non européen-nes – qui n’ont été délivrées par la préfecture qu’après son entrevue avec le DPR. Si une observation stricte du droit avait été respectée, Julia aurait dû être libérée. Sa rétention dans le box aura été arbitraire et témoigne d’une largesse certainement accordée par le parquet à la préfecture en attendant d’éditer l’OQTF.
Si représenter une menace à l’ordre public constitue un motif d’OqtF pour un-e étranger-e résidant en France, il faut néanmoins que celle-ci soit qualifiée de « menace réelle, sérieuse et suffisamment grave à un intérêt fondamental de la société » pour que l’OQTF soit délivrée. Déclarer qu’un.e étranger-re interpellée à l’aveugle dans le cadre d’une manifestation constituerait une telle menace est alarmant. Pour l’État, s’engager dans une telle voie, c’est affirmer ouvertement aux étranger-es participant à des manifestations en France qu’iels représentent une menace et qu’iels sont passibles d’expulsion. Pour un État n’ayant que faire d’avoir récemment été maintes fois épinglé par des acteurs étrangers pour son non-respect des droits humains dans la gestion des conflits sociaux, c’est la position-miroir sur le territoire d’un pouvoir qui, à échelle mondiale, se
replie sur lui-même. Cela ne vise rien de moins qu’à criminaliser la solidarité internationale.
A sa sortie du TGI, Julia est placée en Centre de rétention administrative (CRA). Si « l’éloignement » (bel euphémisme) n’a pas pu avoir lieu dans les 48 heures, le Juge des libertés et de la détention (JLD) peut être sollicité pour prolonger la détention de 28 jours renouvelables deux fois (90 jours en tout maximum). Les recours et demandes d’appel étant suspensifs, la rétention de Julia sera prolongé une première fois, celle-ci ayant immédiatement contesté l’OQTF et l’ICTF devant le tribunal administratif.
Un premier juge statuera sur le respect du cadre légal de la procédure de placement en CRA ; un second, sur le volet pénal et la légitimité d’attribution de « mesures d’éloignements » (ici OQTFet ICTF) aux vu des éléments retenus contre elle.
Lors du premier jugement en cour d’appel, la défense pointe trois vices de procédure.
Premier vice (et non des moindres) : Julia a demandé à voir une avocate, elle donne les noms de deux professionnelles du barreau de Paris, on lui rit au nez en disant que ces avocates sont en ce moment probablement sous l’eau et qu’elles ne pourront pas s’occuper d’elle. Il faut noter ici que cette pratique se généralise : de plus en plus de manifestant-es interpellé-es se voient privé-es du droit de recourir à l’avocat-e de leur choix. Une bavure judiciaire en somme. En somme on lui refuse son avocate. Elle aura une avocate commise d’office qui, heureusement, fait état des insultes que Julia a reçues. Plus gros encore, le mensonge est doublé d’un faux en écriture publique : il sera notifié dans le PV que l’avocate désignée sous un nom légèrement différent a été avisée d’une demande alors que l’avocate en question n’a jamais reçu aucun appel de ces policiers.
Second vice de procédure : la rétention de Julia dans le box correspond, comme nous l’avons détaillé plus haut, à une détention arbitraire et illégale puisqu’elle ne faisait pas encore l’objet d’une obligation de quitter le territoire avant d’y entrer.
Enfin, un troisième vice de procédure qui aurait pu rendre l’ensemble nul est souligné : la police n’a pas émis d’avis du parquet pour notifier du placement en Gav de Julia. Cet avis est normalement obligatoire. C’est la garantie que le parquet (pouvoir judiciaire) est informé de la Gav et se porte garant du respect des droits de la personne détenue. Une simple formalité mais qui, lorsqu’elle est traitée comme telle au point d’être littéralement esquivée, en dit long sur la liberté et les marges de manœuvre accordées à la police pour la conduite des Gav.
Au rendu du délibéré, la juge, bien qu’ayant soigneusement pris note des différents arguments (solides) avancés par la défense, n’a daigné revenir sur aucun d’entre eux. Elle s’est simplement contentée de marteler son accord avec la décision prise par le tribunal en première instance.
Il en sera autrement le lendemain, au tribunal administratif de Melun. La seconde juge donnera finalement le coup d’arrêt aux sanctions judiciaires. Elle s’étonne de la vacuité du dossier, les quelques éléments incriminant contre Julia ne permettent heureusement pas, aux yeux de la Justice, de conclure à une menace sérieuse à l’ordre public. Tombent donc l’OQTF et l’interdiction de séjour.
Conclusion : les entraves administratives aux allées et venues de Julia en France sont annulées. Les frais d’avocat seront à la charge du préfet de Paris. Tout semble rentrer dans l’ordre. Pourtant, il n’en reste pas moins que, du fait de sa nationalité étrangère, Julia aura subi une semaine de rétention.
Finalement, on observe que, « lorsqu’une narration d’État fonctionne » (des étrangers sont venus ce premier mai pour dévaster le pays, les manifestants sont là pour tuer du flic, des migrants abusent du droit d’asile pour coloniser la France etc.), on a, subitement, une perméabilité du judiciaire au profit d’une répression commandée par l’exécutif qui en obtient complaisances et faveurs. La matraque, c’est un travail dur. À côté, le droit c’est pas si grave, ça peut permettre au passage d’infliger adroitement quelques jours de prison.. Cette rétention arbitraire qui s’apparente drôlement à une peine punitive de rétention sans motif légitime sera-t-il un outil de répression judiciaire que l’exécutif pourra désormais dégainer habituellement ? La responsabilité est à la discrétion des JLD.
* le nom a été changé
Ci après : le fameux faux en écriture publique. Hanna Rajbenbach n’a jamais été notifiée de la
demande de Julia et Ana HAGENBACH n’existe pas.