Récit d’une arrestation arbitraire : « si on vous stresse trop, vous la lâchez, on en trouvera une autre. »

Récit d’une arrestation, garde-à-vue et expulsion du territoire suite à la manif du 1er mai à Paris.

Témoignage Arrestation/ Gedächnisprotokoll

L’arrestation s’est faite vers 16h encore sur le parcours de la manif, plus très loin de Nation. Une rangée de CRS rentre dans la manif, charge et commence à courir vers notre côté. Tout le monde commence à courir, moi inclue. Je trébuche et je sens déjà les coups de matraques sur mes épaules et,mon dos. Un ami essaye de me tirer vers lui et reçoit un gros coup sur la tête. Je me fais matraquer par terre et trois CRS se mettent sur moi, genoux sur la nuque. On me met un serflex.

Assez vite, ils me remettent debout et nous marchons direction Nation pour après rentrer dans la prochaine rue débouchant sur la Place, où des voitures de police sont garées. Tout le long du chemin, un des CRS qui me tient, essaye de me provoquer avec des remarques du genre « Tu es quoi toi, homme ou femme ? Ça ne se voit pas et on a besoin de savoir. Je dis salope ou pas ? » ou « J’ai fracassé la tête de ton pote ». À un moment, la manif se rapproche de nous et met la pression aux CRS qui sont en train de m’emporter. Ils me remontent les bras dans le dos, pour pouvoir me manier rapidement, chaque petite résistance de ma part produit une douleur dans les épaules. Leur chef de compagnie leur dira juste après cette situation : « Si on vous stresse trop, vous la lâchez, on en trouvera une autre. »

Pendant la marche, nous passons dans des nuées de gaz lacrymo et je n’arrive plus à respirer, comme on m’a enlevé toutes les protections, les CRS en portent toujours. À un moment, je crache devant moi, à cause du gaz et le CRS, qui me provoquait déjà sans cesse dit qu’il avait pris le crachat comme un outrage à sa personne. Il notera sur la fiche d’interpellation que je lui ai craché sur les chaussures.
On arrive aux voitures de police et on m’oblige à m’asseoir par terre contre une des voitures. Je m’accroupis pour ne pas m’asseoir sur le sol mouillé, ils me poussent à terre. Ils vident mes affaires et parlent « d’explosifs » en trouvant des petits pétards. Ils noteront cela sur la fiche d’interpellation. Puis ils me remettent à trois policiers de la gendarmerie qui m’embarquent dans une voiture. Un de ces policiers lit ma fiche d’interpellation et s’énerve, parce que ses collègues n’ont pas coché les faits qui me sont reprochés. Au final, c’est lui qui va les cocher, en débattant avec ses collègues, quelles cases cocher : « On va pas lui mettre le port d’armes, non ? Par contre, on lui met jet de projectiles ». Tout cela me semble complètement arbitraire. Ils mettent la sirène sur le toit et on roule à 100 km/h dans les rues de Paris. À chaque voiture, qui ne sort pas assez vite du chemin les trois agents s’énervent et lancent des insultes : « petit connard », « bâtard », etc. Je me sens mal à l’aise.

La Garde à Vue

Arrivés au commissariat, je demande où on se retrouve et on me dit seulement que je suis dans le 8e. Mes affaires sont à nouveau fouillées et une policière me fouille à nu. Elle garde mes lacets et mon soutien gorge (qui n’a pas de partie en plastique/métal). Je ne sais plus exactement dans quel ordre temporel se font les choses. Mais en tout cas, on m’emmène pour des photos. La première fois je tire des grimaces (en Allemagne cela fonctionne parfois) et le policier s’énerve et se chauffe en m’insultant : « Petite conne, ne fais pas chier », « Tu vas rester ici longtemps ». Il me ramène en cellule. L’OPJ (officier de police judiciaire) vient me voir pour l’appel d’un proche et le nom d’une avocate. Je lui donne un numéro allemand, il dit qu’il va voir mais que probablement ça ne sera pas possible, parce que l’appel va coûter plus cher. J’essaye de lui donner le numéro de la legal team (le seul numéro français que j’ai en tête), mais il le reconnaît et me dit que se n’est pas un proche. C’est ainsi que je me retrouve sans appel. En tant que choix d‘avocates, je lui donne les noms d’Alice Becker et de Hannah Rajbenbach. Il semble les reconnaître, car il fait le commentaire qu’elles doivent être débordées en ce moment. Il a donc bien reconnu le noms des avocates de la legal team.
On me met dans une cellule prévue pour une personne avec une deuxième femme, qui elle est déjà là depuis le matin pour une bagarre avec son amoureuse. La cellule est immonde, il y a des déchets de personnes antérieures qui jonchent le sol. Les toilettes dans la cellule sont dégueulasses et on a pas de chaussures pour y aller. Il y a un banc qui fait peut-être 70 cm avec un matelas et un plaid pour deux. On va passer la nuit allongées l’une à côté de l’autre sur les 70 cm pour pouvoir partager le plaid. On nous donne aucun kit hygiénique. Aucune lumière du jour ne rentre dans les cellules et le couloir, du coup on a aucune notion du temps.

On me ressort de la cellule et je les laisse prendre des photos et mes empreintes. Plus tard, je dormais déjà, l’agent qui avait pris les photos et les empreintes entre dans la cellule avec un bâtonnet dans la main. Il me dit d’ouvrir la bouche. En demi-sommeil, je ne capte pas directement et j’ouvre la bouche en pensant que c’est un test covid. Ce n’est que quand j’ai déjà le bâton de coton dans la bouche, que je réalise, que c’est une prise d’ADN. Il ne l’a annoncée à aucun moment. Je lui prends le bâton des mains et je dis que je refuse. Il essaye de me reprendre le bâton et une petite échauffourée éclate entre nous. Il me sort de la cellule. J’ai le bâton de coton dans la main et je répète que je refuse, en essayant d’essuyer le bâton sur tout ce qui passe. Au final, je le lance dans une poubelle, qu’il y a à côté de moi. Le policier m’insulte tout au long en me disant que ça allait me coûter cher et que j’allais rester plusieurs jours. Je ne sais pas s’il a ressorti le bâton de la poubelle. Je me retrouve dans la cellule, complètement abasourdie par toute la situation.

Vers 10h le lendemain (le 2 mai), on m’annonce que j’ai 30 minutes pour parler avec une avocate commise d’office, comme ils n’ont pas pu joindre mon avocate désignée. Je ne me rappelle pas du nom de l’avocate, elle est correcte et me soutient dans ma décision de garder le silence sur l’arrestation. Elle m’encourage à répondre aux questions en rapport avec mon séjour en France. Camille la félicitera plus tard pour cela. Puis vient l‘audition par une agent de police, qui bien sûr s’énerve quand je ne réponds pas aux questions et me dit que dans ce cas là, je vais sûrement être déférrée et que je vais passer en comparution immédiate et que tout cela rallongerait ma remise en liberté.

Le déferrement

Vers 13h, on vient me chercher pour me déférrer au tribunal. On me remet en cellule là-bas et je ne reçois aucune réponse à ma question, quand j’allais passer en comparution immédiate. Je n’en peux plus d’attendre seule dans une cellule, sans notion de temps. À aucun moment je ne suis avertie de la procédure qui m’attend. Ce n’est que lorsqu’on vient me chercher et qu’on me met dans un petit box vitré et que le délégué du procureur arrive que je réalise que je ne passe pas en comparution immédiate. Le délégué me fait comprendre, dès la première minute, qu’il n’a pas de temps à perdre. Il me dit qu’il n’allait pas me lire tous les faits qui me sont reprochés parce que ça allait trop durer, que je risquais 2 ans de prison et 30 000 € d’amende si je ne signais pas l’APP (avertissement pénal probatoire) qu’il me met sous le nez. Je lui dis que je n’allais rien signer avant d’avoir parlé à mon avocate. Il me dit qu’il a déjà téléphoné à Hannah Rajbenbach avant de me voir. Je répète que je n’allais rien faire avant de ne pas avoir pu parler avec elle. Il s’énerve et me demande si je ne savais pas prendre de décision toute seule. Je m’énerve à mon tour en lui disant que j’ai le droit de parler à une avocate et que non, je ne connaissais pas le droit pénal français par cœur. Il finit pas appeler Hannah. Elle me soutient dans mon choix de refuser l’APP. On raccroche et d’abord le délégué veut me faire signer l’APP sans avoir noté sur le papier que je refuse. Il s’énerve encore et finit par noter le refus sur l’APP, je signe. Il me dit que j’allais être libérée. Puis il passe dans le prochain box vitré, à côté de moi. En moins de 30 minutes, il fait signer des APP à trois personnes, qui, elles, peuvent partir directement après avoir signé. Du coup, je demande pourquoi je ne suis pas libérée et c’est là qu’on m’annonce, que le préfet a signé une OQTF et que j‘allais être transférée en centre de rétention administrative. Je me retrouve en apathie.

Le CRA

Je suis remise en voiture et on m’emmène au CRA du Mesnil-Amelot. Les policiers dans la voiture parlent de bouffe et de musique et ça m’énerve. La seule femme du groupe essaye de relier avec moi contre les deux agents mecs et ça me fait encore plus chier. On arrive au CRA, re-fouille, re-palpation (3e fois). On refait une photo de moi pour ma carte, sinon aucune explication de règlement. Je reçois un téléphone, mais pas de carte SIM. Je leur dis que ma carte ne fonctionne pas et ils me disent : « Faudra que tu empruntes aux femmes alors ». Si je me souviens bien, ils ne me disent pas que je peux acheter une carte SIM le lendemain. En chemin, vers la cour des femmes et vers ma chambre, un des agents de la PAF (police aux frontières) veut me faire peur en disant : « Donc toi tu as fais la manif du 1er mai ? Tu as lancé des projectiles sur les collègues, c’est ça ? Tu es donc anti-flics ? Faudra faire attention ici, ici il y a plein de flics. Fais attention à toi. »... Welcome.

Un autre article analyse la parodie de procès dont Julie a fait l’objet.

Localisation : Romainville

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