Infiltration et répression : le piège d’Hendaye

Organisé dans un Pays basque traditionnellement militant, suite à dix mois de mobilisations des Gilets jaunes, à l’urgence écologique, aux émeutes du G8 de Gènes et du G20 Hambourg, le contre-G7 de Biarritz présentait pourtant un fort potentiel insurrectionnel. Il a finalement eu lieu et force est de constater que malgré la présence de militant·e·s déterminé·e·s nous n’avons pas réussi à être menaçant·e·s et l’on peut légitimement se demander pourquoi.

Cet article a pour intention de revenir sur les raisons possibles de cet échec, hypothèses que nous formulons suite à notre présence sur place durant la tenue du « sommet » et qui ne traduisent que notre ressenti.

Nous dressons le constat d’une mobilisation sécuritaire réussie puisqu’elle a permis de museler la protestation tout en acceptant certaines manifestations fantoches faisant apparaitre un État tolérant face à l’opposition. La tenue de ces manifestations déclarées permettant dans le même temps de décrédibiliser les manifestant·e·s les plus engagé·e·s en empêchant leurs initiatives sous le prétexte que d’autres actions [1] avaient déjà été acceptées. Les faisant apparaitre comme des militant·e·s isolé·e·s, violent·e·s par nature et ne proposant aucune alternative. Stratégie de dépolitisation régulièrement utilisée qui opère la distinction entre bons et mauvais manifestants. Pratique qui sous-tend un profil type du « casseur » construit au travers de représentations médiatiques qui décrivent certain·e·s militant·e·s comme naturellement habité·e·s par la violence. Des individus sont ainsi fantasmés et leurs modes d’actions vidées de substance théorique pour être réduits à une essence de violence. De telles manipulations participent d’ailleurs à la création d’une sorte de fascination pour une violence qui effraie et dont on voudrait se tenir à distance.

Cette stratégie utilisée depuis toujours semble malheureusement porter ses fruits. De nombreuses organisations participant au contre-sommet ont ainsi décidé non seulement d’adopter une posture non violente, mais aussi d’imposer celle-ci aux autres militant·e·s présent·e·s sur place. « G7 EZ », la plateforme responsable de l’organisation du camp a, par exemple, sans aucune consultation, décidé d’adopter un « consensus d’action non violente [2] » condamnant le comportement « violent » de certains individus. Il ne s’agit pas ici de condamner la non-violence comme pratique militante, mais d’invoquer la possibilité de la refuser. Or elle était ici imposée comme un dogme, la plateforme refusant toute possibilité de diversité des tactiques qui a pourtant fait ses preuves lors de précédents sommets [3]. On a ainsi vu circuler des brochures [4] qui détaillaient le comportement à adopter pour isoler les manifestant·e·s violent·e·s des manifestations, empêcher des dégradations. La manifestation déclarée qui a eu lieu à Hendaye (Hendaia en Basque) a constitué un bon exemple de ces pratiques. Un nombre impressionnant de ces « militant·e·s » pacifistes, au côté d’employés de la mairie, étaient ainsi prêt·e·s à s’interposer entre les marteaux et les vitrines d’institutions bancaires, entre les pavés et les flics. Une non-violence imposée de manière autoritaire permettant in fine la protection d’institutions oppressantes.

Comme si cela ne suffisait pas, il faut rappeler que les membres de la plateforme (G7 EZ [5]) étaient, durant toute la durée du contre-sommet, en contact constant avec la préfecture afin d’éviter tout débordement. Le Canard enchainé a d’ailleurs révélé la possibilité d’accords officieux entre certaines organisations (Alternatiba, ANV-COP21 et Bizi) concernant l’annulation des actions de blocages prévues le dimanche 25 août autour de la zone d’exclusion de Biarritz. En échange de cette annulation, la préfecture aurait toléré la marche des décrocheurs de portrait prévue à Bayonne le même jour [6]. Marche qui a finalement eu lieu, ce qui renforce les suspicions de collusion quand on sait que l’État se livrait encore à la chasse aux décrocheurs il y a quelques mois. La proximité entre les organisateurs du contre-sommet et les autorités rendaient ainsi impossible toute action spontanée à partir du camp puisque la police était tenue au courant en temps réel…

Des graffitis sont rapidement apparus sur les murs du camp après la manifestation de samedi - Photo Pierre-Olivier Chaput pour Radio Parleur

Cependant, si ces organisations ont largement participé à l’échec de la mise en place d’une mobilisation déterminée et menaçante elles ne sont pas les seules responsables. Après avoir repéré le comportement suspect d’une personne durant une AG, un groupe de Gilets jaunes a fini par démasquer une flic infiltrée dans le mouvement Gilets jaune depuis 9 mois. Ils ont ainsi découvert des centaines de photos sur son téléphone, des rapports détaillés sur certains individus et des informations sur l’évolution du contre-sommet. Dans un instant de confusion, elle a finalement réussi à s’échapper, lors d’une intervention policière à proximité du camp [7].

Au-delà d’une prestation d’infiltration très efficace, le choix du lieu accueillant le contre-sommet et la présence physique de nombreux membres des forces de l’ordre est aussi venu compliquer la mobilisation. Le camp du contre-sommet, situé dans un ancien site de vacance Nestlé, était difficilement accessible depuis le centre-ville d’Hendaye. Des navettes étaient mises à disposition des manifestant·e·s la journée, mais le soir rejoindre le camp depuis Hendaye devait se faire, en voiture pour les plus chanceux·ses et à pieds pour les autres. Une longue marche de 45 minutes sur les routes vallonnées du Pays basque. Un camp aussi excentré, seulement accessible par deux entrées, rendait difficile la coordination et réactivité des militant·e·s. D’autant plus qu’un camping, en partie réquisitionné pour l’hébergement des forces de l’ordre sur place, jouxtait l’une des entrées du camp. Le vendredi soir suite à une manifestation des échauffourées ont éclaté à l’entrée du campement et les forces de l’ordre ont ainsi pu intervenir rapidement [8]. La route d’accès principal a été entièrement bloquée et les affrontements contenus. Le lendemain, sous le ronronnement des hélicoptères français et espagnols, on a pu voir des « plateformistes » démonter les barricades mises en place la veille et nettoyer le bord de la route de ses projectiles potentiels, compliquant la possibilité d’autodéfense en cas de nouvelle intervention policière.
Le camp du contre-sommet n’était cependant pas le seul lieu réquisitionné pour accueillir les anti-G7. À proximité du centre-ville sur le port de la Caneta, des militant·e·s ont organisé la troisième semaine intergalactique qui s’était tenue à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes les années précédentes [9]. Un village alternatif où ont été mises en place des conférences, débats et différents ateliers. Une AG y était prévue le dimanche 25 suite à une manifestation sauvage pour la libération des interpellé·e·s du G7. De nouveau, la présence policière massive a compliqué les choses et le village finira par être démantelé par les forces de l’ordre et la manifestation dispersée.

Charpente de l’Ambazadatxoa installé sur le port de la Caneta dans le village alternatif où se tenait la semaine intergalactique (photo issue de l’article d’Expansive)

Si la ville d’Hendaye a été particulièrement contrôlée, c’est aussi le cas de l’ensemble de la côte basque qui s’est métamorphosée en zone militarisée le temps d’une semaine. Du côté français, on dénombre la mobilisation de 13 200 policiers épaulés de militaires [10]. Autrement la police espagnole a mobilisé près de 3 000 policiers et il faut aussi rappeler la présence de l’Ertzaintza (police autonome basque) dont les casques rouges ont été bien visibles lors de la promenade déclarée de samedi. Des véhicules de la police allemande ont aussi stationné à Hendaye (le jour de l’anniversaire des 75 ans de la libération de la ville, NDLR). Plusieurs gares régionales ont été fermées et de nombreux points de contrôle ont été mis en place sur les routes et certaines villes comme Bayonne rendues complètement hermétiques pendant quelques heures. L’asphyxie autoritaire n’a cependant pas empêché certain·e·s de se rendre à pied à Bayonne depuis Hendaye le samedi, 32 kilomètres d’autoroute sous un soleil de plomb. Après quelques heurts aux portes de Biarritz, la police a su contenir la manifestation ; on dénombre 68 interpellations. La ville de Bidart a aussi été le théâtre d’une manifestation suivie de plusieurs interpellations et de la nasse de militant·e·s présent·e·s sur place. L’ensemble du contre-sommet a été marqué par une omniprésence policière, des contrôles aléatoires des personnes et des véhicules, mais aussi dans les gares et aux entrées des villes. Des uniformes qui se sont rendus bien visibles, intimidant les groupes de manifestants qu’ils ont croisés. Des patrouilles ont parfois escorté des militant·e·s de longues minutes sans même nécessairement les contrôler. Seulement, semble-t-il, pour les humilier et faire état de leur puissance.

La présence policière physique ne constituait cependant qu’un volet de l’arsenal répressif mobilisé. Du côté juridique, une équipe de 70 avocats et 17 procureurs était réquisitionnée pour assurer des permanences 24h sur 24 et traiter les comparutions immédiates depuis le palais de justice retranché de Bayonne. Le centre de rétention administrative d’Hendaye ayant aussi été vidé des personnes migrantes qui y étaient détenues pour accueillir les éventuel·le·s gardé·e·s à vue. La justice française a ainsi arrêté et condamné trois jeunes militants allemands à des peines de prison ferme lorsqu’ils tentaient de traverser la frontière espagnole quelques jours avant le début du contre-sommet. L’un d’eux a écopé d’une peine de deux mois et les deux autres de trois mois de prison ferme. Les trois se sont vu assigner une interdiction de territoire de cinq ans. Selon certains médias les trois militants ont voulu choisir leurs avocats, mais se sont vu imposer ceux désignés par l’État. Tout puissant l’État n’a pas hésité à faire usage du droit pénal préventif pour condamner les Trois de l’autoroute. Le chef d’accusation reposait sur la « participation à un groupement en vue commettre des violences » tout cela avant même la tenue des manifestations prévues quelques jours plus tard. Une nouvelle violation assumée des droits fondamentaux. La collaboration franco-allemande en termes de renseignement a aussi permis l’interpellation de nombreux·ses militant·e·s allemand·e·s [11].

Les journalistes n’ont pas été épargnés non plus, trois observateurs de la Ligue des droits de l’homme (LDH) ont ainsi été interpellés d’après un motif similaire. Le Syndicat national des journalistes (SNJ) a dénoncé des contrôles abusifs, des confiscations de matériel de protection et la non-reconnaissance des cartes de presse internationale [12].

Ajoutées les unes aux autres, ces hypothèses peuvent en partie rendre compte de l’échec d’une mobilisation où de nombreux·ses militant·e·s étaient pourtant présent·e·s. Le G7 de Biarritz a cependant permis de mieux comprendre les stratégies mises en place par l’État pour entraver l’expression de la colère. D’une colère envers un rassemblement illégitime porté par des responsables politiques dont les intérêts sont, depuis longtemps, en contradiction avec l’intérêt général. Des puissants qui participent à la destruction de notre planète en encourageant un mode de production économique violent et voué à l’échec. Qui, sans honte, choisissent le thème des inégalités pour se dorer d’un vernis respectable alors que l’ordre qu’ils défendent profite et profitera toujours aux plus riches. Un rassemblement absurde qui prétend apporter des solutions aux défis urgents auxquels nous faisons face alors qu’ils constituent l’incarnation même du problème.

Autrement, la dérive « plateformiste » de ce contre-sommet a mis en lumière les comportements autoritaires des organisations et partis politiques présents sur place ainsi que leur proximité avec les autorités. Nous avons de nouveau pu observer les limites des manifestations « déclarées ». Que ce G7 serve définitivement de leçon. Un dialogue avec des institutions qui cherchent à nous faire taire semble nécessairement voué à l’échec.

Basse Fréquence

Crédit photo - © D.Velez-Photomobile/2019

Note

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