Les faits rapportés dans cet entretien peuvent choquer. Ils sont malheureusement confirmés par les témoignages de plusieurs dizaines de jeunes qui luttent au sein du collectif AutonoMIE pour faire reconnaître leurs droits.
- Est ce que tu veux te présenter un petit peu et nous dire comment ça s’est passé quand t’es arrivé à Toulouse ?
Je suis arrivé d’Espagne. J’ai pas voulu rester là bas, parce que je voulais pas rester quelque part où je comprenais pas la langue. La destination dès le départ pour moi c’était la France, parce que c’est tout bête mais moi on m’a toujours appris que c’était le pays des droits de l’homme, une terre d’asile. C’est cette image que j’avais de la France.
Ce qu’il faut savoir c’est que je suis venu avec un ami, qui est mort pendant la traversée. Je suis arrivé en gare Matabiau, je connaissais personne. Tout était différent pour moi, je voyais plein de gens... C’est pas comme en Afrique quoi, tout le monde va a ses activités, personne se salue. J’avais un peu peur de parler aux gens. J’ai rencontré une dame, une Centrafricaine, j’ai parlé avec elle, j’ai raconté ma situation. Elle m’a dit que j’avais la possibilité d’aller au Conseil Général. Elle m’y a conduit, et là-bas ils m’ont dit qu’ils venaient de créer un organisme, le DDAEOMIE. Je suis arrivé au DDAEOMIE quelques jours après son ouverture.
En juillet dernier, le Conseil Général de la Haute Garonne annonce qu’il va déléguer à un organisme privé la sous-traitance de ce qu’il faut bien appeler le tri des mineur·es isolé·es étranger·es. Le DDAEOMIE, Dispositif départemental d’Accueil, d’Evaluation et d’Orientation des Mineurs Isolés Etrangers, ouvre ses portes le 4 juillet 2016. Géré par l’ANRAS, une association nationale conventionnée par l’État, le fonctionnement du centre présente de troublantes similitudes avec celle d’une garde à vue : les jeunes y sont enfermé-es et auditionné-es à de multiples reprises dans une enquête menée exclusivement à charge. 85% des jeunes en sortent avec une "suspicion de majorité", permettant à l’État de les mettre à la rue. Plus de 180 adolescent-es ont ainsi été abandonné-es à leur sort en Haute Garonne depuis la création du DDAEOMIE.- C’était cet été ?
C’était le 13 juillet, si je me rappelle bien. Je suis arrivé le 11. Dès que je suis arrivé là bas ils m’ont orienté vers le DDAEOMIE. Ce qui était un peu bizarre, c’est que directement le jour où t’arrives ils commencent à te poser des questions. Je m’attendais pas à ça.
Y’avait pas plus de dix jeunes. Le premier jour où je suis arrivé ils ont fait l’inventaire de ce que j’avais. J’avais rien, juste un habit et un petit sac. Ils m’ont dit que je devais rencontrer quelqu’un qui allait évaluer mon parcours, et qu’en fonction de ça je serai pris en charge ou pas.
- Est-ce qu’ils t’ont dit qu’ils allaient évaluer ton âge ?
Non ils m’ont rien dit. Je pensais que c’était juste pour évaluer mon parcours. Mais la manière de me poser des questions... C’était comme un interrogatoire de police en fait. Comme si j’avais fait quelque chose. C’est le ressenti que j’avais en fait. Tous les jours il fallait qu’on te repose la même question. Mais moi je venais de vivre quelque chose qui était très dramatique. Je suis venu avec un ami que j’ai vu mourir. On s’occupait pas de moi, de ce que j’avais pu traverser. Je suis arrivé et j’ai été directement interrogé. Plusieurs fois.
« Comme une prison »
J’étais stressé dans cet environnement, j’arrivais plus à dormir, je me sentais de plus en plus mal. Au bout de trois jours comme ça je leur ai dit que je me sentais pas bien, que j’arrivais pas à dormir, que j’avais des images du trajet qui revenaient tout le temps...
Trois jours plus tard, un dimanche, en allant au Flunch, j’ai perdu connaissance au milieu de la route. Ca n’allait vraiment pas. C’est comme ça que j’ai été amené aux Urgences à Purpan.
- C’étaient quoi les questions qu’ils te posaient plusieurs fois par jour ?
Ta date de naissance, le nom de ton père et de ta mère, par quelles villes t’es passé pour venir, il fallait tout savoir en fait. Parfois on peut te dire des choses comme : tu parles pas comme un mineur, tu parles trop bien pour un mineur. Ils ont dit aussi que j’étais trop timide, trop réservé dans mon coin, que je me mélangeais pas trop au groupe, comme si j’avais des choses à cacher. Mais vu mon parcours, vu tout ce que j’ai traversé, je vais pas arriver là et parler à tout le monde !
Là-bas moi j’ai l’impression qu’ils ont que des clichés dans la tête en fait. Si tu parles bien français par exemple, t’es pas mineur. Je sais pas comment un mineur camerounais est censé parler. Je sais pas, il faut être bête peut-être.
Ils s’en foutent du parcours que t’as pu avoir, leur problème c’est de trouver une petite raison pour prouver que t’es pas mineur. C’est pas tellement pour écouter ce que t’as à dire en fait. T’as l’impression que c’est un jeu pour eux. Il faut juste trouver une raison pour dire : lui il est pas mineur.
Par exemple il y a des gens qui se trompaient sur la date de naissance de leurs parents, c’est possible, en Afrique on nous demande pas en fait. Moi par exemple on me demande le jour du décès de mes parents. Je connais l’année, le mois, mais j’ai pas besoin de connaître le jour ! Mais il faut que tu saches ça en fait.
Tous les jeunes qui étaient là ils se sentaient vraiment, vraiment mal dans cet environnement. On avait l’impression d’être des gens suspects, d’avoir fait quelque chose de mal, je sais pas comment expliquer ça. C’était vraiment comme un interrogatoire de police. Et on ne pouvait pas sortir.
On achève bien les mineur·es isolé·es étranger·es
L’État français a un problème avec les mineur·es isolé·es étranger·es. Avant d’être des étranger·es, ce sont des mineur·es, à ce titre protégé·es par la Convention internationale des droits de l’enfant que la France a promulguée il y a maintenant 28 ans. Alors, pour faire de ces enfants des sans-papiers comme les autres, l’État n’hésite plus, depuis juillet dernier, à les enfermer dans des centres, les DDAEOMIE, où des éducateur·ices zélé·es ont pour mission de déclarer majeur·es au moins 80% d’entre elleux. Et pour cela, toutes les méthodes sont bonnes : interrogatoires, menaces, humiliations, comptage de dents, test osseux... Si bien que ces jeunes, qui ont survécu à l’enfer de la traversée, deviennent en France des candidat-es au suicide. Jean, 16 ans, originaire du Cameroun, a accepté de témoigner.