Émanciper nos luttes d’Instagram et TikTok

Comme partout à travers le monde, les exemples français récents de la suppression du compte Instagram « Cerveaux non disponibles » et de la censure de l’application TikTok lors de l’insurrection kanak doivent nous faire réagir. Quand la population arrive à retourner un outil du système contre le système, le pouvoir contre-attaque et interdit cet outil. Une fois la censure en place, il est bien tard et bien plus compliqué de riposter. Petit début de piste pour changer d’urgence nos pratiques, avant qu’il ne soit trop tard…

Parce qu’ils sont des machines à fric dégueulasses et parties prenantes du système capitaliste ; parce que leur course permanente au buzz pour nous garder notre attention nuit à la qualité des informations, des échanges et des réflexions ; parce qu’ils permettent une surveillance de masse… les réseaux sociaux de masse ne sont pas et ne seront jamais nos alliés ! D’innombrables critiques très justes ont déjà été faites pour démontrer comment et pourquoi ce sont nos ennemis. Ce texte n’a donc pas pour but d’ajouter une critique de plus, mais d’alarmer : on attend quoi pour réagir face à ça ?

Médias et blogs indépendants, collaboratifs et sécurisés (réseau Mutu, Indymedia, Noblogs, Autistici…) ; messageries chiffrées (Signal, Element, mails Riseup/Autistici/Disroot…) ; agendas militants et/ou participatifs (Demosphere, Mobilizon...), agrégateurs de flux RSS pour s’informer (FreshRSS, Feeder, Thunderbird...), réseaux sociaux anonymes et sans but lucratif (Mastodon, Peertube, Pixelfed…), hébergeurs militants pour ne pas confier ses données à des multinationales (Disroot, Framasoft, Crabgrass…). Les alternatives sont déjà là, les raisons de les préférer aux GAFAM & co ne sont plus à démontrer.

Au sein des mouvements militants, les (rares) débats sur le fait d’être ou non sur les réseaux sociaux de masse sont biaisés. Pour des raisons de visibilité et d’efficacité, beaucoup font le choix de les investir. Ce n’est pas un problème majeur d’utiliser les réseaux sociaux comme de simples outils. Le problème, c’est de rendre nos luttes dépendantes de ces outils. Il faut repenser nos usages militants des réseaux sociaux pour qu’ils cessent d’être indispensables dans nos manières de nous organiser. Actuellement, à part quelques collectifs et personnes assez isolé·es, le schéma dominant au sein de nos luttes c’est de publier nos informations/communications directement comme contenus sur Insta, TikTok, Twitter… Trop peu de personnes « militantes » prennent leurs responsabilités pour s’attaquer à l’hégémonie des réseaux sociaux qu’elles utilisent à tout-va, faisant peser toute la charge de la lutte contre cette hégémonie sur une minorité de gens sensibles à ce sujet. On ne s’en émancipera jamais de cette manière.

À chaque fois qu’on fait de ces réseaux nos canaux principaux de visibilisation de nos luttes, on leur donne un immense pouvoir de contrôle sur nous. On leur donne la possibilité de décider de notre (in)visibilisation. On est en plein remake de la Servitude Volontaire version 2.0. Collectivement et individuellement, est-ce qu’on compte attendre sagement toujours plus de contrôle et de censure sans rien faire ? Ou va-t-on prendre enfin acte que ces dangers sont inévitables et agir en conséquence ? Face à la répression politique, n’y a-t-il vraiment rien de mieux à faire qu’attendre passivement de la subir pour ensuite adopter des positions et discours victimaires ?

Un bon début d’émancipation vis-à-vis d’Instagram, Snapchat, Facebook, TikTok, Whatsapp, Twitter & co, ce serait de veiller à systématiquement : 1) utiliser une/des alternatives existantes 2) visibiliser ces alternatives pour celles et ceux qui ne les utilisent pas encore pour les encourager à arrêter d’utiliser les réseaux sociaux de masse. Dans toutes nos communications et notre organisation militante, il est important que les réseaux sociaux de masse soient uniquement des espaces de relais de contenus venant d’outils alternatifs, et non des espaces de création de contenus. Par exemple : écrire un post sur un blog collaboratif ou sur Mastodon plutôt que sur Instagram ou Twitter ou Facebook, et ensuite partager le lien de ce posts sur ces différents réseaux. Pareil pour une vidéo qui peut être uploadée sur un site militant ou sur Peertube avant d’être repartagée sur TikTok, Snapchat…

Les mouvements sociaux de masse ont existé bien avant les réseaux sociaux de masse. Ça devrait nous donner un peu de confiance, de motivation et d’inventivité pour tenter de sortir collectivement de ce piège.

Gros soutien avec toutes celles et ceux qui font face à la censure et à la répression 👊

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