Ce texte émerge d’un questionnement, d’une réflexion sur l’état des lieux du camp révolutionnaire, de ceux qui cherchent à rompre radicalement avec l’ordre existant. En effet, nos idées ne peuvent se développer que dans une compréhension plus vaste des évolutions historiques et des étapes que traversent la France dans les reconfigurations de l’affrontement de classe.
Notre première observation est que notre capacité à agir matériellement diminue. Nous ne sommes presque pas ou plus à l’initiative (en manif, dans les facs, dans les mobilisations de manière générale). Tout se passe comme si notre camp n’existait plus que par l’organisation d’évènements type festivals, conférences, projections. Comme si notre camp n’existait plus, ou principalement, que par des manifestations symboliques. Cette évolution dans les pratiques s’observe chez de nombreux groupes, qui multiplient les conférences et participation à des journées d’échange, sans qu’on puisse en voir les effets réels de diffusion d’idées, de radicalisation ou dans les objectifs visés par de telles actions.
Le déplacement de l’affrontement de classe sur un terrain idéologique amène selon nous des luttes essentiellement symboliques. Même l’opposition à l’expulsion de l’occupation de la place de la République se place dans cette continuité, visant à créer un scandale médiatique autour de celle-ci plutôt que de contrecarrer réellement l’action des forces de l’ordre sur le terrain. En définitive, cela signifie également une absorption au sein de la gauche réformiste (l’influence de LFI est un bel exemple à cet égard), et une difficulté à définir notre propre agenda révolutionnaire.
De notre point de vue, ce basculement résulte, entre autres, de la sur-représentation des classes moyennes “bobo” dans nos luttes, pour le dire autrement, de l’absence de la question de classe dans les débats stratégiques des groupes en action. Il y a fort à parier que nos luttes seront d’autant plus investies par les travailleurs et les dépossédés si nous construisons des actions concrètes, engageant un rapport de force matériel, au lieu de s’inscrire dans le symbole et la bataille des idées. Nous refusons donc une approche sur-déterministe. Les évolutions de groupes qui cherchent ou qui ont cherché à incarner une rupture radicale dans le temps présent résultent d’orientations conscientes et stratégiques, qui doivent être débattues. La première étape est la conscience de ce qui se passe, la seconde la réflexion sur comment sortir de l’impasse. Ce court texte est loin d’être complet, sans doute caricatural à certains égards, il appelle donc également réponses, points de vue complémentaires, prolongements et oppositions.
Pour finir, nous tenons à rappeler brièvement la situation de la France en Europe en termes de luttes sociale. La fréquence, l’ampleur et la conflictualité des mouvements et mobilisations sociales de la dernière décennie place la France aux avant-postes du processus révolutionnaire en Europe. C’est précisément parce que nous bénéficions d’une politisation de masse de la jeunesse et de l’ensemble de la société, précisément parce que nous avons des espaces où construire un mouvement révolutionnaire qu’il ne faut pas céder à la tentation de la bataille idéologique. Le processus en cours est historique, ne le laissons pas partir sans nous.
Pour conclure, nous revendiquons l’organisation révolutionnaire et la capacité à entrer en conflit avec le pouvoir. Nous considérons par exemple que notre capacité à tenir réellement la police à distance n’est pas de l’ordre du souhaitable mais de l’ordre du nécessaire. Nous pensons qu’il est grand temps de nous questionner sur ce lent déclin de notre capacité à agir, allant de pair avec notre compromission avec la gauche.