Pour commencer, je tiens à préciser que je n’ai bien sûr aucun lien avec l’industrie pharmaceutique, je travaille dans un tout autre domaine, je m’exprime ici avant tout en tant que militant révolutionnaire en direction de mes ami.e.s et camarades de luttes.
Pour être tout à fait honnête, je n’ai pas non plus de formation universitaire particulière ni en médecine ni en biologie, mais passionné de sciences et touché comme tout le monde par cette pandémie, je passe énormément de temps depuis le mois de mars à examiner ce qui est publié au sujet de ce virus, autant ce qui relève de la vulgarisation que les articles dans les revues scientifiques à comité de lecture. Parmi la diversité de ces sources, je tiens particulièrement à mentionner la revue indépendante Prescrire (voir encadré) qui s’adresse en priorité aux soignant.e.s, mais dont les articles ne sont pas plus difficiles à comprendre que ceux d’un site relativement mainstream comme Doctissimo (tout en étant de bien meilleure qualité).
L’Association Mieux Prescrire, qui édite toutes les productions Prescrire, est une association de formation à but non lucratif (loi 1901). Elle s’est organisée pour être affranchie des influences des firmes, comme de celles des organismes chargés de l’organisation des systèmes de soins. La mission de Prescrire est inscrite dans l’Article 1 des statuts de l’Association Mieux Prescrire (AMP) : « Œuvrer, en toute indépendance, pour des soins de qualité, dans l’intérêt premier des patients. À cet effet, l’Association pourra prendre toute initiative et entreprendre toute action à des fins de formation des professionnels de santé, de sensibilisation, d’information, et d’amélioration des pratiques. » (...)
Prescrire est financé à 100 % par les abonnés, sans aucune ressource publicitaire, ni subvention, ni actionnaire. Les choix rédactionnels ne sont ainsi guidés que par leur utilité pratique pour des professionnels de santé en contact quotidien avec des patients.
- Lire notamment la Charte « Non merci... » visant à prévenir l’association et la revue des risques de conflits d’intérêts [1]
Des doutes légitimes...
Que les choses soient claires : pas question ici de tomber dans la grossière manipulation du gouvernement visant à opposer « anti-vaccins » obscurantistes et « pro-vaccins » éclairés. Comme l’explique très bien cet article de la revue Fractale, cette mise en scène sert avant tout l’agenda politique de la macronie et vise à saturer le débat public afin de faire oublier l’incurie du gouvernement depuis le début de la crise sanitaire.
Alors oui, il y a quantité de raisons légitimes de douter de ces nouveaux vaccins, c’est même une réaction plutôt saine et rassurante quand on voit l’accumulation des scandales sanitaires au cours des dernières décennies, le cynisme habituel de l’industrie pharmaceutique et la tendance générale des États à privilégier la croissance et l’activité économique à court terme plutôt que la vie et la santé des populations sur le long terme (cf le réchauffement climatique).
Dès lors, l’hypothèse d’un développement à la va-vite des vaccins anti-covid par le biais (entre-autres) de la nouvelle technologie ARN sur le mode « apprentis-sorciers », dans l’unique but de relancer au plus vite la machine économique infernale et au mépris des conséquences éventuelles sur le long terme, n’a rien d’absurde ni de complotiste. De même, il est évident que les principaux bénéficiaires du déploiement des vaccins sont les actionnaires des firmes Pfizer, Moderna, Astrazeneca etc. Ces vaccins sont effectivement bien des produits capitalistes, qui génèrent d’énormes profits. Mais à la différence de bien d’autres produits capitalistes, ces derniers sont scrutés à la loupe par l’ensemble de la communauté scientifique, à l’échelle mondiale.
Mais, me direz-vous, les liens de certains scientifiques avec l’industrie pharmaceutique ne sont plus à démontrer et plus généralement, il est également vrai qu’une importante partie de l’activité scientifique mondiale sert désormais des intérêts privés, souvent à l’encontre du bien commun. Dans notre monde, la vérité scientifique aurait-elle pour autant entièrement laissé sa place à la vérité capitaliste ? La recherche indépendante, les chercheurs et chercheuses passionné.e.s travaillant pour une meilleure compréhension de la nature et de nos sociétés, pour l’amélioration des conditions de vie sur terre, auraient donc complètement disparu de la surface de cette dernière ?
Heureusement non : même à l’ère des fake news généralisées et de la post-vérité, des millions de scientifiques à travers la planète persistent à appréhender les sujets auxquels ils sont confrontés avec rigueur et honnêteté intellectuelle. Cela ne les rends certes pas infaillibles, ils/elles demeurent des êtres humains, mais lorsqu’elle est collective, leur action constitue un des plus puissant gardes-fous face aux graves conséquences de la marchandisation des savoirs.
… mais un rapport bénéfice/risque largement favorable !
Ces scientifiques, que nous disent-ils des vaccins anti-covid actuellement déployés ? Comme pour tous les produits pharmaceutiques, ils sont évalués sous le prisme du rapport bénéfice/risque. Sur le court et le moyen terme, ce rapport est indiscutablement en faveur des bénéfices des vaccins : ces derniers ont été testé sur plusieurs dizaines de milliers de personnes depuis 6 mois et celui de Pfizer a été injecté à plusieurs millions de personnes depuis quelques semaines, sans qu’aucun événement dramatique ne survienne, tout en réduisant significativement le risque d’attraper la maladie et encore plus de développer une forme grave. C’est statistiquement des chiffres très solides et très rassurants. Une personne qui se fait vacciner aujourd’hui a ainsi bien plus de risques dans les prochaines semaines de glisser sur une peau de banane que d’avoir le moindre problème à cause du vaccin.
La question qui se pose bien évidemment est celle des éventuels effets indésirables sur le long terme. Sur ce point, il sera bien sûr impossible de donner une réponse ferme et définitive tant que nous n’auront pas un recul de plusieurs années. Pour autant, si le risque 0 par définition n’existe pas, la communauté scientifique se prononce très largement en faveur d’un rapport bénéfice/risque préconisant l’utilisation de ces vaccins. Là encore, cette position ne sort pas de nulle part, elle se base sur des arguments solides et dépasse largement le cercle des scientifiques travaillant dans l’industrie pharmaceutique : la communauté scientifique à l’échelle mondiale a étudié très attentivement ce que contiennent ces vaccins et comment ils agissent sur l’organisme, ils en ont conclu que d’éventuels effets indésirables graves sur le long terme étaient hautement improbables, et qu’en regard des effets sur le long terme de la pandémie, si cette dernière venait à se prolonger durant des années, c’est à peu près certain que les conséquences seraient bien plus dramatiques.
Les récentes évolutions de l’épidémie, avec l’apparition de nouvelles variantes encore plus contagieuses, renforcent encore un peu plus cette position [2].
Je ne m’attarderai pas plus longtemps sur cette mise en évidence du rapport bénéfice/risque en faveur du vaccin tant à l’échelle individuelle qu’à celle de la société, des scientifiques honnêtes et sérieux le font bien mieux que moi, leurs explications détaillées sont facilement trouvables sur internet et ailleurs (par exemple ici). Je voudrais surtout insister sur l’intérêt de se faire vacciner dans le cadre nos activités militantes, de nos luttes contre le capitalisme destructeur de la planète, pour l’égalité et la justice sociale.
Se faire vacciner, pour reprendre au plus vite le chemin de l’action collective, par une organisation à la base
En plus de toutes les conséquences catastrophiques de la pandémie que ce soit sur le plan social, humain, psychologique… la situation actuelle est aussi surtout catastrophique pour nos luttes. Malgré l’investissement par les militant.e.s d’une multitude d’outils d’organisation à distance, rien ne pourra jamais remplacer les cadres collectifs physiques qui nous permettent de nous constituer en force politique autonome.
Il y a bien eu lors du premier confinement la formidable expérience des Brigades de Solidarité Populaire, mais l’ancrage de la crise dans la durée et le régime de semi-confinement ou de couvre-feu semblent avoir eu raison de cette dynamique…
Alors certes, les manifs ne se sont pas arrêtées, nous continuons de descendre régulièrement dans la rue et parfois de la tenir face aux flics, mais quid des réunions publiques, des assemblées et moments de discussions qui nous permettent d’établir des cadres d’organisation à la base ?
Combien de collectifs qui comptaient sur les concerts et les soirées de soutiens pour se financer se retrouvent dans la merde depuis presque un an ? Combien de rencontres fortuites, d’amitiés politiques, de collectifs informels qui se constituent lors de ces occasions (ou autour d’une bière dans un bar après une manif ) ?
Les organisations politiques qui résistent le mieux à la situation actuelle sont celles qui sont le plus hiérarchisées, dont les membres se contentent d’obéir aux mots d’ordres de leurs petits chefs. Prônant de notre côté une organisation horizontale et il faut le reconnaître parfois diffuse, la pandémie nous affaiblit ainsi énormément bien plus qu’elle n’affaiblit nos ennemis.
Y mettre fin au plus vite est un impératif, afin de reprendre au plus vite le chemin des luttes et de l’action collective, sur des bases politiques et matérielles qui se veulent autonomes.
Dans cette perspective, la vaccination massive apparaît non seulement comme la seule solution permettant d’y parvenir en quelques mois, mais aussi comme un moyen de reprendre d’ici là progressivement les rencontres militantes physiques sans mettre en danger les personnes à risque [3].
Il est important de prendre conscience que le temps joue contre nous : moins nous nous retrouvons, plus nos ennemis se renforcent. La crise sanitaire a peut-être mis en suspend les réformes des retraites et de l’assurance chômage, mais la stratégie du choc bat son plein du côté du durcissement des lois sécuritaires ("sécurité globale" et "séparatismes" notamment). Notre capacité à lutter, déjà mise à mal par la précarité économique et la répression depuis des années, s’amenuise chaque semaine à mesure que les liens militants se distendent.
Pourtant, 2021 nous promet des moments importants : entre autre les 150 ans de la Commune de Paris ou encore la tournée européenne d’une délégation zapatiste cet été. Allons-nous commémorer l’insurrection du 18 mars totalement ou à moitié confiné.e.s, avec au mieux une banderole déployée à Montmartre et des mèmes de Louise Michel pour se consoler ? Allons-nous accueillir les compagner@s arrivant du Chiapas dans des salles à moitié vide, avec prise de température obligatoire à l’entrée ?
Contre l’obligation vaccinale, pour l’éducation populaire aux sciences
Si je plaide ici en faveur de la vaccination contre le covid-19, loin de moi bien sûr l’idée d’envisager une quelconque forme d’obligation vaccinale, que ce soit de la part de l’État, d’entreprises privées (par exemples les compagnies aériennes qui envisagent de refuser des passagers qui ne seraient pas vaccinés) ou – bien que cela reste improbable – de la part de nos milieux militants (qui pourraient par exemple être tentés dans certains cas de demander à ce que les participant.e.s d’une rencontre ou d’une réunion soient vacciné.e.s). L’obligation vaccinale de manière générale n’est pas envisageable d’un point de vue anti-autoritaire, bien que le refus absolu de se faire vacciner dans certains cas interroge également en termes de mise en danger d’autrui [4].
Je profite néanmoins de ce texte pour évoquer brièvement un problème qui dépasse largement la question de la vaccination : celui du manque d’intérêt général des militant-e-s anticapitalistes révolutionnaires pour les questions scientifiques.
À l’exception de certains acteurs des luttes environnementales, qui réalisent parfois des contre-expertises extrêmement pointues face au discours scientifique dominant au service du pouvoir économique, bien peu de militant-e-s font appel aux sciences dites « dures » dans le cadre de leur activité politique (contrairement aux sciences humaines et sociales qui imprègnent aujourd’hui très largement les prises de positions révolutionnaires). Pourtant, ces sciences « dures » sont tout sauf neutres politiquement, et il existe un véritable enjeu à s’en emparer dans le cadre de notre action politique. Les découvertes de la science méritent en effet d’être reprises en main collectivement : pas dans le but d’interpréter politiquement des résultats scientifiques (on s’éloignerait de cette façon de l’honnête recherche de connaissances), mais afin de mieux appréhender l’application politique de ces derniers.
Pour permettre cela, un long travail d’éducation populaire reste nécessaire. Ce que j’entends par là, ce n’est pas que tou-te-s les militant-e-s doivent devenir des experts en physique ou en biochimie, mais qu’une familiarisation avec les principales notions des différentes sciences ainsi que de leurs méthodes peut s’avérer extrêmement utile politiquement (la preuve en est avec la situation sanitaire actuelle).
Pour illustrer cette idée, je terminerai par un exemple qui me semble particulièrement pertinent : de la même manière que des générations de féministes se sont battues (et se battent encore) pour que les femmes comprennent grâce aux progrès de la médecine le fonctionnement de leur corps et puissent ainsi choisir des moyens de contraception, nous avons tout intérêt à essayer de comprendre ce que les sciences en général nous disent du monde dans lequel on vit, dans l’espoir d’y trouver des outils pour mieux réussir à le changer.
Edmond le Renard