Tout comme le mouvement contre la loi travail a été un tournant des luttes sociales dans plusieurs métropoles de l’État français, le procès pour l’incendie de la voiture de police du quai de Valmy est un tournant de la répression.
L’interpellation, l’incarcération, le procès des personnes mises en examen, sont symboliques du contexte d’escalade répressive, sécuritaire, à l’œuvre ces 5 dernières années et plus particulièrement depuis la proclamation de l’état d’urgence.
Les événements sont survenus le 18 mai 2016, à un moment qui constituait déjà, en soi, tout un symbole : après plusieurs mois d’une répression violente du mouvement contre la loi travail, après plusieurs semaines de grèves et de Nuits debout, la police entendait reprendre la rue et avait, pour mettre en scène cela, entièrement privatisé la place de la République, appuyés par plusieurs figures de la droite dure et du Front national.
Un contre-rassemblement à l’appel d’Urgence notre police assassine (un collectif de familles victimes de violences policières) s’est tenu le jour même, en réponse à cette provocation ; déposé en préfecture, le rassemblement a été interdit et violemment dispersé à coup de tonfas et de gaz lacrymogènes après quelques dizaines de minutes. Une voiture de police a alors été prise a partie quai Valmy par la foule hétérogène qui s’était fait chasser des abords de la place de la République. Quelques heures plus tard, puis le lendemain, quatre personnes sont interpellées dans le cadre de « l’affaire de la voiture brûlée ».
Elles sont désormais neuf sur le banc des accusés. Médias dominants, syndicats de police, parlementaires, les tenants de l’ordre capitaliste n’ont eu de cesse de réclamer qu’on punisse durement les « coupables » : il s’agissait coûte que coûte de faire pression sur l’ensemble du mouvement pour le soumettre et permettre le passage en force gouvernemental de la réforme du code du travail.
Toute cette affaire est d’abord et avant tout une vengeance d’État, une tentative de criminalisation du mouvement contre la loi travail dans son ensemble. Pendant des semaines, de manifestation en manifestation, une proportion grandissante des participants a tenté de renouveler les formes de la résistance sociale, a remis en cause l’autorité de la police, de l’État, a mis en échec des dispositifs répressifs, a tenu à distance, voire repoussé, les escadrons de police qui attaquaient les blocages de lycées, qui tentaient de vider les places occupées, de couper les manifs, d’intimider, de frapper, de mutiler, d’interpeller. L’État a eu besoin de coupables, d’individus à isoler de la masse d’un mouvement qui a su pourtant resté solidaire et déterminé, et cela bien avant le 18 mai : combien de camarades, d’amis, de sympathisants, de journalistes indépendants ont reçu à leur domicile des interdictions de manifester, de se déplacer, parce qu’ils et elles auraient « été aperçus a des manifestations qui ont dégénéré » ? Avec l’état d’urgence, les manifestations interdites, la méthode des assignations à résidence s’est banalisée ; ainsi, la perspective de l’incarcération est considérablement plus proche pour chacun d’entre nous, à partir du moment où l’on peut être entravé physiquement sur la base d’un fichage qui vise directement les manifestants.
Là encore, l’affaire du quai de Valmy est exemplaire : avant le 18 mai, plusieurs des accusés avaient été interdits de manifester, sur la base de notes blanches des services de renseignement de la préfecture de Paris ; c’est sur la base de ces interdictions de manifester, pourtant rapidement invalidées devant les tribunaux, qu’une partie des accusés est interpellée, perquisitionnée et incarcérée. Par la suite, certaines accusations ont été motivées sur les seules dires d’un « témoin anonyme », qui s’est avéré être un policier des renseignements de la préfecture de Paris. Tout cela implique qu’en amont, c’est le renseignement qui produit les suspects, qui façonne les coupables idéaux, dans des notes et des directives pseudo-confidentielles. Et ensuite, en bout de chaîne, c’est l’institution judiciaire qui produit le récit à même de les faire condamner – récit qui s’appuie le plus souvent sur des preuves visuelles très douteuses, du renseignement, du témoignage anonyme. Par ailleurs, il est évident que cette campagne répressive a été orchestrée dans l’urgence médiatique, rythmée par les exigences de syndicats de police.
La radicalisation de la police est accompagnée par le pouvoir, par le maillage entre le renseignement, le garde des sceaux et l’institution policière. Et il faut bien comprendre que ces méthodes ne sont pas nouvelles : elle ont été élaborées dans ces laboratoires de la répression que sont les quartiers populaires. C’est dans ces quartiers que sont redéployées et perfectionnées depuis des décennies les vieilles méthodes contre-insurrectionnelles et coloniales, la systématisation des indic, le profilage (raciste en l’occurrence) des suspects, et que les caprices des syndicats de police ou le lynchage médiatique et politique se manifestent avec force.
Pour le dire autrement, ce qui était jusqu’ici une simple exception à la légalité bourgeoise – le traitement des populations issues de l’immigration ouvrière post-coloniale – est en passe de devenir la norme en matière de gestion de la contestation sociale. Des manifs de flics armés, masqués et marchant sur l’Élysée en octobre 2016, jusqu’aux lois renforçant le permis de tuer – mais offrant aussi et surtout à la police la possibilité de contrôler l’activité des juges –, en passant par l’inscription de l’état d’urgence dans le droit commun (en discussion à l’assemblée dès septembre), loin du « changement » qu’on nous vend à chaque élection, la Ve République renoue de plus en plus ouvertement avec ses origines putschistes et coloniales. Le procès de l’affaire du quai de Valmy met tout cela en jeu, mais pas seulement.
En cette rentrée 2017, le monde du travail, le mouvement social et la jeunesse préparent une contre-offensive face à la nouvelle attaque néolibérale de Macron. La « loi travail XXL » représente un nouveau défi pour chacun d’entre nous, un défi que nous devons relever.
Mais pour cela nous partons avec le bilan du précédent mouvement : une série d’expériences majeures d’occupation des places et de la rue, mais aussi la défaite, une répression brutale et une criminalisation toujours en cours. Si le mouvement se désintéresse du fait que des militants, des sympathisants, sont en prison ou risquent d’y retourner, alors la détermination de chacun d’entre nous risque d’être durement affectée pour affronter les épreuves et les expériences de lutte à venir.
Avec le durcissement de la répression, cette idée n’est pas seulement valable pour les soi-disant « autonomes », « antifascistes » ou pour le « cortège de tête ». Des syndicalistes aux lycéens, en passant par les personnes récemment politisées, n’importe qui peut perdre un œil, se faire mutiler, tabasser, interpeller et, désormais, jeter en prison, selon le bon vouloir de la préfecture de police.
Ce qui est donc nécessaire dès aujourd’hui, c’est de déborder la bataille judiciaire, d’en faire un vrai parcours de lutte contre la répression, qui s’articule avec les mouvements de lutte contre la précarisation continue de nos vies.
La lutte anti-répression, ce n’est pas seulement essuyer les plâtres à la fin des mouvements. C’est aussi un moyen de mettre en accusation l’État, de proposer d’autres manières de s’organiser, de faire naître d’autres rencontres, d’autre solidarités, d’autres moments politiques qui soient à la mesure de l’époque que nous vivons.
LIBÉRONS-LES
Collectif militant contre la répression, en lutte pour la libération et l’abandon des poursuites à l’encontre de tous les inculpés du mouvement social
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