« Bouches cousues » ; Résistons ensemble, n° 150, mars 2016

Le bulletin n° 150, mars 2016 du petit journal mobile recto-verso A4 du réseau Résistons ensemble contre les violences policières et sécuritaires est sorti. Pour lire l’intégralité et télécharger ce bulletin mis en page au format pdf : http://resistons.lautre.net/spip.php?article560.

RESISTONS ENSEMBLE / bulletin numéro 150 / mars 2016

« Bouches cousues »


Ils vous regardent, ils nous regardent, en plein dans les yeux, la photo est bonne. Ils sont huit, ils sont iraniens, incapables désormais de manger, de boire, de crier ou de parler, car ils se sont cousu la bouche. En zigzag, avec des grosses aiguilles, méticuleusement. Ils étaient parmi les premiers à être chassés de la « jungle » de Calais à coups de bulldozers entourés d’une armada de CRS.
Leur message vaut mille affiches, tracts, déclarations, mille analyses. Ce sont les bombardements, les meurtres d’Irak et de Syrie, d’Érythrée, d’Afghanistan, du Yémen… qu’ils nous envoient dans la gueule. Ils nous disent attention, votre pays, un des piliers de la barbarie mondiale, est en train de faire naufrage. Les bulldozers des CRS qui éventrent nos pauvres tentes, cabanes, notre école, nos boutiques en tissu, notre bric-à-brac, une fois lancés, vont se retourner contre vous, contre vos maisons, contre vos enfants.
Les barbelés qui s’installent aux frontières, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’« Union », les bateaux de guerre qui patrouillent sur les eaux bleues de la Méditerranée nous chassent, mais ils se préparent à vous chasser, vous aussi. Les 10 000 mineurs réfugiés « disparus » en Europe sont devenus esclaves au travail, esclaves sexuel. C’est le sort que la barbarie mondiale prépare pour vos enfants aussi. Nous ne sommes que des cobayes, plus mal traités que des animaux de laboratoire. Mais comme c’est toujours le cas avec les cobayes, les États expérimentent le traitement qui vise à être généralisé pour tous.
Chaque jour qui passe, les bulldozers grignotent la « jungle ». Pourtant il n’y pas grand monde. Justes des « Nos borders », venant aussi de l’autre côté de la Manche, des organisations humanitaires, des habitants solidaires, des militants… tous courageux. Tout l’honneur est à eux. Mais où est l’armada des partis, les femmes et hommes de gôche, d’extrême gauche ? Où sont les syndicats alors que les bandes fascistes et la police agressent et violentent impunément les réfugiés ? Alors que leurs quelques soutiens sont traînés devant la justice ? À part quelques exceptions, ils pataugent tous, aveuglement dans les merdouilles électorales de 2017.
C’est clair, même si les batailles, comme celle contre le nouveau code de travail, sont justes, vitales, si ne nous élevons pas contre la barbarie dans et hors des frontières de l’Hexagone, si nous ne considérons pas, en paroles et en actes, les millions de réfugiés comme étant la chair de notre chair… nous partagerons, à terme, leur sort. Ils sont « trop nombreux », dit-on pour excuser l’inaction, mais, pas d’illusions, nous sommes, nous serons tous « trop nombreux » pour les monstres capitalistes.
Les 8 iraniens, ces bouches cousues, nous disent : « We are humans », « Where is your freedom ? » « Where is your democracy ? », « Nous sommes des humains, où est votre liberté ? Où est votre démocratie ? ». D’accord, ça fait mal de revenir aux nobles buts des siècles derniers, que beaucoup considéraient, à tort, comme des acquis, mais si on ne se concentre pas, ici et au-delà des frontières maudites, sans distinction d’origine ni de « race » ou de religion, sur ces objectifs « simples », on est fichu. L’aigle noir de la barbarie rode déjà, sans vergogne, impitoyable, dans nos cieux.

> [ Chronique d’un « état d’urgence » ]


L’état d’urgence est prolongé jusqu’au 26 mai prochain. Ainsi en a décidé le gouvernement. Ce pouvoir policier débridé a abouti à près de 3 400 perquisitions, quelques 344 gardes à vue et l’assignation à résidence de 290 personnes alors que seules 5 procédures ont été ouverte par le parquet antiterroriste.
3 mois de rab donc, le temps pour le gouvernement de préparer l’après « exception », c’est à dire l’inscription de ces possibilités liberticides spécifiques dans le quotidien. Ainsi les députés entamaient le 1er mars l’examen du projet de loi dit « antiterroriste » (voir RE 149) : modification des règles d’ouverture du feu des policiers, retenue administrative de quatre heures, généralisation des perquisitions de nuit, fouilles de bagages lors de contrôles d’identité, élargissement du recours à du matériel d’espionnage...
Une autre loi devrait être votée courant mars, celle-ci « relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs ». Prévenir de la présence de contrôleurs sera puni d’une peine de 2 mois de prison ferme et 3750 euros d’amendes. Les mutuelles de sans-ticket sont aussi dans le collimateur : 6 mois de prison et 45 000 euros d’amende, bref une grande offensive contre les précaires des transports en commun.
Incivilités, fraude ou acte terroriste, tout s’y retrouve pèle mêle. L’amalgame est révélateur. À quoi ont abouti les multiples lois votées sous prétexte d’« antiterrorisme » dans les années passées ? Témoignage sous X, fichage ADN, délit de hall d’immeuble, prison pour les fraudeurs habituels, répression des mineurs… des lois pour criminaliser les quartiers populaires, les pauvres, les mouvements sociaux. Encore une fois la mécanique est la même, l’État se donne les moyens de museler les récalcitrants, de contenir toute résistance face à l’inacceptable, à l’heure où il répond par la violence au drame humain que vivent les migrants de Calais, à l’heure encore où il accompagne le patronat dans une autre violence, celle de la casse du droit du travail.
Dans un troisième projet de loi sur « la négociation collective, le travail et l’emploi », le gouvernement prévoit notamment d’élargir les conditions du licenciement économique, d’augmenter la durée maximale du temps de travail, un décompte du nombre d’heures sur trois ans, des accords de maintien dans l’emploi entrés en vigueur en 2013 durci avec une flexibilité des horaires accrue, et un licenciement pour « cause réelle et sérieuse » pour les mécontents…

État d’urgence : violences au quotidien
Mais l’instauration de l’état d’urgence et le vote des lois antiterroristes a aussi pour effet d’accroître et de durcir les violences policières et sécuritaires vécues au quotidien (voir RE 148 et 149). Des preuves supplémentaires ? Nous avons reçu ce dernier mois, sur l’adresse du réseau, un nombre inhabituel de témoignages, le scénario est connu, mais les violences semblent sans limites : les flics ou les vigiles privés (grands magasins) ou des transports (SUGE) tabassent et insultent sans vergogne, masquant leurs méfaits par des plaintes pour outrage qui transforment les victimes en coupables et, avec la collaboration de la justice, paralysent tout espoir de réaction à ces injustices.
De plus à Poitiers, une dame de 72 ans qui participait à une manif pour protester contre l’abattage de 98 arbres dans son quartier, a été attrapée, bloquée au sol, embarquée et enfermée plusieurs heures au comico.
À Mulhouse, le 22 février, lors d’une manif devant le bâtiment de Pôle Emploi qui recevait la visite des ministres en charge de présenter la nouvelle loi sur le travail, un syndicaliste de 69 ans a crié « Valls je t’emmerde » et « CRS SS » : il s’est retrouvé 19 heures en GAV et condamné à payer 250 euros d’amende.
Le 3 février, gare d’Austerlitz à Paris, les flics s’en sont pris à un agent SNCF qui fumait une cigarette durant sa pause ; ils lui ont signifié que la zone était non-fumeur, il s’est permis de remarquer que tout le monde fumait là et qu’il y avait même un cendrier : il s’est retrouvé 44 heures en GAV et un procès sur le dos.
Jeudi 18 février, Paris 18e, des flics interpellent deux élèves devant leur collège, l’un d’entre aux âgé de 13 ans a été percuté par leur voiture, frappé et humilié devant ses camarades et des passants sous le choc, provoquant la colère des profs du collège.
Une femme est morte, tuée par l’arme de service d’un flic, son ex-compagnon. En cause ?L’assouplissement du port d’arme depuis l’instauration de l’état d’urgence qui autorise les flics à conserver leur arme en dehors du service.
Les tensions montent aussi dans les centres de rétention qui ne désemplissent pas depuis plusieurs mois à cause notamment de la politique d’expulsion totalement irrationnelle menée dans le camps de Calais : dans le CRA de Rennes, après qu’une jeune femme ait fait une fausse couche et qu’un homme ait tenté de se pendre avec ses lacets, les retenus se sont lancés, le 24 février, dans une grève de la faim pour réclamer leur liberté ; dans ceux du Mesnil Amelot, des révoltes et des incendies ont fait des blessés parmi les retenus dont deux présumés « coupables » qui ont été mis en GAV, les retenus restés dans le centre ont été privés de leur droit de recevoir des visites.



> [ Chronique de l’arbitraire ]


Au bout de 7 ans, non-lieu définitif dans l’affaire Ali Ziri
Incompréhension et indignation devant le retournement complet de la Cour de Cassation entre l’arrêt du 18 février 2014, cassant le non-lieu pour défaut total d’instruction, et celui du 16 février 2016, de cette même Cour, réaffirmant le non-lieu en estimant qu’aucun « supplément d’information n’apparaît utile à la manifestation de la vérité et qu’aucune investigation complémentaire n’apparaît susceptible d’être utilement ordonnée ». Aucune des demandes faites par la cour de 2014 n’a donc été satisfaite :pas de visionnage de la vidéo, pas de reconstitution ni d’interrogatoire des policiers et des témoins par un juge. Bref, dans le cas de la mort d’Ali Ziri s’ajoute maintenant au déni de justice, l’absence totale de travail judiciaire !

Violences policières anti-kurdes
Il y a des manifs qui sont mal vues en France, la mobilisation pro-kurde en fait partie, en témoigne la pression policière, souvent émaillée de violence. Le 8 février, devant les ambassades de Turquie, des manifs ont eu lieu partout en France et en Europe pour dénoncer le massacre, la veille, par les forces de sécurité turques, de 60 civils kurdes dans la ville assiégée de Cizre, ainsi que le silence coupable de l’Europe. À Paris, une centaine de manifestant(e)s se sont rassemblés : les flics ont voulu les faire reculer. Malgré l’obtempération des protestataires, les CRS ont chargé.

L’État français en voie de valider le principe du contrôle au faciès
Condamné le 24 juin dernier pour 5 contrôles d’identité jugés discriminatoires (voir RE 143), L’État s’est pourvu en cassation. Dans le mémoire en justice transmis à la Cour que s’est procuré le journal Médiapart, on découvre l’argument développé par l’agent judiciaire : la répression des étrangers clandestins rendrait légitime que les noirs et les arabes soient davantage et en priorité contrôlés par les flics ! Si l’argument est retenu, il fera jurisprudence et justifiera, de fait, tout contrôle au faciès.

Rare : un gardien de la paix condamné pour violence
3 mois avec sursis et 800 euros de dommages, c’est ce dont a écopé un gardien de la paix, à Montigny-les-Metz, pour une interpellation trop musclée le 15 septembre 2015. « Individu qui (lui) paraissait récalcitrant », « légitime défense », ces éléments de langage qui permettent souvent la relaxe des flics n’a pas convaincu la présidente. Surtout, c’est la vidéo amateur d’un témoin avec son téléphone qui a permis de faire éclater la vérité. Vive le copwatching !

Les fusils d’assaut de la BAC
Fin février les BAC parisiennes refaisaient leur stock d’armes, 1 474 casques et visières balistiques, 1 835 gilets pare-balles porte plaque, 241 boucliers balistiques souples, 116 taser, 134 lanceurs de balle de défense, 981 bâtons télescopiques de défense… avec une nouveauté, l’attribution de 204 fusils d’assaut HK G36, jusqu’ici réservés aux forces d’intervention d’élite. Depuis on a appris que ce modèle avait un petit défaut : il tire de travers et surchauffe en mode en rafale. Le ministère de la Défense allemand a d’ailleurs décidé de les retirer des rangs de l’armée. Ça promet !


> [ Agir ]



Journées internationales contre les violences policières
Bordeaux du 4 au 19 mars : rencontres, rassemblement, déambulation, projection, formation et concerts. Un mois dédié à nos libertés pas encore tout à fait perdues, à la solidarité, à la mémoire de ceux morts sous les coups de la police. Voir : http://clap33.over-blog.com/2016/02/bordeaux-du-4-au-19-mars-2016-journees-anti-repression.html
Québec - du 9 au 15 mars semaine contre la brutalité policière, voir : https://cobp.resist.ca/documentation/semaine-contre-la-brutalit-polici-re
Bruxelles -manifestation contre les violences policières mardi 15 mars - 18h - Place Fontainas http://www.stop-repression.be/agenda/15mars/
Paris - samedi 19 mars - 14h Paris - Gare du Nord. Non à la légalisation du permis de tuer ! Ne nous laissons pas gouverner par la peur face à l’État policier ! Légitime défiance ici et ailleurs, hier et demain ! La solidarité est notre arme ! Organisons-nous et résistons ensemble le 19 mars ! https://19marslegitimedefiance.wordpress.com/ Contact : 19mars.legitime.defiance@gmail.com
Toulouse- Observatoire de l’état d’urgence http://toulouse.etatdurgence.fr/

« Désarmons-les ! »
Un nouveau collectif s’est constitué avec la volonté de lutter contre les violences policières et sécuritaires. Site : desarmons.net ; mèl : desarmons-les@riseup.net

Goodyear
La mobilisation s’amplifie pour soutenir les 8 salariés condamnés à 9 mois fermes. Une réunion nationale de tous les comités locaux qui se sont formés un peu partout aura lieu le 12 mars 2016 à 14h30 à Paris : Bourse du travail - 3, rue du Château d’Eau 75010 Paris ; infos : www.facebook.com/tousgoodyears ; mèl : paris.soutienauxgoodyears@gmail.com



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