Assembleia maintient le drapeau anarchiste en Ukraine, face à l’armée russe et au gouvernement ukrainien

Interview du collectif Assembleia, site d’information anarchiste ukrainien, réalisée par le Comité international de la Fédération Anachiste Italienne et publié le 31 août 2022 dans le journal Umanita Nova. Traduction d’après l’italien et l’anglais : Solidarité Olga Taratuta.

CRINT-FAI : Compte tenu du manque d’information sur la situation à Kharkov auprès du public italien, pouvez-vous dire quelque chose sur l’histoire de votre groupe et votre insertion dans la dynamique politique locale ?

Assembleia : Nous sommes vraiment actifs depuis le 30 mars 2020 - dès qu’il y a eu un sentiment dans l’air que ce statu quo habituel était enfin rompu. Le début d’une pandémie mondiale nous a pris par surprise. C’était inhabituel de rester à la maison tout le temps. Sur certains lieux de travail de nos compagnons, le salaire fut réduit de 20% et il y avait une crainte de licenciements. Alors quelques semaines après le début de la quarantaine, nous avons commencé à développer notre site Web et ainsi nous avons commencé à parler de problèmes sociaux graves afin d’aider les gens à s’unir pour s’entraider directement face à une crise.

Notre raisonnement était le suivant : si au moins 10% de la population de notre ville comprend mieux, par exemple, le système de transport public que le maire et le conseil municipal, alors pourquoi avons-nous besoin de leur administration ? C’est parti de quelque chose comme ça... Le journal est rapidement devenu un lieu où le secteur pacifique de la lutte sociale et de l’auto-organisation pouvait rencontrer le secteur plus radical, et il a commencé à vraiment répondre à nos attentes. Nous avons couvert les événements de rue, les luttes sur les lieux de travail et les problèmes de développement urbain dans notre métropole. Nous avons également essayé de restaurer la mémoire historique des traditions ouvrières révolutionnaires.

Depuis le début des hostilités, notre magazine est devenu une plate-forme pour présenter et coordonner des activités humanitaires auto-organisées, ainsi que pour mettre en évidence comment la classe dirigeante locale profite de ce massacre. Et si au cours de la dernière année, nous avons eu 20 à 30 000 visites par mois, depuis le début du printemps, il est passé de 80 à 120 000.

CRINT-FAI : Vous avez réussi à maintenir en vie l’activité pendant le conflit. Comment cela est-il mis en œuvre dans le travail quotidien ?

Assembleia : Heureusement ou malheureusement, nous sommes le seul collectif anarchiste dont la renommée en Ukraine [même] a considérablement augmenté au cours de ces 6 mois terribles. Probablement, parce que nous donnons des informations utiles aux travailleurs dans leur confrontation quotidienne avec les patrons ou les fonctionnaires, et notre position impliquant notre condamnation des deux États en guerre.

L’agresseur commet un génocide ouvert contre tout ce qui est ukrainien, tandis que la « petite victime démocratique souffrante » maintient la majeure partie de la population en état d’otages pour montrer des images plus sanglantes à l’étranger pour exiger plus d’argent, volant également ses sujets par tous les moyens disponibles, alors qu’aucun missile russe n’a encore volé dans le quartier gouvernemental. Donc, l’information [que nous diffusons] est assez proche de ceux qui n’ont rien à défendre dans ce trou sombre sans avenir clair.

Le principal problème est qu’un tel soutien ne se transforme pas en désir d’étudier l’anarchisme et de diffuser ses idées – ici même les volontaires [des collectifs d’entre-aide] base et des autres parties actives de la société sont désidéologisés au maximum ici ...

CRINT-FAI : Qu’en est-il du gouvernement de Zelensky ? Nous avons pris lu des informations sur la nouvelle législation du travail [La loi 5371, entrée en vigueur le 23 août dernier]. Quelles sont les implications de l’état d’urgence sur la vie quotidienne ?

Assembleia : Si pour la Russie la défaite dans la guerre signifierait quelques changements politiques (au moins un coup d’État de palais, et une éventuelle désintégration en parties ou perte partielle de souveraineté), l’avenir de l’Ukraine semble être très triste dans tous les cas. Bien avant la guerre, Zelensky a souvent été comparé à un jeune Poutine non sans raison, et à la suite de la victoire, nous pourrions obtenir un régime non moins dictatorial que le régime russe. Un exemple très significatif est venu ce mois-ci quand il a déclaré que les frontières pour les hommes ne seraient pas ouvertes jusqu’à la fin de la loi martiale, sans se soucier que cela est le sujet de pétition le plus populaire dans son site Web.

En ce qui concerne la législation du travail, il est très révélateur que nous ne voyions que seuls les Européens sont préoccupés par ce sujet. Parce qu’en Ukraine au moins la moitié des personnes employées travaillent dans le secteur informel [donc en dehors de toute législation], et même les personnes officiellement employées entendent rarement parler du respect des droits et des garanties du travail - tout dépend d’accords individuels.

Surtout, la classe ouvrière s’inquiète maintenant d’autres choses : d’une part les rafles [policières] de rue pour délivrer les lettres de mobilisation / recrutement militaire (particulièrement fréquent dans les régions frontalières de l’Est et de l’Ouest) et d’autre part la nécessité d’autoriser l’expatriation de ceux qui sont soumis au service militaire. Certes, ces revendications restent à un niveau « théorique », mais ce sont les premières tentatives des travailleurs ukrainiens de notre mémoire pour exprimer leur propre agenda à l’échelle nationale. Les actions de rue étant désormais impossibles, ils ont recours au seul moyen qui leur reste de communication avec les autorités.

Nous ne pouvons qu’imaginer comment les Ukrainiens seraient heureux si l’État desserrait son étau à la suite de la campagne du mouvement anarchiste international. Si ce mouvement avait pris ses déclarations anti-guerre comme plus que de simples mots, nous aurions vu ses rassemblements massifs près des ambassades ukrainiennes pour l’ouverture des frontières il y a plusieurs mois. De quoi parler, si même lors [des manifs du] Premier mai, vous trouviez des choses plus importantes à faire ? Il nous semble qu’il y ait nulle part d’où attendre de l’aide, et on ne peut que deviner combien d’autres familles ukrainiennes mourront parce qu’elles ne veulent pas se séparer. En quoi vous différenciez-vous des politiciens si vous déclarez des choses que vous n’allez pas réaliser réellement ?

La seule structure libertaire de masse dont les paroles n’ont pas différé de leurs actes a été l’EZLN [au Mexique]. Peu de temps après l’invasion [russe], ils ont envahi les rues de leurs municipalités, condamnant inconditionnellement cette agression, appelant au retrait immédiat de l’armée russe, tout en ne considérant pas l’État bourgeois ukrainien comme quelque chose de meilleur. Cette manifestation était symbolique, presque personne au Kremlin ne l’a même vue, mais il semble qu’ils aient fait le maximum possible dans leur jungle de montagne...

Mots-clefs : guerre | Ukraine | Russie | médias libres

À lire également...