Dansles prisons, la mémoire des révoltes de 1994 reste vive. Mais ces événements sont considérés comme une parenthèse, un moment d’espoir entre la situation de l’apartheid et celle qui allait suivre, soit une société intégralement tournée vers le libéralisme économique et le capitalisme. Au fil des ans, l’espoir a laissé le pas à une réelle frustration. Quand j’ai entendu pour la première fois des Sud-Africains parler avec nostalgie de l’apartheid, j’ai eu du mal à comprendre. Mais ils faisaient référence à une époque où les lignes de division étaient plus claires, le camp de l’oppresseur plus facile à situer et la situation économique, paradoxalement, plus stable.
Pendant l’apartheid, la grande majorité des prisonniers de droit commun n’avait pas de représentants légaux pour les défendre. Ils se retrouvaient seuls face à une machine judiciaire incarnant les intérêts et peurs de la minorité blanche : plus de 90 % des juges étaient blancs. Avec la transition démocratique, quelques nouveaux juges, ’’coloured’’5, ’’noirs’’ et ’’indiens’’, ont été nommés, et les lois ont évolué. Mais le fond du problème reste le même. Si les procès ’’politiques’’ ont presque disparu, il n’y a par contre pas eu de vraie réflexion sur les conditions sociales et économiques produites par un système profondément inégalitaire et toujours marqué par la ségrégation.
[...]
Mais ce qui a étouffé la lutte, en prison comme à l’extérieur, c’est surtout la généralisation d’un discours hégémonique diffusé par le parti de résistance au pouvoir, le Congrès National Africain, l’ANC. Le rôles des femmes, des syndicats, des comtsotsi6 et des prisonniers de droit commun a été évacué de la mémoire officielle pour laisser place une représentation de l’ANC comme principale force de résistance anti-apartheid. Ces cinq dernières années ont pourtant prouvé que la mémoire des autres mouvements sociaux pouvait resurgir.
L’excellente suite à lire sur Article11.