À propos du concept de « minorités nationales »

| JJR - Juives et Juifs Révolutionnaires

La notion de minorité nationale juive est souvent lue comme l’affirmation d’un nationalisme juif. Pour nous elle est au contraire le constat que le nationalisme tend à créer des minorités opprimées, les minorités nationales. Elle permet d’analyser l’oppression de groupes racisés par l’idéologie dominante, qui les opprime en les désignant comme extérieurs au corps national, c’est à dire à ceux et celles qu’elle définit comme les « membres naturels » de la nation.

Notre grille d’analyse est celle-ci puisque nous avons une approche matérialiste de l’oppression raciste, puisque nous abordons la situation des groupes opprimés à partir d’une situation sociale plutôt que d’une identité. Cette différence ne nie pas l’aspect de l’identité mais prend appui sur un constat, sur la manière dont l’idéologie antisémite a été formulée au cours de l’histoire et dont elle se développe dans les dernières années, et sur la manière dont au delà de l’aspect idéologique, l’antisémitisme s’exerce concrètement sur un groupe social.

Quand nous parlons de groupe social juif nous parlons d’une minorité nationale, par opposition à la majorité nationale : au moment de la formation de l’idéologie nationale au cours du XIXe siècle, il y a eu définition d’un « corps national », et donc de qui y est inclus. La majorité nationale, si on veut la définir, c’est l’ensemble des personnes situées sur un territoire, que l’idéologie dominante nationaliste définit comme les membres « naturels » du corps national. Dès lors que cette idéologie définit qu’il y a des membres naturels, elle considère qu’il y a des corps étrangers, qui sont ceux et celles à qui on conteste l’appartenance au corps national.

Par idéologie dominante, nous entendons l’ensemble des représentations dominantes majoritaires véhiculées par des références implicites ou par des discours explicites. C’est à la fois ce qui est généralement considéré comme évident et ce qui est répété régulièrement par des dirigeant.e.s politiques, des intellectuel.le.s, etc. qui font des rappels à l’ordre pour dire : « c’est ça être Français, c’est être blanc.he, d’origine européenne et de culture chrétienne » (les fameuse « racines chrétiennes de la France »). Si on ne fait pas partie de cette catégorie sociale on est considéré à priori comme suspect, même si la définition nationale française depuis la Révolution française dit qu’on peut devenir français.e par communauté de destin, parce qu’on le mérite, ce mérite est sans cesse à renouveler quand on n’appartient pas à cette catégorie majoritaire que définit l’idéologie dominante.

La majorité nationale, c’est celles et ceux dont on ne conteste pas l’appartenance au corps national, dont on n’exige pas des preuves de loyauté pour les considérer au sein du corps national. En France, elle est blanche, européenne, et de culture chrétienne.

Les minorités nationale, par oppositions sont quant à elles constituées de toutes les personnes qui ne correspondent pas à ces critères définis par l’idéologie dominante. C’est l’ensemble des groupes minoritaires qui sont ou peuvent être considérés comme extérieurs au corps national. Selon les contextes et la situation politique à un moment donné, ils peuvent en fonction de l’utilité que ça a pour la classe dominante et pour la majorité idéologique nationaliste, être considérés comme membre ou comme extérieurs à la nation. Mais dans le premier cas, cette appartenance est sans cesse susceptible d’être remise en question, dans les discours, dans la pratique et dans l’attitude des institutions.

C’est le cas de la minorité nationale juive : si elle a été émancipée au moment de la Révolution française, considérée comme appartenant au corps national, cette situation n’a pas été stabilisée. Il y a eu l’idée de manière récurrente qu’elle constituait un corps étranger, une cinquième colonne pas tout à fait française ayant une loyauté extérieure. Dans le cas où on considère qu’elle appartienne au corps national, on exige des minorités nationales des preuves de loyauté supplémentaires. La situation est identique pour la minorité nationale Musulmane. Les actes des personnes qui appartiennent aux minorités nationales peuvent ainsi être utilisés par l’idéologie dominante pour leur nier ou leur accorder l’appartenance au corps national. Si elles agissent telle qu’est définie la manière « citoyenne » d’agir, elles sont considérées comme française. Dès lors qu’elles agissent de manière opposées, elles sont vues comme étrangères.

Au contraire, quels que soient les faits reproché à un membre de la majorité nationale, y compris les plus graves du point de vue de l’État, on ne dit jamais que ses membres les ont commis parce qu’étranger.e.s, parce que cinquième colonne, etc. Par exemple, un.e militant.e révolutionnaire avec une pratique armée va être qualifié.e de terroriste, etc. mais on ne va pas considérer, comme cela a été le cas au moment de l’Affiche Rouge pendant la Seconde Guerre mondiale, que la raison de ses actes tient au fait qu’ille soit un élément étranger dans le corps national, et que en conséquence son action s’inscrit dans sa condition sociale. Dans la continuité de cette logique, lorsque Egalité et Réconciliation ou le Comité Valmy attaquent les positions sionistes du CRIF, Ils le font non en solidarité avec le peuple palestinien, mais en considérant le soutien à Israël comme la preuve d’une « double allégeance » de la part des Juifs et les Juives, d’un manque de loyauté à l’égard de la « Nation ». Cette exigence de loyauté à l’égard de l’État français, de l’idéologie dominante, et des institutions est le premier élément pour une approche de l’antisémitisme partant d’une réalité matérielle.

Mots-clefs : antisémitisme | nationalisme

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