Depuis le lundi 17 octobre, les ouvriers de la plateforme logistique Geodis à Gennevilliers sont en grève reconductible. Très suivie, la mobilisation rassemble plus de 80 ouvriers (sur 112 au total) et a été rejointe par la moitié des agents de maîtrise, soit un taux de participation autour de 75%. L’entrepôt est donc à l’arrêt et les colis s’entassent sur les quais, dans ce hub où d’habitude jusqu’à 80 000 colis par jours peuvent transiter. Sur le Port Autonome de Gennevilliers, devant l’entrepôt, le défilé des poids-lourds a laissé place à des assemblées de grévistes, suivies de barbecues en musique. Une « grève joyeuse », « pour la dignité », pour reprendre les mots des grévistes.
Cette grève est rarissime pour un secteur comme la logistique, qui rassemble pourtant un quart des ouvriers en France. Ce sont eux qui produisent la circulation des marchandises sur laquelle repose le capitalisme contemporain. Ce sont eux les travailleurs « essentiels » qui ont trimé pendant toute la crise sanitaire. Mais ce secteur, qui a émergé depuis les années 1980, n’a pas ou peu de tradition syndicale combative. Seulement 4% des ouvriers y sont syndiqués, contre 10% dans l’ensemble du monde ouvrier. Les sites éclatés en petites unités, l’intérim est partout et la répression antisyndicale bat son plein.
Geodis est un des leaders de la logistique en France et la plateforme de Gennevilliers est un point stratégique pour l’approvisionnement de la région Ile-de-France. Comme d’autres grands groupes de la logistique, Geodis a affiché des profits records au sortir de la crise sanitaire. Pour l’année 2021, le chiffre d’affaires s’élève à 10,9 milliards (+30%). Les bénéfices ont aussi atteint un pic historique de 948 millions (+35%). Geodis, c’est aussi une filiale privatisée de la SNCF, la machine à cash du groupe public que l’on présente toujours comme étant déficitaire.
Dans l’entrepôt, les salaires des manutentionnaires plafonnent à proximité du SMIC. Les ouvriers sont tellement mal payés que l’entreprise a dû mettre en place un document type pour gérer toutes les demandes d’acompte. Mais c’est la diffusion des fiches de salaire des certains dirigeants du groupe (trouvées par terre !) qui cette fois a mis le feu aux poudres. Sur ces documents administratifs, les syndicalistes ont découvert que leurs chefs avaient touché des primes d’objectifs annuels allant de 180 000 à 320 000 euros.
La CGT Geodis n’en demande pas autant. Les revendications paraissent même modestes comparées à ces sommes : une hausse générale des salaires de 150 euros, plus 100 euros pour les bas salaires et une prime de 1000 euros pour décembre, histoire de payer les factures de chauffage. Avec une inflation à 6,5% en moyenne et qui monte à 10% pour l’alimentation, c’est clairement une question de subsistance qui se pose. A quoi bon se casser le dos si on ne peut même plus subvenir à ses besoins élémentaires.
En médiatisant le conflit, en diffusant leur colère sur toutes les grandes chaînes, les Geodis ont remporté une première victoire. Habituellement, lorsqu’on parle des ouvriers à la TV, c’est toujours sous l’angle de l’ « ouvrier triste », en voie de disparition. Ici on voit apparaitre une grève offensive, pour l’obtention de droits, menées par des ouvriers noirs et arabes déterminés à ne pas lâcher. Eux ne cherchent pas la célébrité : lorsque BFMTV se pointe pour faire son direct, le véritable plaisir c’est de voir les cadres penchés aux fenêtres, effrayés par la camionnette surmontée d’une antenne satellite.
Début novembre, le groupe Geodis est enfin entré en négociation en proposant 4% d’augmentation. Evidemment la proposition a été jugée insuffisante compte tenu de l’inflation et en comparaison des primes records versées à l’encadrement. Comme c’est l’usage dans les grandes boites, les dirigeants ont menacé de retirer toutes les promesses si les ouvriers ne reprenaient pas immédiatement le travail. Ce qui n’a pas empêché les grévistes de voter à nouveau la grève !
En gagnant sur les salaires, les grévistes Geodis enverraient un puissant message à tout le secteur de la logistique, à tous ces forçats du colis dont les conditions de travail et d’emploi sont indignes. Pour se représenter l’importance de cette grève, il faut s’imaginer ce que signifierait un mouvement social dans tout le secteur : plus de colis, plus de courriers, plus de produits dans les supermarchés, l’industrie à l’arrêt, le pouvoir en PLS.
Mais avant de rêver il faut penser concret, cette grève a maintenant besoin de soutien financier pour tenir. Soutien des syndicats et des organisations politiques bien sûr, mais les soutiens individuels comptent aussi. Une caisse en ligne a été mise en place, chaque don a son importance.
L’autre moyen de soutenir tout en apprenant à mieux comprendre ce secteur stratégique, c’est tout simplement de venir sur le piquet. L’assemblée des grévistes a lieu tous les soirs à 17H30 et elle est suivie d’un repas collectif et de moments conviviaux. Et puis on ne se sait jamais, d’autres formes de soutien peuvent apparaitre selon le déroulé du conflit…tenez-vous prêt-es !
RDV au 7/9 Route des Mercières à Gennevilliers (métro 13 Courtilles à 10 min)
Caisse de grève : https://www.cotizup.com/le-calex-geodis-calberson-idf