Je sature de devoir me farcir des soirées dans le froid dehors à respirer votre fumée parce que si je décide de rentrer dans le bar, je serais seul.
Dans le bar. Évidemment. Puisque tous nos temps de sociabilités sont construits autour d’espaces marchands spécialisés dans la vente de drogues. Après la réu, après la manif, après l’action : le bar.
Je sature aussi de me prendre des haussements de sourcils agacés quand je demande à ne pas me faire souffler du tabac dans la tronche. Je sature de devoir lutter en fin de soirée pour que les intérieurs ne deviennent pas fumeurs eux aussi, plus difficiles quand les personnes sont très éméchées — forcément, ça se cumule. Je sature des regards et remarques narquoises quand j’évoque mes chouettes soirées sans alcool ou décline une proposition de bière partagée.
Je sature et je suis inquiet. Genre, vraiment. Pour vous. De voir que vous êtes, en toute circonstance, avec un verre — d’alcool, ai-je besoin de le préciser — à la main. De vous entendre dire qu’une soirée sans n’est pas possible. Que sociabiliser sans n’est pas possible. Que danser sans n’est pas possible. Le nombre de murges que vous prenez par semaine. Le montant de votre budget clopes, supérieur à votre loyer. Cette copine dire qu’elle aimerait faire une pause d’un, deux mois dans sa conso. Et qu’elle ne pourra pas, parce que l’alcool est partout.
L’alcool est partout. C’est un fait, une norme, et personne ne la questionne. On n’est pas censé·e·s être là pour les questionner, les normes, les renverser ? Tout ce qui va de soi n’est pas louche par essence ? Tout ce qui fonctionne dans un fin système d’emprise et de valorisation sociale tout en profitant à de gigantesques entreprises désastreuses pour l’environnement ne devrait pas attirer notre attention ?
Je vais être cash avec vous : vous êtes très majoritairement alcolo-dépendanx. Y a pas de volonté de blâme ou de culpabilisation en moi. Juste un constat : une dépendance massive et organisée. Que nous reproduirons à l’infini tant que toute lutte se fera dans la fumée de clope, arrosée par de la mauvaise blonde pression. Et puisque cette question est systémique, la réponse ne pourra être que collective. Je ne parle évidemment pas de faiblesse individuelle à régler chez le·la psy. Mais d’un problème global de nos modes d’organisation et de socialisation, qui ne cessera que si nous nous en saisissons tou·te·s. Regardons le problème dans les yeux. Prenons-le en compte. Et peut-être, nous pourrons avancer.
Astrée