Viry-Châtillon : emprisonnés à tort pendant des années, des jeunes demandent réparation

Mépris de classe et racisme assumés de la justice. Article de Contre-Attaque

En 2016, six jeunes sont accusés à tort d’avoir attaqué une voiture de police au cocktail Molotov à Viry-Châtillon dans l’Essonne, sur la base de faux procès verbaux, d’intimidations et de mensonges policiers. À l’époque, c’est l’emballement. La classe politique réclame des peines exemplaires. Des jeunes sont arrêtés au hasard, des policiers leur extorquent des aveux trafiqués avec la complicité d’avocats véreux. Ils sont condamnés et emprisonnés à tort pendant plusieurs années, avant d’être enfin innocentés et libérés. « Certains avaient à peine 15 ans quand ils ont été incarcérés, restant jusqu’à quatre années en détention provisoire » précise l’Humanité.

En début juin 2023, la Cour d’appel de Paris leur accorde le droit d’être indemnisés pour avoir été incarcérés alors qu’ils étaient reconnus innocents. Des indemnisations qui vont de « 25.000 à 150.000 euros en réparation du préjudice moral et entre 13.000 et 94.000 euros en compensation du préjudice matériel ».

L’indemnisation ne pourra jamais prétendre à réparer les préjudices psychologiques, physiques, ou encore matériels. L’un des jeunes, âgé de 16 ans au moment des faits, déclare ainsi « La liberté n’a pas de prix. Vous pouvez me donner 1 million d’euros, ça n’effacera rien aux trois années de prison que j’ai passées ».

Ce 19 juin, les magistrats débattent du montant à accorder à Foued, l’un des jeunes injustement accusé et détenu pendant quatre années, alors qu’il n’avait que 18 ans au moment de son arrestation. Son avocate dénonce la proposition d’indemnisation de l’État, bien en-deçà de la réalité des préjudices subis par ces jeunes dont les vies sont marquées, sans retour possible, par la violence de l’État, de sa police et de sa justice.

Le procureur général, dans un mépris le plus total, a d’ores et déjà annoncé qu’il conteste la reconnaissance d’un préjudice matériel, estimant que « la prison n’aurait pas représenté une perte de chance sérieuse et effectivement réparable pour ce jeune homme dont les résultats scolaires ne le prédestinaient pas à un avenir brillant ». L’État évalue le préjudice moral de Foued pour avoir passé quatre années de sa jeune vie d’adulte en prison à 130.000 euros. Une somme qui ne pourra réparer les conséquences dramatiques sur la vie du jeune homme, qui souffre encore aujourd’hui de nombreuses pathologies physiques liées à sa période de détention mais également au stress post-traumatique et toutes les conséquences que celui-ci peut avoir, des années après et parfois même, toute une vie. Sans parler des conséquences matérielles d’être incarcéré à la sortie du lycée, dans l’insertion professionnelle, les études, et l’ensemble de sa vie privée. Son avocate estime, quant à elle, le préjudice de Foued à 619.600 euros.

Derrière ces calculs d’épiciers qui paraissent indécents, la justice démontre que, pour elle, certaines vies valent donc moins que d’autres. Et le procureur général, soit disant représentant de la société, l’assume pleinement, ne tentant même pas d’essayer de dissimuler le racisme et le mépris de classe qu’il exprime impunément.

Foued confie ainsi à Médiapart son indignation : « C’est une nouvelle violence. L’État me considère de nouveau comme un sous-citoyen. Ma vie ne vaut rien. Est-ce parce que je suis de banlieue ? Parce que je suis de milieu modeste ? Que je suis noir ? ».

Revenons au début de l’année 2017 : il est arrêté et conduit au commissariat où il subit plus de huit heures d’auditions où il clame son innocence. Rien n’y fait, il est mis en examen pour « tentative de meurtre aggravée sur personnes dépositaire de l’autorité publique, commise en bande organisée ». Il est conduit sans procès à la prison de Fleury-Mérogis. Son jugement interviendra deux ans plus tard. En 2019, il est ainsi condamné à 18 ans de réclusion criminelle. En 2021, en appel, il est finalement acquitté après 4 ans et trois mois d’emprisonnement indignes. Sur la base des enregistrements de gardes à vue, une enquête de Médiapart révèle alors que les « enquêteurs ont rédigé des procès-verbaux truqués, ne correspondant pas aux déclarations de plusieurs mis en cause et d’un témoin central » et que les policiers ont usés de techniques d’intimidation et de violences verbales lors de leurs interrogatoires. Des plaintes dénonçant notamment des faits de « faux en écriture publique » ont été déposées à l’encontre des policiers . Malgré ces révélations accablantes, leur hiérarchie assure son soutien aux policiers. Rappelons qu’à l’époque, sous la direction de Bernaud Cazeneuve à la tête du ministère de l’intérieur, celui-ci avait déclaré publiquement que « la bande de sauvageons sera rattrapée ! »

Notre système policier et judiciaire n’a pas besoin du moindre élément de preuves pour arrêter et emprisonner arbitrairement celles et ceux qu’ils méprisent et dont la vie ne vaut rien à leurs yeux. Une réalité qui interpelle à entendre le taux de classements sans suite impressionnant concernant les plaintes pour violences sexuelles lorsque les mis en cause sont blancs et issus de la bourgeoise, ou encore concernant les faits de violences policières, pour lesquels l’impunité règne encore et toujours. Deux poids, deux mesures. La présomption d’innocence ne vaut pas pour tout le monde.

Deux ans après leur libération, et la reconnaissance de leur innocence, la lumière n’a toujours pas été faite sur la responsabilité de la police quand à cette erreur judiciaire gravissime. C’est une affaire d’État, entourée d’un silence coupable.

Une information judiciaire a été ouverte en juillet 2021 par le parquet de Créteil pour « faux en écriture publique », « violences et escroquerie au jugement », avec la circonstance aggravante que les auteurs sont des personnes dépositaires de l’autorité publique. Deux ans après, les policiers n’ont toujours pas été inquiétés. La justice sait ne pas être expéditive quand cela l’arrange, notamment quand il s’agit de protéger les manœuvres criminelles de sa police.

Malgré donc la libération et la reconnaissance de l’innocence de ces jeunes, dont la vie s’est vue bouleverser par la violence de l’État, l’ensemble des institutions policières et judiciaires est gangrenée par un héritage colonialiste et raciste, le mépris de l’État ne cesse pas.

Ce 19 juin, devant la Cour d’appel de Paris, l’avocate de Foued, Yaël Scemama, promet de faire « entendre les cris d’innocence qui ont résonné dans sa cellule pendant plus de quatre ans, ceux que les policiers ont enterrés, ceux que la justice a ignorés jusqu’à lui ôter sa jeunesse et hypothéquer son avenir ».

Nous leur apportons tout notre soutien.

Article publié par Contre-Attaque

À lire également...