Une courte réflexion sur la gymnastique politique de directions syndicales pendant le mouvement contre la loi « travaille ! »

Les centrales syndicales ont indéniablement joué un rôle clé au printemps dernier dans le mouvement contre la loi « travaille ! ». Mais leur gymnastique politique de collaboration avec le gouvernement nous a coûté une lutte. Organisons-nous dès maintenant de façon autonome, pour contrôler nos objectifs politiques et nos moyens de lutte ! Pour les maints affronts à venir, préparons la riposte !

Le lundi 30 janvier, après une trêve de lutte de cinq mois, l’intersyndicale CGT-FO-FSU-UNEF-UNL-FIDL (SUD s’étant abstenu) s’est réunie pour « relancer une dynamique de lutte dans un contexte de campagnes électorales où la question sociale reste à l’arrière-plan, » mais aussi pour demander la dérogation de la loi « travaille ! ». Alors que nombreuses dispositions de cette loi sont entrées en vigueur au 1er janvier, il faut qu’on se pose la question : pourquoi est-ce que les centrales syndicales ont-elles quitté la rue après le 15 septembre ? Après que le gouvernement soit passé outre le pouvoir législatif avec le triple 49.3, il était toujours possible d’obliger l’exécutif à rebrousser chemin en intensifiant les luttes, comme ça avait été le cas pendant le mouvement contre le CPE en 2006.

Il faut bien rappeler que la manifestation du 15 septembre, la dernière de ce cycle de mobilisations, était un énorme succès, malgré la répression féroce qu’il y ait pu avoir. Mais cela n’a pas empêché Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière, de mettre fin aux manifestations intersyndicales et de laisser pourrir l’impressionnant mouvement social qui s’était mis en marche depuis mars. Deux phénomènes se discernent à travers cette défaite annoncée par les dirigeant.e.s des syndicats traditionnels.

Le premier, c’est que malgré leur puissante capacité de mobilisation, les centrales syndicales n’ont pas souhaité en faire usage. Lorsque la moitié des stations essence était à sec et que les centrales nucléaires se sont arrêtées le 28 avril, on avait cru à la victoire certaine du mouvement. Les manifestations du 31 mars et du 14 juin rassemblant plus d’un million de personnes sont aussi des preuves irréfutables du pouvoir syndical en France. Mais ces syndicats n’ont jamais voulu entrer dans un véritable bras de fer avec le gouvernement, malgré cette capacité de mobilisation. Alors que certains collectifs autonomes, les AG interprofessionnelles et plusieurs syndicats minoritaires ont appelé à la grève générale reconductible, les syndicats traditionnels n’ont pas souhaité franchir ce pas, préférant appeler timidement à des journées de grève sporadiques. [1] Le mouvement contre la loi « travaille ! » coïncide plus largement avec d’autres luttes professionnelles et citoyennes, dont celles de cheminot.e.s, celles des intermittent.e.s du spectacle et bien sûr avec Nuit Debout. Mais les syndicats n’ont eu aucune envie de faire converger ces différentes luttes au sein d’une grève générale [2], et même si Philippe Martinez, pourtant un secrétaire général de la CGT perçu comme représentant la ligne « dure » du syndicat, s’est rendu à Nuit Debout le 28 avril, la liaison travailleu.ses.rs-citoyen.ne.s ne s’est jamais effectuée. Lorsque les directions syndicales sont dans la capacité de fermer les centrales nucléaires du pays, ce qui mettrait immédiatement fin à la loi « travaille ! », pourquoi est-ce qu’elles n’agissent pas ? On ne peut qu’y percevoir un manque de volonté politique, et l’absence complète de vouloir créer une dynamique contestataire face aux politiques néolibérales et sécuritaire de l’État.

Ce qui nous amène au deuxième phénomène caractérisant le zèle conformiste des dirigeant.e.s syndica.les.ux. Au-delà d’un manque de volonté politique de poursuivre une ligne réellement contestataire, les syndicats ont vu couler entre leurs doigts leur emprise sur le mouvement. Les débordements successifs du printemps, la constitution des cortèges de tête, et la volonté d’agir en dehors des cadres imposés par les syndicats n’ont décidément pas plu aux traditionnel.le.s détent.rices.eurs du monopole de contestation sociale. L’ouverture de ces espaces autonomes a permis aux nombreuses personnes le désirant de s’émanciper du poids et des contraintes des grandes organisations, et on a vu participer des syndicalistes déterminé.e.s aux côtés d’étudiant.e.s et de lycéen.ne.s dans des actions radicales. Face à ce nouvel élan autonome, les centrales syndicales ont pris peur, et se sont agenouillées devant le gouvernement avant de perdre tout contrôle. Ainsi, les manifestations « en cage » du 23 et 28 juin ont été des concessions sans précédent à l’exécutif et à la police, pour qu’ils soutiennent les syndicats dans leur démarche. Lorsque le cortège de tête parisien du 15 septembre a réuni plus d’un quart de la manifestation totale, les syndicats ont tiré leur sonnette d’alarme, mettant un frein définitif au mouvement. Alors que les groupes autonomes qui se sont constitués au printemps ont persisté dans leur révolte, prenant désormais pour cible les élections présidentielles, le retrait de la lutte de la part des syndicats a coupé le souffle au mouvement.

La réunion intersyndicale du lundi 30 janvier apparait donc comme une farce : celles et ceux qui avaient mis fin au mouvement prétendent aujourd’hui en incarner la continuation. Certes, la CGT a porté certains articles de la loi « travaille ! » devant divers tribunaux, mais la rue reste le médium de contestation le plus radical et le plus fédérateur. Les dirigeant.e.s des syndicats ont attendu que les forces autonomes perdent de leur élan pour pouvoir relancer une mobilisation apprivoisée et contrôlée.

Les élections présidentielles imminentes ne présagent rien de bon pour le futur, surtout avec les candidat.e.s principa.les.ux qui nous promettent un approfondissement néolibéral, sécuritaire et raciste. Comme on peut l’observer outre-Atlantique, les grands syndicats n’hésitent pas à négocier avec Trump. La gymnastique politique de la CFDT, qui a collaboré avec le gouvernement au long du mouvement, est un autre exemple de syndicats qui adhèrent à des lignes clairement anti-travailleu.ses.rs. Il est donc plus important que jamais de s’émanciper de ces syndicats, et de constituer dès aujourd’hui des formes d’organisation autonome sur les lieux de travail, d’études et de vie. Les critiques portées par Simone Veil [3] (la philosophe des années 1930, pas la ministre de Giscard-d’Estaing) par rapport au Front Populaire et à au réformisme des syndicats après le mouvement de 1936, et l’expérience anarcho-syndicaliste catalane de 1936, sans compter les nombreuses réflexions [4] [5] [6] issues du mouvement du printemps dernier devraient nous servir d’autant de leçons historiques et théoriques pour nous permettre ce changement. Pour les maints affronts à venir, préparons la riposte !

Notes

[1Jules Justo, Antonin Sabot, Alexandre Chenet et Guillaume Justo, Murs populaires : tags du mouvement contre la loi travail, eds. CNT-RP, décembre 2016

[2Idem.

[3Simone Veil, Grèves et joie pure, eds. Libertalia, 2016

[4« Briser le verrou syndical pour affronter le capital », Paris Luttes Info, 13 mai 2016

[6« Sur les syndicats et le syndicalisme », Paris Luttes Info, 20 mai 2016

Mots-clefs : syndicalisme | manifestation

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