Un samedi ordinaire au TGI de Paris : récit de comparutions immédiates

J’ai passé un samedi à assister aux comparutions immédiates du TGI de Paris. En 9 heures, c’est 13 dossiers qui ont été jugés. Ce sont 16 hommes qui se sont succédés dans le box, tous noirs ou Arabes, plus de la moitié n’ayant pas de papier. Il y a eu 5 types de dossiers différents : vols/recels de téléphones ou de sacs, cambriolages, agressions sexuelles, violences ou menaces, et enfin conduite sans permis. Actuellement, 5 d’entre eux sont en taule.

Ils ont tous été défendus par des avocat·e·s commis·e·s d’office, dont la plupart n’ont même pas fait semblant de s’intéresser aux dossiers ou à leurs clients. Tous, sauf les deux accusés d’agressions sexuelles, ont accepté d’être jugés tout de suite. Seuls deux d’entre eux ont demandé ce qu’il se passait s’ils demandaient à être jugés plus tard. Au premier, la juge a répondu « vous prenez le risque de la détention », au second elle a seulement glissé un « à votre avis ? » en souriant.

Des vols/recels de téléphones ou de sacs

Six dossiers concernaient des affaires de vols ou de recels de téléphones ou de sacs. Cinq des hommes concernés n’ont pas de papiers et quatre ne parlent pas français. Ils sont en France depuis quelques jours ou quelques années. Ils sont dans des situations très précaires et plusieurs vivent dans la rue. Ils n’ont pas de famille en France. Pour certains, une OQTF a été remise par la préfecture à l’issue de la procédure, et pour d’autres non, sans que la juge ou le procureur aient l’air de comprendre pourquoi.

Cinq dossiers sont assez similaires : une ou deux personnes ont été vues en direct en train de voler un téléphone ou un sac sur les caméras de surveillance du métro ou de la ville par des flics. Ils ont été interpellés juste après par une autre équipe de flics stationnés pas loin. Ils sont tous sans-papiers et ont pour la plupart des mentions de vols dans les fichiers de la police.

L’audience est ponctuée de remarques méprisantes et méprisables de la part de la juge et du procureur :

« Le tribunal ne va pas vous donner des conseils pour voler, mais si on a faim, ce n’est pas un sac que l’on vole. L’état de nécessité, on peut le comprendre si c’est un bout de pain qu’on vole. »

« Quand il dit qu’il vole parce qu’il a faim, il se moque du monde, il avait 9 euros sur lui. »

« Le travail quand on est sans papier, on en trouve très facilement. Mais lui préfère faire le choix de voler ».

Mais plutôt que de relever cela, certain·e·s des avocat·e·s présent·e·s préfèrent tweeter pour faire rire au détriment des prévenus.

C’est ce qu’a fait maître Eolas en citant les propos de ce prévenu. Précisons que cet homme a également mentionné à plusieurs reprises avoir très peur ce qui lui a valu comme réponse de la juge :

« C’est bon monsieur, vous pouvez arrêter, on a compris que vous aviez peur ».

Précisons aussi que cet homme a pris 4 mois ferme avec mandat de dépôt pour un vol de téléphone et qu’il est actuellement en prison. Le fait de se permettre de faire des tweets qui se veulent drôles dans ce genre de situation montre bien le processus de déshumanisation qui est à l’œuvre dans ce genre d’affaires.

Il aurait également pu choisir de relever les mots de cet homme de près de 60 ans qui a quitté la salle en disant « je ne veux pas mourir en prison, Madame » ou encore celui de ce jeune homme qui a dénoncé les violences policières subies lors de son interpellation : « J’ai reçu un coup de poing au visage lors de l’interpellation et j’ai perdu mon tympan ». La juge répond « Vous avez porté plainte ? » Il dit que non. Sa seule réponse sera : « Très bien, merci Monsieur, le délibéré aura lieu après la suspension ».

À chaque fois, les plaidoiries des avocat·e·s sont complètement nulles et répétitives. Notons juste les paroles de l’un d’entre eux : « Ça se saurait si la prison servait à quelque chose ».

Au total sur ces cinq dossiers :
- deux hommes ont pris 2 mois ferme,
- un autre 5 mois ferme avec mandat de dépôt (et 500€ d’amende pour avoir menti sur sa date de naissance),
- un autre a pris 6 mois ferme (+ révocation d’un mois de sursis) avec mandat de dépôt
- un homme a pris 4 mois avec mandat de dépôt
- le dernier a pris 6 mois avec mandat de dépôt
La juge a mis quasi toujours ce qui était demandé par le procureur et a même rajouté 2 mois dans un cas.

Un d’entre eux était aussi accusé de violences pour avoir menacé avec un couteau suisse (à bout rond) deux personnes dans le métro et deux agents de la RATP. En plus de la prison ferme avec mandat de dépôt, le prévenu devra payer 250 euros à chacun des agents de la RATP pour « préjudice psychologique », alors même qu’ils étaient absents et que l’avocat des parties civiles n’a fourni aucun document faisant état de ce préjudice. À la RATP, comme chez les flics, on a bien compris comment arrondir ses fins de mois.

Le sixième cas de recel est un peu différent des autres. Il s’agit d’un homme marocain qui a des papiers français. Il travaille en CDI, gagne autour de 1 400€ par mois et vit avec sa famille en France.
Il a été arrêté à Barbès pour un contrôle d’identité alors qu’il allait faire des courses. Les flics le justifient en disant qu’il avait une « démarche fuyante ». En vrai, ils pensaient qu’il vendait des cigarettes. Lors du contrôle, il reconnaît immédiatement qu’il a 10€ de shit sur lui. Il est arrêté. Puis les policiers trouvent un téléphone sur lui. Après vérification, le téléphone a été volé et l’homme a mis sa carte SIM dedans un jour après. Il dit qu’il a acheté ce téléphone et ne savait pas qu’il était volé. Il se retrouve accusé de recel d’un téléphone et de détention de stupéfiant.
Le procureur demande 4 mois de prison ferme avec mandat de dépôt. Combien de blanc·he·s se promènent avec 10€ de shit ? Combien risquent de subir un contrôle d’identité, de finir en GAV et d’entendre le procureur proposer un mandat de dépôt ?
La juge a bien mis les 4 mois ferme mais sans mandat de dépôt.

Des cambriolages

Quatre jeunes hommes étaient jugés pour des cambriolages dans deux dossiers différents.

Dans le premier des dossiers, il s’agissait de deux jeunes accusés de vol en réunion dans une habitation durant la nuit. Un voisin a appelé la police pour un cambriolage qu’il a vu derrière l’œil-de-bœuf de sa porte d’entrée. La police arrive et voit quatre personnes escalader la bordure. Le sac avec les affaires volées est abandonné sur le chemin et une autre équipe de BAC interpelle deux jeunes.
Ils disent depuis le début n’avoir rien à voir avec cette affaire. Un des deux porte une veste d’une marque particulière ce qui permettrait son identification. Ce à quoi il a répondu : « Vous savez, je suis pas le seul dans le quartier à avoir cette veste et notamment d’autres jeunes de couleur, qui me ressemblent  ».
Ils ont également été identifiés visuellement par la personne qui a appelé la police. Pendant l’audience, on apprend qu’ils ont été ramenés devant l’immeuble après leur interpellation, que les flics leur ont mis leur capuche sur la tête, le flash en plein visage et ont demandé au témoin si c’était bien eux. Un des deux est scolarisé au lycée et l’autre est en recherche de formation. Ils vivent chez leurs parents. Leur casier est vide, mais ils ont eu des mises en examen étant mineurs.
Le procureur demande 4 mois ferme avec mandat de dépôt. Pour une fois, un de leurs deux avocat plaide bien et met en évidence le vide du dossier, des incohérences dans les heures et la non-validité de la façon dont a été faite la reconnaissance par le témoin. Ils sont finalement relaxés. Ils sortent tout sourire du box et lancent un « au revoir le procureur », seul moment réjouissant de la journée.

Cinq heures plus tard, ce sont deux autres jeunes qui sont jugés pour un vol de bijoux par effraction. L’habitante de l’appartement est entrée alors qu’ils étaient encore dedans, elle a appelé la police. L’un d’eux a tenté de fuir, mais a été retenu par des personnes de la boutique du rez-de-chaussée de l’immeuble. Le deuxième a été retrouvé dans l’appartement.
Ils expliquent vouloir de l’argent pour ne plus être dépendants de leurs parents et pouvoir s’acheter des affaires et passer le permis. Ce qui semble paraître totalement incongru à la juge.
Le procureur demande 6 mois de prison de ferme sans mandat de dépôt, ce qu’il présente comme une faveur qu’il leur fait. L’avocate plaide sur l’absence de casier judiciaire, l’insertion sociale, le fait que leurs amis soient venus les soutenir au tribunal. Le deuxième avocat nous sert un discours moralisateur et paternaliste expliquant que cette expérience va leur « permettre de grandir » et de comprendre qu’« ils sont à l’intersection de deux chemins » : s’ils prennent le mauvais, celui de la délinquance, ils n’auront pas de vie, « parce que la vie de délinquant, ce n’est pas une vie ». Et pour éviter qu’ils choisissent le mauvais chemin, les avocat·e·s demandent des TIG : c’est vrai que travailler gratuitement, ça c’est une vie... La juge met 8 mois dont 4 avec sursis et 140h de TIG à chacun.

Des « atteintes sexuelles »

TW : mention de viol et d’agressions sexuelles

Au cours de l’après-midi, deux hommes sont également passés pour des faits d’« atteintes sexuelles » sur des jeunes filles de moins de 15 ans. Il y a eu des demandes de renvoi dans les deux cas. Si les faits sont assez similaires, le traitement qui leur est fait jusqu’à leur procès diffère.

Dans le premier cas, l’homme est accusé d’avoir touché le sexe et les fesses de trois jeunes filles (à des moments différents) dans l’ascenseur d’un immeuble d’habitation, ainsi que d’avoir tenté de les embrasser. Cet homme fait des contrats d’intérim de façon peu régulière, il est marié et sa femme vit au Sénégal avec leurs deux enfants. Il reconnaît les faits. Le renvoi a été demandé par l’avocat des parties civiles, car tous les représentants légaux des jeunes filles n’ont pas pu être présents.

Dans le second cas, l’autre homme est accusé d’avoir frotté le sexe d’une jeune fille de moins de 15 ans et d’avoir introduit ses doigts dans son vagin. Cela s’est passé dans un ascenseur du métro. 15 jours d’ITT ont été prononcés pour la jeune fille ainsi qu’un an de suivi psychologique.
Au regard de la définition juridique du viol dans la loi française, cet homme aurait pu être accusé de viol du fait de la pénétration ; il ne l’est pas. Cet homme est en CDI, il vit avec sa femme et ses deux filles. Il nie les faits depuis le début (comme dans le premier cas, les faits ont été filmés, mais la vidéo serait « très floue » d’après l’avocat). Le renvoi a été demandé suite au conseil de l’avocat.

Dans les deux cas, les parties civiles (trois parents étaient présents dans la salle) et le procureur ont demandé la mise en détention provisoire en attente du procès et les avocats ont demandé des contrôles judiciaires. Le premier a été placé en détention, le second mis sous contrôle judiciaire.

Ces deux exemples illustrent parfaitement ce qu’a mis en évidence Véronique Le Goaziou dans son article « Les viols en justice : une injustice de classe ? » : elle montre que les hommes des classes sociales plus favorisés nient davantage les faits et sont moins impressionnés par l’appareil judiciaire ce qui leur permet de mieux se défendre.
Ici, l’homme le plus précaire avait des difficultés à répondre aux questions posées alors que l’autre semblait beaucoup plus clair. Dans ce cas précis, le traitement différencié doit beaucoup aux garanties de représentation (incarné par le CDI de l’un).
Si les deux avaient des avocat·e·s commis·e·s d’office, notons que l’avocate du premier a été particulièrement mauvaise : elle a plaidé l’absence de risque de réitération et de pression sur les victimes en disant que les faits avaient lieu dans un transport en commun, alors que ceux-ci avaient eu lieu dans l’immeuble d’habitation des jeunes filles.

Trois parents des jeunes filles agressées étaient présents dans la salle. Ils y ont rencontré pour la première fois l’avocat chargé de les représenter. Celui-ci a pris moins de 10 minutes pour leur parler lors d’une suspension d’audience. Il n’a fait preuve d’aucune empathie, n’a pas demandé de nouvelles de leurs filles. Par contre, il a eu le temps de répéter à de nombreuses reprises «  L’important aujourd’hui c’est qu’ils aillent en prison ce soir ».

Violences/menaces

Deux hommes ont été jugés pour des faits de violences/menaces.

Le premier est un homme sans-papier qui ne parle pas français.
Il a jeté un tesson de bouteille dans le dos d’une femme et a frappé un homme avec un bâton. Les faits ont été filmés par une caméra. II vit à la rue depuis plus de deux ans. Il était assis avec d’autres personnes pas loin de l’entrée de l’immeuble du couple. Il explique avoir réagi ainsi, car il était alcoolisé et qu’ils ont été insultés par les deux personnes notamment des insultes à caractère raciste. Autant le procureur et la juge ne manquent pas de préciser à quel point cela leur paraît incongru : « Pourquoi ce couple de personnes âgées vous insulterait-il ? » La réponse « Parce qu’ils sont racistes » ne semble pas leur être venue à l’idée.
L’avocat des parties civiles a demandé 2 fois 5 000€ pour le préjudice moral de chacun des conjoints (qui ne sont pas présents). Le procureur a demandé 6 mois ferme et deux ans d’interdiction de Paris. La juge a mis 6 mois dont 3 avec sursis, obligation de soin et de chercher un travail, 5 ans d’interdiction de port d’armes et 2 000 et 1 000 euros pour le couple.

Dans le second cas, il s’agit d’un homme de près de 60 ans qui est accusé de menaces avec arme et de détention de cocaïne. La gérante d’un bar l’accuse d’être venu la menacer avec un fusil.
Lors de la perquisition chez lui, la police trouve un fusil et des pochons de cocaïne. L’homme nie être allé menacer la gérante du bar avec le fusil, il dit qu’elle savait qu’il avait ce fusil chez lui et qu’elle ment en disant qu’il est venu avec. Elle a refusé la confrontation, n’est pas présente et c’est la seule témoin.
Le procureur dit qu’il est impossible de douter de la véracité des faits, car « Monsieur a un long casier, et en plus il est suivi au niveau psychiatrique ». Il demande 6 mois de prison dont 3 avec sursis, interdiction de contact avec la gérante et interdiction de port d’arme pendant 5 ans. C’est ce que la juge va mettre.

Un cas de conduite sans permis

Enfin, le dernier dossier est celui d’un homme accusé de conduite sans permis et d’état alcoolique au volant. Le procureur demande 5 mois ferme et la juge en mettra 4.

Pour finir sur une note un peu plus joyeuse, entendue pendant une des suspensions d’audience lors d’une conversation entre un flic et des avocats : le manteau d’une avocate aurait disparu lors d’une audience vendredi.
D’après le flic, « C’est pas étonnant que ça ait été volé, la salle était remplie de black bloc, il y avait que de ça ».
Big up aux camarades qui vont être sapés comme jamais l’hiver prochain.

Mots-clefs : criminalisation | justice | procès | prison

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