# Début d’après-midi / place d’Italie —> esplanade des Invalides / manifestation « unitaire » contre la loi Travail
80 000 manifestant-e-s selon la police, un million selon les syndicats... Ou comment les chiffres annoncés tentent d’influencer le cours du mouvement.
Étant resté dans le cortège autonome de tête, mais vu que quand on est arrivé-e-s à Invalides une grosse partie de la manif n’était pas encore partie de place d’Italie, on peut imaginer qu’on était laaargement plus que 80 000. D’autant que depuis le début de ce mouvement, les chiffres donnés par la préfecture de police de Paris sur le nombre de manifestant-e-s sont toujours incroyablement bas par rapport au nombre réel [1].
Plus d’une heure avant le départ, le quartier de la place d’Italie est déjà rempli de monde. Et avant l’heure du départ de manif, le cortège de tête qui devait partir de la place d’Italie est déjà sur le boulevard de Port-Royal, à attendre, et à grossir. Il y a beaucoup plus de monde que d’habitude, dans la manif en général, et dans le cortège de tête en particulier.
S’agissant d’une manifestation « nationale » [2], par ailleurs relayée à l’étranger [3], il se trouve là plus de manifestant-e-s qui n’ont pas encore participé au mouvement sur Paris que d’habitué-e-s des cortèges de tête parisiens. Et ça fait plaisir à voir !
En revanche, et l’on s’y attendait, la présence policière est oppressante. Ils sont venus eux aussi en grand nombre...
Très rapidement sur le boulevard de Port-Royal, de premières actions ont lieu (tags, détournements ou bris de panneaux publicitaires) et de premières charges de flics ont lieu à côté de l’hôpital du Val de Grâce. Des affrontements s’ensuivent pendant un long moment, grenades lacrymogènes et de désencerclement contre caillasses.
« Ambiance scandale, danse de vandales
Sens d’où vient la chaleur
Gloire à l’art de rue »
Dès lors, il n’y aura pas assez de place sur les murs entre le boulevard de Port-Royal et le boulevard des Invalides pour accueillir toutes les envies de tags des manifestant-e-s. Après notre passage, certains murs ressemblaient plus à une table de fond de la classe en fin d’année...
Quelques exemples de tags parmi plein d’autres :
Niveau « casse », toutes les banques, agences immobilières, d’assurance, etc. y passent, comme d’habitude, ainsi que diverses autres enseignes capitalistes genre Starbuck et compagnie [4]. Le Ministère de l’Outre-Mer a été sur-tagué et vu quelques-unes de ses fenêtres brisées. Et bien sûr, tout ce qui était publicités, caméras de vidéo-surveillance [5] y est passé, dans la joie et la bonne humeur.
Parmi les trucs marrants, on a pu voir une agence qui proposait une « épargne solide » mais dont les vitrines fragiles se sont effondrées après deux coups de latte.
Un magasin de bourges (Lancaster) a vu ses vitres défoncées et quelques sacs à main distribués à la foule.
Un magasin proposant coffres-forts, alarmes, portes et vitres blindées a lui aussi vu ses vitrines s’effondrer et quelques trucs du magasin se faire emporter, hop hop.
Une banque a été complètement saccagée, des ordis sortis et détruits.
Et en plus de tout ça, des jets de peinture de toutes sortes (œufs, bouteilles, etc.) atterrissent sur des cibles ennemies (bâtiments capitalistes et/ou d’État, et flics bien sûr).
Bref, c’est plutôt la fête à ce niveau-là.
Mais toutes les rues adjacentes sont occupées par des cordons de CRS, et certaines, notamment au niveau de Montparnasse, sont carrément bloquées par des grilles protégeant les CRS. Un canon à eau est de sortie [6] au niveau de l’hôpital Necker et ne se prive pas d’entrer en action, recevant comme il se doit un bon paquet de projectiles tandis que de l’autre côté les CRS se font canarder aussi. À cet endroit, les affrontements durent de longues minutes. Le nombre de grenades lacrymogènes et de désencerclement lancées par les flics est impressionnant.
Plus qu’impressionnant, c’est même parfois flippant. Les flics sont beaucoup plus agressifs que lors des grosses manifs du mois de mai. En plus des jets de grenades de toutes sortes, les charges et les coups de matraques pleuvent. Il y a beaucoup de blessé-e-s, des mouvements de foule assez effrayants [7], et si la solidarité est de mise entre manifestant-e-s dans ces moments-là, ça pêche un peu quand les flics réussissent à diviser le cortège de tête du reste de la manif, puis à scinder le cortège de tête en plusieurs groupes. À plusieurs reprises l’intelligence collective était submergée par la colère et l’envie d’en découdre, et d’autres fois par la peur et les réflexes de protection. Assez souvent, on a essayé d’inciter celles et ceux de derrière à nous rejoindre. Mais pour cela, on s’en est aperçu lors des diverses manifs de ce mouvement, il faut généralement que la tension baisse d’un cran ou deux : si les flics canardent le point de séparation de lacrymogène et de grenades de désencerclement (et même parfois avec le canon à eau ou à coups de flashball), c’est assez dissuasif pour celles et ceux qui flippent un peu derrière... Normal. Et à plusieurs reprises, en même temps qu’on faisait des signes pour dire « venez, rejoignez-nous », d’autres attaquaient la police à base de caillasses... Alors ok, des fois c’est malin parce que ça permet de les garder à distance, mais là, souvent, c’était plutôt contre-productif. Les flics ont d’ailleurs réussi à couper le cortège plusieurs fois, ce qu’ils n’avaient plus réussi à faire sur Paris depuis le 1er mai, et encore, le 1er mai on s’était finalement tou-te-s retrouvé-e-s ensemble avant d’arriver sur la place de la Nation (idem lors du nassage temporaire de la tentative de départ en manif sauvage le 26 mai dernier puisqu’on a réussi à se regrouper au bout d’une quinzaine de minutes). Cette fois, même si l’on a pu faire énormément de choses en termes d’actions directes, ça donnait quand même pas mal l’impression qu’on était canalisé-e-s malgré la rage qui s’exprimait avec intensité.
Par exemple, à aucun moment on n’a pu imaginer pouvoir partir en manif sauvage tellement toutes les rues adjacentes étaient remplies de CRS. Et pour cause, autour il y avait pas mal de cibles potentielles : Matignon, l’Assemblée Nationale, des Ministères divers, et bien sûr la fan-zone de l’Euro 2016 !
Toutefois, il y a eu des moments assez oufs pendant les affrontements. Par exemple, un CRS s’est fait voler une grenade lacrymogène non dégoupillée ! J’espère qu’elle a été envoyée sur un cordon de CRS ou de bacqueux ! Et le bitume comme les murs ont été défoncés pour alimenter massivement les manifestant-e-s en projectiles. Quelques Molotovs ont aussi volé sur les flics. Côté flicaille, ils n’étaient pas en reste, puisque selon un article de Libération, plus de 1500 grenades lacrymogènes et 175 de désencerclement ont été utilisées pendant la manif !
Mais là encore, le chaos régnant a fait que c’était parfois un peu n’importe quoi : des projectiles qui tombent sur des manifestant-e-s qui sont en première ligne, des gros pétards ou des caillasses qui tombent tout près de gens qui sont en train de taguer ou de péter des vitrines... C’est nécessaire d’être attentif à ce genre de choses, on se fait suffisamment blesser par les flics pour ne pas avoir en rajouter. Prenons soin de nous, aussi, les street-médics sont déjà bien débordé-e-s dans ces moments-là (au passage, big up à elles et eux).
Aussi, d’habitude les bâtiments et magasins attaqués sont clairement ciblés. À mon avis, cela a permis à beaucoup de gens de rejoindre le cortège de tête sans avoir à être gêné-e-s par la casse, estimant bien entendu que ces actions sont sensées, et « légitimes » [8]. Cette fois, ça n’a pas été tellement différent à ce niveau-là, mais il y a eu la mauvaise blague de l’hôpital Necker... Une personne seule a étoilé une dizaine de ses vitres, sous le regard circonspect de pas mal d’autres manifestant-e-s, qui soit ne savaient pas qu’il s’agissait d’un hôpital, soit ne comprenaient pas pourquoi cette personne s’y attaquait [9]. Bon, dans le chaos ambiant, c’était vraiment pas grand chose. On peut trouver ça vain et contre-productif au niveau du « message » et de la cohésion de l’esprit du cortège, mais bordel... Les politicien-ne-s et journalistes qui s’offusquent et parlent de « saccage », d’hôpital « dévasté »... Non, mais allô, quoi !?
Tout ce chaos et ce relatif manque d’entraide et d’attention aux autres est évidemment dû à l’intensité inédite de l’agression policière, quasi permanente de bout en bout du parcours (au niveau du cortège de tête, il semble que loin derrière c’était « tranquille »). C’est sûrement dû aussi à l’excitation du moment, du fait du contexte, la groooosse manif-événement du mouvement et le cortège de tête renforcé en nombre. Mais c’est peut-être dû aussi au fait qu’une partie des manifestant-e-s présent-e-s le 14 juin n’avaient pas la « culture » de ces cortèges de tête, où l’entraide et la détermination se complètent dans un équilibre permanent : détermination de l’entraide quand on est attaqué-e-s par la flicaille, et entraide dans la détermination quand des actions directes sont effectuées (casse, tags, caillassage de flics, etc.).
À l’arrivée sur l’esplanade des Invalides, alors que certain-e-s font le choix de sortir au plus vite de là, d’autres continuent les festivités : le Crédit Agricole à l’arrivée sur l’esplanade est visé par de la peinture et des caillasses.
Une voiture de police qui passe par là on ne sait trop comment est chassée fissa par les manifestant-e-s. Des affrontements s’engagent vers le rond-point du Bleuet de France, en face de l’Hôtel des Invalides, puis les CRS chargent à plusieurs reprises à travers l’esplanade, partant le plus souvent de la rue de Constantine. Les CRS sont très nombreux, et ils sont épaulés par deux autres canons à eau.
Assez rapidement, l’esplanade est noyée sous les gaz et beaucoup de monde se remasque. Les hélicos tournent au-dessus de l’esplanade et de la manif... À l’entrée du métro Invalides, au croisement de la rue de Constantine et de la rue de l’Université, des flics sont mis en fuite et caillassés dans les escaliers. Puis d’autres viennent à leur rescousse, et ça repart en mode charges/matraques/lacrymo.
Ça s’est calmé un peu, puis ça s’est dispersé au fur et à mesure (je pense que la manif a dû continuer d’arriver pendant des heures, mais je n’étais plus là pour le voir...).
Le lendemain soir (mercredi), sur les 58 personnes interpellées [10] lors de la manif, 41 étaient toujours en garde-à-vue. On en saura sûrement plus via DefCol [11].
Pour ce qui est de la loi Travail, je ne sais pas si on finira par avoir une victoire par chaos comme cette manif aurait pu le laisser présager, mais dans tous les cas le mouvement n’est pas du tout terminé ! Et s’il se termine un jour, faisons en sorte qu’il en reste quelque chose de fort ! Des liens, des complicités, des projets, de l’entraide et de la détermination. Et des perspectives révolutionnaires, toujours.
Ils sont également regroupés dans cet article de suivi de la journée et de ses suites :
# Début de soirée / Sénat, quartier latin et place de la République / rassemblements et manif sauvage
Sur l’esplanade des Invalides, deux RDV tournaient, pour celles et ceux qui en voulaient encore : 18h30 rue Gay-Lussac pour aller devant le Sénat et/ou 19h place de la République.
Autour du Sénat, il y avait déjà masse de keufs, donc pas grand-monde devant (ça finira quand même en rassemblement d’une quarantaine de personnes devant, apparemment).
Vers 19h30, une manif sauvage d’environ 500 personnes déambule à travers le quartier latin, sans pouvoir s’approcher du Sénat. Vers 20h15, une demi-heure après avoir été pris en chasse par les keufs, les manifestant-e-s se dispersent du côté de la rue Mouffetard. Le quartier latin est alors en état de siège, des CRS étant postés place de la Sorbonne, rue Soufflot, rue St-Jacques, etc.
À République, plus ou moins un millier de personnes se sont retrouvées malgré la pluie.
Et tout a commencé vers 21h20, par l’arrivée en trombe de la sécu de la RATP. Des mecs des GPSR descendent de leur véhicule et s’engouffrent dans une bouche de métro. Plusieurs personnes se disent que ça ne sent pas très bon pour les gens qui doivent être en train de se faire contrôler en bas... Donc certain-e-s les suivent vite fait à l’intérieur du métro, tandis que d’autres taguent et balancent des poubelles sur leur véhicule. Assez rapidement, huit de ces sbires de la RATP ressortent de la bouche du métro, tonfas et gazeuses à la main, dans l’intention de mettre fin à tout ça. Sauf qu’en fait c’est un peu chaud pour leur gueule, il y a du monde ici ! Ils se prennent quelques projectiles, la foule gueule « Tout le monde déteste les contrôleurs » et les gros bras de la RATP sont obligés de fuir et de retourner dans le métro, sous divers projectiles, dont des poubelles, encore une fois. Puis, leur véhicule est à nouveau tagué, un rétro puis une vitre sont brisés, hop hop un fumi passe par la fenêtre cassée, avec quelques autres trucs pour que ça prenne feu plus vite, et c’est parti pour le feu de joie !
5-10 minutes plus tard, une voiture de police se pointe. Les quatre flics en sortent, puis en voyant la foule s’approcher ils remontent en vitesse dans leur voiture et s’enfuient sans plus attendre.
Une demi-heure plus tard, les sirènes de camions de CRS résonnent aux alentours de la place, mais les gens sont déjà parti-e-s en manif sauvage...
# Soirée / place de la République —> parc de Belleville / manif sauvage
Vers 21h50, près d’un millier de personnes partent en manif sauvage de la place de la République. Dès les premiers mètres, sur l’avenue de la République, une banque prend des coups et d’autres cibles sont attaquées (Darty, agences immobilières et d’intérim). Au croisement avec la rue Jean-Pierre Timbaud, ça tergiverse un peu. Certain-e-s ne se le sentent pas trop, et le nombre de manifestant-e-s fond déjà un peu.
En prenant la rue Saint-Maur sur la gauche, des manifestant-e-s se servent dans un chantier et attaquent immédiatement des gros panneaux de publicité (4x3) et des caméras de vidéosurveillance. Dans cette même rue, deux Autolibs sont cramées et un petit supermarché Dia est défoncé et vite fait pillé.
Puis ça remonte vers Belleville en prenant la rue du Faubourg-du-Temple. Parmi les slogans criés, un joli « Paris, Paris, merci pour l’accueil » à consonances émeutières assez claires. Arrivée au croisement de Belleville, beaucoup se dispersent à la vue de bacqueux en armes. Celles et ceux qui restent prennent rapidement le boulevard de Belleville sur la droite. La Poste, qui en plus d’être une banque est un des sponsors officiels de l’Euro 2016, voit sa porte d’entrée défoncée, pareil pour un de ses DAB et une caméra de vidéosurveillance.
Puis, à un rythme plus que soutenu, ça remonte en direction du parc de Belleville par la rue Ramponeau. Un comico de quartier voit ses vitres étoilées, bim bim, et hop hop ça se disperse. À ce moment-là il ne restait plus qu’une cinquantaine de personnes, maxi. Il doit être un peu plus de 22h30.
Dans le quartier, les bacqueux ont rôdé et arrêté au moins trois personnes rue de l’Orillon, et quatre autres dans un resto de la rue de Belleville (tabassées par les bacqueux, ces personnes ont été sorties du resto de force, en sang). Là aussi, la solidarité sera plus que bienvenue !
# Prochaines dates
Parmi les prochains rencards, notons les 18-19 juin et le 25 juin, à l’appel de la coordination nationale des assemblées de lutte. Et les 23 et 28 juin, à l’appel de l’intersyndicale. Mais la lutte peut s’exprimer chaque jour : la révolte n’a pas d’agenda !