Témoignage d’une GAVée du 1er Mai

Récit personnel assez exhaustif d’une garde à vue du 1er mai.

Le premier mai, j’ai été une de ces nombreuses personnes placées en Garde à Vue (GAV). Cela a duré plus de 24h.

La nasse

Je me suis rendue à la manifestation du 1er mai, il y avait énormément de monde dans le cortège de tête. Je me suis placée à côté du Black Bloc mais sans être spécialement dedans. J’étais habillée en noir mais sans k-way, masque et lunettes. J’avais juste une écharpe rose poudrée pour me protéger des gaz.

Je me trouve donc dans le Boulevard de l’Hôpital lorsque les flics commencent à gazer. Voyant que ça ne s’arrêtait pas, que ça s’intensifiait et sachant que je n’étais pas équipée, je décide de me mettre à l’abri. Avec plusieurs personnes nous sommes allés dans la Rue Buffon et, voyant une porte de hall d’entrée s’ouvrir, nous nous y engouffrons sans trop réfléchir.

Nous découvrons alors que ce sont les employé-e-s du Mac Donalds qui nous ont ouvert. Nous sommes de plus en plus nombreux.ses dans cette cour intérieure. Au bout d’un certain temps, voyant que ça ne gazait plus et qu’il n’y avait presque plus personne dans la rue Buffon, les employé-e-s nous demandent de sortir. A peine dans la rue, je me rends compte que nous sommes nassé.e.s : il y a des CRS de chaque côté de la rue, il est alors 16h30.

Au début, je me dis que c’est une nasse comme les autres, comme j’ai déjà pu en faire (y être). On commence donc une partie de cartes avec des inconnues, on joue au morpion ACAB … on s’occupe. Puis les CRS commencent à fouiller et faire sortir des gens. Ils opèrent un tri (seuls eux savent avec quels critères hein), d’un côté une nasse, plus réduite, et de l’autre la « liberté ». Étant vers la fin, ils me mettent d’office dans la petite nasse.

Au moment de la fouille, le CRS me prend des autocollants, les regarde et les garde. Je lui demande alors de me les rendre : il ne veut pas. Je lui demande donc son numéro de matricule, ce à quoi il me répond « arrête de me faire chier et assieds-toi »… au final je m’assois, il me jette alors au visage les autocollants qu’il avait préalablement déchirés en petits morceaux. Les CRS nous demandent une pièce d’identité, la nasse est alors divisée en deux groupes (celleux avec une pièce et les autres qui ne l’ont pas encore donnée ou qui n’en n’ont pas). Un premier camion va partir, puis un deuxième arrive, les CRS le remplissent de personnes, une personne fait une crise de panique … elle sera donc remise dans la nasse mais le camion partira.

De plus en plus de soutiens sont présents, les flics décident alors de déplacer la nasse dans le Jardin des Plantes, à l’abri des regards. Au bout d’un certain temps, on commence à jouer à 1,2,3 soleil ou encore à la marelle sous le regard presque amusé des CRS. Puis un CRS commence à nous appeler par groupes de 9, il en profite pour faire des blagues telles que « les nominé-e-s sont, les lauréats sont ... » . Vraiment trop drôle, sachant que ce sont les groupes qui vont au commissariat !

Deux ou trois camions partent puis... vers 21h30, un bus de la police arrive ... c’est pour nous, les 35 restant-e-s. On fait des coucous aux soutiens présent-e-s. Les CRS nous prennent notre sac à l’entrée du camion et procèdent à une fouille.

En bus !

Au début, on nous dit que c’est juste une vérification d’identité et que ça ne va pas durer longtemps. Sur le périph, on fait coucou aux voitures, une ambiance bon enfant, on se dit qu’on va en colo.
Arrivée rue de l’Evangile, on nous dit que « finalement c’est une garde à vue, vous n’avez vraiment pas de chance parce que tous les autres ce n’était que des vérifs ». On apprendra plus tard que c’était un mensonge. Ayant nos téléphones, on se regarde alors sur BFMTV, on chante Bella ciao et on prévient nos proches. Durant deux heures et demie, on nous fera sortir du camion un-e par un-e pour aller faire la fouille. J’attends une éternité mon tour (bah ouais y’a pas tant de meufs flics que ça).

L’évangile : « le centre de tri »

À la fouille on enlève tous les objets que l’on a sur soi, les ceintures, soutiens-gorges, piercings, bijoux et les lacets des chaussures. On nous met ensuite dans des « enclos » à l’extérieur. Il est environ 00h30 quand je passe. Je demande à faire pipi dans les toilettes mobiles en plastique... ok mais la flic ne veut pas que je ferme totalement la porte (cool tous les gens à la fouille pouvaient me voir).

De l’enclos, on pouvait voir les personnes en audition pour donner leur identité. Du coup une camarade, instit spécialisée, nous apprend à quelques un-e-s quelques mots de langue des signes (avocat, piège, ca va, oui, non). Vient mon tour, je passe dans la même salle qu’un camarade. On me notifie le motif de ma garde à vue « participation à un attroupement en vue de commettre des violences sur personnes ou des dégradations de bien ». J’essaye de répondre par des mouvements de tête aux questions que l’on me pose en LSF de l’autre côté de la vitre... c’est difficile de suivre deux conversations en même temps ! Le camarade d’à côté ne connaît pas bien ses droits ... je l’incite donc à voir un médecin et demander un avocat. Le policier se fout alors de notre gueule. De plus, tout au long de la GAV, des policiers ne vont pas cesser de nous mentir pour tout et pour rien, que ce soit pour nous dire que la présence d’un avocat est inutile jusqu’à l’heure des repas …

Bref, on m’amène en cellule collective. Là, un flic nous donne à manger et des verres d’eau. Le fameux riz du soleil ou riz méditerranéen. Une espèce de bloc de riz qui baigne dans l’huile et qui n’est vraiment pas bon.

Je commence à m’endormir quand des flics viennent me chercher. Ils me menottent dans le dos à la sortie de la cellule, et avec d’autres camarades, nous emmènent au comico du 13e. On rigole pendant le trajet (une petit camion), chacun-e dans notre petite cage où on devine le visage de l’autre à travers la grille.

Le comico du 13e

On arrive. Un flic (qui doit être le « chef ») fait une blague sur le fait que mettre ensemble des filles dans une cellule « ça va faire une partouze ». On est fouillées. Avec une camarade, on nous met dans une cellule collective, on nous donne deux matelas et quelques couvertures. Petit à petit, d’autres camarades arrivent. S. est ressortie de la cellule pour être fouillée (les flics avaient oublié). Ils l’emmènent ensuite au comico du 5e ou 6e pour refaire signer un PV (pendant 1h30). D’autres meufs arrivent encore. Au final, nous serons 10 avec 2 matelas et 6 ou 7 couvertures.

La lumière de la cellule s’éteint approximativement toutes les 15 min et se rallume dès que la porte de la cellule est ouverte ou que les flics passent dans le couloir. Et bizarrement, c’est toutes les 15-20min que les flics ont des choses à nous dire ou à faire vers la cellule.

Régulièrement, toute la journée, ils vont faire l’appel (dès fois qu’une de nous ait creusé un trou et se soit enfuie …). A 8h, nous avons un petit déjeuner, composé de 2 petits beurres et 1 brique de jus d’orange.

La matinée sera pour moi le moment le plus long. On a beaucoup discuté (une chance d’être en cellule collective). À un moment, on vient me chercher pour que je donne mes empreintes : je réponds que je préfère voir mon avocat-e avant de prendre des décisions. La femme n’est vraiment pas contente et me répond que, pour la peine, je passerai en dernière. On me ramène à la cellule, j’explique ce qu’il vient de se passer aux autres. Elles répondent alors presque toutes aux flics qu’elles préfèrent attendre leur avocat-e avant de prendre des décisions. Les flics ont l’air vexés, nous disent que plus vite on donnera nos empreintes plus vite on sortira. Cet argument de sortir plus vite sera souvent donné par les flics… bien sûr, c’est un mensonge. Il faut quand même savoir que les flics ont le droit de mentir autant qu’ils veulent en GAV.
La fin de la matinée sera longue, on fera des jeux de mîmes et nous apprendrons un peu la langue des signes. Le midi, nous mangeons notre riz.

Régulièrement, on demandera à aller aux toilettes (située à 8 pas …), au début pour pisser ou boire au robinet, puis juste pour sortir et marcher un peu.

Pour l’eau, au début nous devions aller boire au robinet des toilettes, puis nous devions demander chaque verre d’eau à un flic … ce qui fait que je n’ai pas beaucoup bu.

En début d’après-midi, je vois mon avocat. Je reviens dans la cellule et console les personnes qui viennent de passer en audition.

Mon « OPJ » (officier de police judiciaire) vient ensuite me chercher avec ma « fouille » et mon avocat : direction l’audition. L’OPJ est à la brigade des STUPS et porte un pull « Fight like a girl ». Dans l’ascenseur, elle me dit que mon sac est lourd et me demande ce qu’il y a dedans. Je lui réponds qu’il y a des bouteilles d’eau, ce à quoi elle répond en me demandant s’il y a une arme, des pierres ou d’autres projectiles… Je lui réponds que non. Elle me demande alors pourquoi je suis habillée en noir. Mon avocat lui retourne la question.

Pendant l’audition, je vois enfin le ciel, bleu .. il fait beau .. Les questions commencent : « Racontez votre interpellation », « avez-vous commis des dégradations ? » « avez-vous commis des vols ? », « avez-vous vu des personnes armées autour de vous ? », « pourquoi êtes-vous habillée en noir ? », « aviez-vous le visage dissimulé ? », « avez-vous quelque chose à dire au magistrat ? ». J’échappe aux questions telles que « D’où vous vient votre haine des institutions et de la police ? » ou encore « Comptez-vous vous marier ? » « Comptez-vous avoir des enfants ? » ...
Je retourne en cellule. Il est environ 15h30-16h. Nous savons toutes que l’heure est bientôt venue, soit nous sortons dans quelques heures, soit nous sommes prolongées de 24h. L’espoir commence à diminuer. On chante quand même un peu. A un moment, quelqu’une chante « Dans ma jungle, terrible jungle, le lion est mort ce soir ... », un flic passe et nous sort un : « vous vous êtes trompées d’endroit, ça c’est à la ZAD ». A ce moment-là, nous commençons à lui faire une ovation, on crie, on tape contre la vitre et puis … quelques secondes plus tard, on entend les mecs de l’autre collective crier et faire du bruit … Peut-être que ça n’avait rien à voir mais nous, enfin moi, je l’ai perçu comme une réponse.

Puis vient un OPJ avec une fouille .. il appelle l’une de nous, nous lui demandons où elle va. Il nous répond qu’elle va chanter la reine des neiges (comprendre « libérée délivrée »). Elle part, nous ne savons pas si c’est vrai ou s’il nous a menti. Mais elle ne revient pas.

Puis une petite troupe de flics avec un laborantin vient devant la cellule. Il est armé d’un masque chirurgical et de cotons-tiges, ils viennent pour prendre l’ADN. Ils m’appellent en première. J’hésite.. ça fait deux ans qu’on me répète de ne pas donner mon ADN, et je ne veux pas le donner … mais j’avais l’impression d’être seule à ce moment-là et je ne voulais pas passer plus de temps ici, enfermée, privée de toute communication .. alors je me suis levée et ai ouvert ma bouche. Une camarade a fait pareil. Les flics sont ensuite allés chercher d’autres cotons-tiges. Ils sont revenus et là … toutes les autres ont dit qu’elles préféraient attendre de voir un avocat ! Les flics étaient vénères et ont claqué la porte en disant que c’était un refus donc une infraction, qu’elles allaient être déférées. Encore un mensonge. Ils sont partis.

Ils sont ensuite revenus et nous ont demandé nos sweats et vestes ... pour analyser s’il y avait des combustibles ou autres substances incriminantes. Nous demandons si c’est une infraction, ils nous disent que oui .. puis qu’ils ne savent pas .. pour au final nous dire qu’en cas de refus, ce sera notifié sur le procès verbal. Très bien c’est un refus collectif de donner nos vêtements (et puis il fait froid !). Nous commençons alors à leur dire que la fin de la GAV est à 17h et qu’il va falloir se dépêcher de nous libérer.
Puis tout va très vite, petit à petit, certaines filles sortent, et puis ... je suis appelée … je récupère ma fouille, mets mes lacets … Une flic me fait sortir en même temps qu’un mec par la porte de derrière. Ce dernier me dit qu’il y a un rassemblement devant. Nous les rejoignons et je retrouve ma famille, mes ami-e-s, mes voisin-e-s et tout plein d’autres gens … et ça fait un plaisir énorme que de se sentir soutenue à la sortie. Après ça, j’ai attendue quelques heures pour voir qui sortait, j’ai donné les infos que j’avais et je suis rentrée chez moi pour me doucher et dormir !

Au final …

… je n’ai pas vu de médecin alors que je l’ai demandé à plusieurs reprises. J’ai été notifié en garde à vue officiellement à 18h05 alors que cela a commencé à 16h30. Je n’ai appris ma garde à vue qu’à 22h passée et le motif à 1h du matin. À ce jour j’attends le petit papier du magistrat qui me dira si j’ai des poursuites.
… je savais que rater une ou deux ou 3 journées de cours ce n’était pas très grave dans mon cas. Mais je trouve important de rappeler que tout le monde n’est pas dans cette situation et que beaucoup de personnes subissent les GAV comme une politique de répression régulière voire systématique. Celles-ci peuvent également produire une perte d’emploi, d’autant plus si la personne est déjà précaire.

De plus, moi, j’avais du soutien à l’extérieur (famille, ami-e-s, syndicat, groupes affinitaires) mais encore une fois ce n’est pas le cas de tout le monde. Des proches m’ont informé-e-s que, à part elles et eux, personne n’avait vraiment appelé à un rassemblement devant le commissariat du 13e. Je pense donc qu’il ne faut pas attendre d’avoir été en GAV ou de connaître une personne en GAV pour faire des rassemblements de soutien. Il est important d’être présent-e-s pour les personnes que l’ont ne connaît pas, d’autant plus si celles-ci n’ont pas les réseaux militants/de soutiens que d’autres peuvent avoir.
Il me semble également très très important de former un maximum de personne sur nos droits en GAV et ce qui peut se passer réellement.

Localisation : Paris

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