Sortir du camp

Le texte qui suit a été écrit la veille de l’expulsion des jardins d’Éole. Il devait être finalisé, traduit et distribué aux soutiens et aux migrant-e-s : il s’agissait de réfléchir à la place et à la forme que doit ou ne doit pas prendre la solidarité. D’autres campements existent, et d’autres sont à venir : ce texte reste donc encore d’actualité.

À l’attention des soutiens, personnes solidaires, voisins...

Pendant plusieurs mois, des migrant-e-s dormaient sous le métro aérien de la ligne 2. Ils dormaient dans des tentes, fournies par des associations, ils étaient nourris, par des associations, ils étaient comptés, par des associations.

Le 2 juin, à l’aube, ils furent expulsés par la préfecture… et des associations (France Terre d’Asile et Emmaüs). Alors même qu’un syndicat de travailleurs sociaux s’indignait que celles et ceux dont le boulot est de permettre l’accès aux droits élémentaires deviennent des supplétifs de la police, ces associations ont continué dans le mensonge. Ce sont ces mêmes associations qui sont chargées par la mairie « d’accueillir » et d’accompagner les migrants « hébergés » de l’occupation de la caserne. On sait avec quels résultats.

Après l’expulsion du campement de la Chapelle, les migrant-e-s se sont retrouvés, avec des voisins, à proximité de l’Église St-Bernard. Lorsqu’ils ont décidé, faute de solution, de pénétrer dans l’église, c’est une autre association, Entraides Citoyennes, qui a balancé le projet aux flics et au curé. Cette même association qui vient le soir-même fournir des sandwichs jambon-fromage à des personnes qui, majoritairement, et pour des raisons religieuses ou culturelles, ne mangent pas de porc ou sont végétaliennes. L’asso se donnait le droit de trier les migrant-e-s selon leurs besoins supposés.

Entraides Citoyennes encore, le vendredi 5 juin, aidait les flics à pousser les migrants-e-s dans le métro de la Chapelle, sur les quais. Lorsqu’une voisine, outrée, a tiré la sonnette d’alarme pour bloquer le métro, c’est une personne de cette association qui l’a dénoncée publiquement, devant les flics.

« Ce n’est pas une coïncidence si pour nommer les bidonvilles où vivent maintenant des Rroms, la presse, le gouvernement, et même trop souvent les acteurs de la société civile utilise le nom de camp. Le bidonville est un instrument du racisme d’État entretenu par l’administration à des fins de gouvernement. »

Extrait d’une déclaration, le 16 mai 2015, à la fête de l’Insurrection Gitane.

Au Bois-Dormoy, le PCF, pour des raisons de cuisine interne au sein des instances dirigeantes de la mairie de Paris, a envoyé ses jeunes militants « tenir » le camp – gants obligatoires pour toucher les Noirs – organisant comme à son habitude des réunions d’organisation où les migrants-e-s n’étaient pas invités, et boudant les assemblées organisationnelles qui avaient lieues sur place.

Aujourd’hui, à Éole, les associations ont disparu. Le PCF considère le campement comme « ingérable » et ce serait un aveu d’échec de leurs négociations que d’y remettre les pieds (c’était pourtant leur projet avant que l’assemblée migrants/solidaires bouscule le service d’ordre du PCF pour se diriger vers la caserne de Chateau Landon). La plupart des associations – pas si indépendantes – n’y passent plus.

Aujourd’hui les associations ont disparu, et pourtant un comportement similaire est parfois reproduit.

Tant au niveau de la nourriture, de l’accès à l’eau, aux vêtements, aux informations, les migrant-e-s sont maintenus dans une situation de quémandeurs.
Cette file de personnes attendant son sandwich est insupportable. Ne sont-ils pas capables de se faire à manger à partir du moment où on leur propose les moyens matériels de le faire ? L’excuse de la fatigue ne tient pas : il n’y a rien de plus fatiguant que de se faire déposséder de tout.

Il y a là une gestion de camp, avec toute sa dimension carcérale. Les soutiens, majoritairement blancs, gèrent les migrant-e-s comme une population à risque, comme des sujets non-politiques, comme des enfants à qui il faudrait donner la béquée.

Ces derniers jours des efforts considérables ont été faits. Une volonté d’intégrer les migrant-e-s aux processus de décisions et d’organisation. Nous devons soutenir une telle démarche. C’est un premier pas allant dans le bons sens. Mais nous devons rester alerte : nos réflexes sont bien souvent empreints de paternalisme.

Sortir du camp, c’est déjà rompre avec la logique de charité. Les laisser exprimer leurs volontés, les laisser développer leur lutte et leurs moyens d’organisation.

En brisant ces logiques nous ne pourrons qu’ouvrir des perspectives pour sortir réellement du camp (d’Éole ou d’ailleurs).

En tant que soutien, évidemment, nous pouvons les aider : faire le point sur les démarches administratives, leur apporter une aide logistique, mobiliser nos connaissances et nos réseaux pour l’accès à du matériel, leur donner un aperçu du droit et de ses limites, du danger et des possibilités face à la police, leur raconter les expériences passées des luttes de sans-papiers et une idée du rapport de force dans le contexte actuel, leur décrire sans tabou les forces en présence.

La liberté de circulation n’est pas une distribution de sandwichs au kiri.

Rue Pajol : Ian Brossat, chef du PCF parisien, n°1 du logement à la Ville et à la tête d’un des plus gros bailleurs parisien, tartine des sandwichs

Note

réaction de l’association « entraides citoyennes »

Localisation : Paris 18e

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