Pour désigner le mouvement des Gilets jaunes à écraser, il y a des mots de droite : la « saloperie » (sur laquelle tirer), et il y a des mots de gauche : « la bêtise la plus hargneuse ».
Il y aurait la persistance d’un clivage entre progressistes et réactionnaires, entre gauche politique et droite politique, et surtout il y aurait l’illusion que la gauche, que les progressistes, seraient tout de même des alliées possibles en cas de révolte, et que de ce côté-là, on pourrait trouver un plus grand nombre afin de gonfler les rangs, d’agrandir le cercle (dont on occuperait, imaginairement, le centre, bien sûr).
Eh bien, c’est faux. Il faut crever l’illusion. Toujours, en cas de révolte, la gauche barre l’accès à l’insurrection et à la rupture violente avec le monde existant. Car la gauche honore en premier, et par dessus-tout, la démocratie, en tant que la démocratie organise la nation et en tant qu’elle maintient l’organisation de la nation en maintenant l’ordre, envers et contre tout ce qui serait susceptible d’y attenter en réalité.
Les affirmations qui précèdent peuvent sembler bien péremptoires et bien définitives. Il suffit pourtant de lire l’éditorial du journal Le Monde.
Un éditorial, et non pas une tribune, c’est-à-dire une rédaction collective, sujette à argumentations et à compromis. Tout, donc, sauf un accident de plume (comme il est parfois des accidents de l’humeur, destructeurs, dans les rues et dans les bois ; à cette différence que ces accidents ont à nos yeux des accents de vérité).
Un éditorial qui est l’expression précisée d’une pensée.
Une pensée de gauche, et non pas une pensée de droite.
Une pensée de droite appelle aujourd’hui plutôt à l’amour des flics, et en cas de décompression, à tirer à balles réelles sur la « saloperie » qui manifeste dans la rue (dixit le pauvre type qui écrivit le premier livre contre « la pensée 68 », puis un autre anti-Nietzche, ...) Bref, la droite réactionnaire, qui fait glisser la démocratie vers la démocratie autoritaire, et plus si affinités, on n’a jamais douté que celle-là n’était en effet pas une alliée. Mais une pensée de gauche, au contraire, défend la démocratie, n’est-ce pas ?, et se bat contre tous les poisons qui, à force de maux provoqués, la tuerait.
Quel est le poison aujourd’hui identifié par la pensée de gauche qui défend la démocratie ? Celui que sécrète le mouvement des Gilets jaunes. Quel nom donne-t-elle à ce poison ? Réponse : « la bêtise la plus hargneuse ». Le diagnostic est le suivant : cette « bêtise » gangrène la liberté de pensée et d’expression et elle devient l’ennemie de la démocratie. Et, en cas de gangrène, il faut se dépêcher d’amputer si l’on veut sauver le corps de la nation, n’est-ce pas ?
P.-S. : Je recopie ici, sans plus de commentaires, la conclusion de l’éditorial du journal Le Monde titre « Crise sociale : halte au lynchage », en date du 10.01.19 :
« La liberté de pensée et d’expression est une condition élémentaire de la démocratie. Elle peut en devenir l’ennemie lorsque, loin de débattre, de critiquer, de contester ou de blâmer, elle agresse, violente et se laisse gangrener par la bêtise la plus hargneuse. Personne ne devrait l’oublier. »