[Témoignage] Quand je volais mon patron quotidiennement

Petit témoignage de quelques mois de boulot dans un magasin de glaces et des luttes qui s’y déroulaient.

La patron se torchait avec le code du travail et la convention collective (pas de paiement du temps de mise de l’uniforme, pas de remboursement de la navigo, les horaires annoncées la veille etc). Qui plus est, il était coutumier des vexations quotidiennes et ne supportait pas de nous voir ne rien faire, même s’il n’y avait pas de clients. Ainsi, régulièrement, il regardait les caméras de vidéo-surveillance de la boutique et s’il n’y avait pas de clients appelait le fixe pour nous faire passer le balai, nettoyer la vitre etc. Notons que c’est interdit d’utiliser les caméras pour fliquer les employés.
Notons aussi qu’il nous était obligatoire de payer quasi plein pot les glaces/canettes/gaufres que nous consommions.

La situation devenait insupportable pour tout le monde mais comme nous étions toutes et tous en CDD avec l’ambition de le renouveler, nous n’avons pas opté pour un mode de conflit ouvert.
Après discussions avec les collègues, nous avons décidé d’entamer une grève du zèle ou plus précisément, de « jouer aux cons ».
Cela se traduisait par plusieurs choses. Par exemple, ne plus répondre au fixe quand il appelait, en arguant de ne pas avoir entendu. Ou de se tromper volontairement dans les parfums de glaces des clients, pour pouvoir la manger plus tard ou l’offrir à quelqu’un.
Nous avions lancé aussi plusieurs stratagèmes pour faire passer quelques sous de la caisse dans les pourboires. C’était plutôt efficace et assez ingénieux : il suffisait soit d’annuler la commande, soit plus simplement de ne pas l’enregistrer et de ne pas donner de tickets aux clients, qui, la plupart du temps, n’en réclamaient pas. Et ensuite de mettre la majorité du prix de la commande dans les pourboires au lieu de la caisse. Il était important de mettre la majorité et non le prix entier pour éviter au maximum les « trous de caisses ».
Personnellement, je ne partais pas sans avoir fait sortir au moins 20 euros par jour.
De même, quand des amis à nous passaient, l’idée était de faire semblant de les faire payer, pour que la caméra le voit.

Enfin, le gros truc que nous avons fait consistait à appeler un technicien pour rien.
Étant donné que les frigos contenaient des centaines de litres de glace, il fallait appeler le technicien au moindre souci. Néanmoins, à force d’y bosser, nous avions tout de même quelques bases : par exemple, quand un voyant s’allumait et que le frigo bipait c’était que le ventilateur était obstrué, il suffisait donc de le désobstruer. Nous avons donc décidé d’appeler le technicien, qui a juste viré le bac de glace qui bouchait le ventilateur et voilà, une facture de 200 euros pour le patron ! Le technicien était content : on lui avait offert une glace.

Tout cela ne nous a pas payé nos cartes navigo, ni les temps de mise de l’uniforme etc. Nous n’avons rien gagné formellement mais nous avons gagné des choses très fortes tout de même : la solidarité de classe et la dignité. La possibilité de se dire que oui, le patron a un comportement dégueulasse, mais nous le lui rendions bien.

Quand la lutte collective « ouverte » est compliquée, il est souvent jouable de lutter de façon individuelle et/ou caché. Le sabotage, le vol, en faire le moins possible, tout cela est possible, permet de réveiller le quotidien, de mettre du beurre dans les épinards et de retrouver un peu de fierté.

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