Qu’est-ce que la psychophobie ? Une mise au point

Le terme « psychophobie » désigne l’oppression systémique dont sont victimes les personnes considérées comme folles (ou malades mentales, ou souffrant d’un trouble psychique, voire de plusieurs pour les plus chanceux.ses d’entre elles) par rapport aux normes imposées par la société validiste-capitaliste. Malheureusement, c’est une oppression qui est très peu prise en compte au sein même des milieux militants qui se targuent de lutter contre tous les systèmes de domination en n’accordant en réalité de l’importance qu’à leurs aspects les plus superficiels. En fait, tout le monde semble s’en foutre pas mal. Et c’est grave.

Cette oppression se manifeste à tous les niveaux de la société, y compris dans les « soins » accordés aux fous/folles, censés remédier à leur « pathologie ».
 Ainsi, parce qu’une personne est en train de délirer ou de manifester sa souffrance de manière un peu trop dérangeante pour ses voisin.es, on n’aura pas de scrupule à :

– l’enfermer dans une chambre d’isolement en hôpital psychiatrique
,
– l’interner de force (en prime on peut t’enfermer dans ta chambre et c’est pas grave si tu tapes contre la porte pendant des heures à t’en défoncer les chaussures)
,
– l’attacher à son lit
,
– la maintenir par camisole de force (un instrument de torture psychique et physique aujourd’hui utilisé pour « rire » de la folie, comme dans ce sketch indécent de Laurent Baffie mêlant culture du viol et psychophobie)
,
– la médicamenter contre son gré (injections par piqûre), avec tous les effets secondaires que cela implique (dépression, évanouissements, dépendance…).


Ces pratiques sont courantes dans la psychiatrie et elles sont d’une violence inouïe, souvent traumatisantes. 
Rappelons que les fous et folles ne sont dangereux que pour eux-mêmes dans l’écrasante majorité des cas, contrairement au cliché psychophobe du « fou dangereux », et que rien ne justifie de telles pratiques (on ne protège pas une personne d’elle-même en la traumatisant et en la violentant). Ce n’est pas pour rien que Michel Foucault, dans Histoire de la Folie à l’Age classique, comparait les hôpitaux psychiatriques à des prisons, hôpitaux dans lesquels les populations déviantes (qui ne parviennent pas à être assimilées à la « raison » moderne) sont construites socialement comme étant dangereuses pour justifier leur médicalisation forcée visant à les domestiquer et, le cas échéant, à les marginaliser et à les isoler. Si l’eugénisme de naguère semble s’être adouci, c’est au profit d’une segmentation socio-médicale tacite des Corps.

Par ailleurs, les fous et folles sont :


– discriminé.es à l’embauche
,
– reçoivent énormément d’injonctions contradictoires : « Tu devrais prendre tes médocs ». « Tu ne devrais SURTOUT PAS prendre tes médocs ». « Tu devrais aller à l’hosto ». « Ne va surtout pas à l’hosto ». Et ainsi de suite pour à peu près tout. A peu près tout le monde semble mieux savoir que les fous ce qui est bon pour eux, à commencer par les psychiatres neurotypiques (NT) qui sont très fiers de leur diplôme certifiant leur compétence à catégoriser et « traiter » des « troubles » définis selon des critères fonctionnels et « rationnels », et qui se permettent de le rappeler à leurs patients à tout instant. Merci pour l’infantilisation et le paternalisme !
– sont plus susceptibles d’être victimes d’agressions. Eh oui ! Ce ne sont pas les fous et les folles qui sont dangereux, encore une fois,
ont plus de risques de devenir SDF
– voient continuellement leur souffrance minimisée (« tu devrais te bouger un peu », « c’est dans ta tête » (non, sans blague ?), « tu ne penses qu’à ton nombril », etc).
– sont stigmatisé.es par l’emploi de la folie comme marque péjorative, comme insulte. Par exemple dire que Trump ou tel ou tel facho sont fous, comme on peut parfois l’entendre dans les milieux militants, est psychophobe, en plus de dédouaner le racisme systémique qui sévit dans la modernité capitaliste en l’individualisant et en l’attribuant à quelque « déficience » mentale.

Il existe d’ailleurs une psychophobie typiquement militante qui consiste à blâmer celui ou celle qui n’est pas venu en manif ou n’a pas participé à telle action. Je me souviens avoir eu une discussion avec une militante à qui j’expliquais que je ne pouvais pas faire certains types d’actions car cela m’angoissait. Elle m’a répondu : « ça se travaille. » Mais je n’ai pas forcément envie de travailler là-dessus ; je n’ai pas forcément envie de devenir une parfaite militante qui peut tout faire si cela dépasse mes limites. Même dans les milieux militants, qui se veulent inclusifs, il est très difficile d’évoquer des difficultés psychologiques car ces souffrances sont invisibilisées. Donc on se cache. Ou alors on reste un cyber-militant parce qu’on n’ose pas aller parler et rentrer en contact IRL avec des structures ultra-affinitaires et donc de fait fermées aux personnes éprouvant des problèmes sociaux.

La psychophobie militante peut aussi être l’adoption d’un point de vue ultra anti-psychiatrie (alors qu’il y a des gens qui ont besoin de médocs psys, voire d’hospitalisations occasionnelles, pour vivre décemment). Entendre un neurotypique dire que les psychiatres sont tous des vendus au big-pharma et que prendre des médocs c’est faire le jeu du capital, c’est extrêmement violent, culpabilisateur et psychophobe.

Ce n’est pas parce qu’un fou ou une folle a un cerveau déviant de la norme (on parle de « neurodiversité » ou de 
« neuroatypie » (NA) pour désigner le fait que oui, certains cerveaux ne fonctionnent pas comme la norme le voudrait) qu’il ou elle mérite d’être à ce point invisibilisé.e, voire traité.e comme de la merde.

Le concept de neuroatypie (NA), en miroir avec celui de neurotypie (NT), permet de rendre compte du fait que les personnes NA subissent une oppression de la part des NT (sachant qu’il existe aussi de la psychophobie intériorisée par les personnes NA) tout en restant à l’écart du vocabulaire pathologisant de la psychiatrie.
 Il ne s’agit cependant pas de penser qu’il y a un.e NT parfait.e, qu’il existe des personnes qui se fondent parfaitement dans la norme psychique (être productif sans arrêt, avoir une vie sexuelle/sentimentale/amicale accomplie, être capable d’avoir un diplôme et un travail, être toujours super heureux parce que la vie est trop belle sous le règne du « progrès », youpi). Il est possible que de telles personnes n’existent tout simplement pas (difficile de réunir toutes les conditions à la fois). Mais le concept reste intéressant parce que, de fait, il y a un panel de gens qui se fondent plus ou moins dans cette norme, ce qui crée des rapports hiérarchiques implicites.

Quant à moi qui écris cet article, je suis folle, mais pas assez pour être actuellement enfermée. N’oubliez pas qu’il est très difficile d’entendre la parole des plus concernés par les abus du système psychiatrique et par la psychophobie en général. Ecoutez ces paroles, diffusez-les.

Quelques témoignages ici : https://www.sansremede.fr/

Note

Publié initialement en mai 2018 sur agitationautonome.com.

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