MAJ 26/12 : dix jours après le verdict, le parquet général a décidé de ne pas faire appel ! Seul a pouvoir le faire aux assises (avec l’accusé), l’avocat général s’est donc rangé derrière la sentence d’acquittement alors qu’il a été clairement désavoué puisqu’il avait requis 2 à 3 ans de prison avec sursis. Jusqu’au bout, la « justice » a joué pleinement son rôle : autoriser l’État à balancer des engins de mort dans la foule et consolider l’impunité policière.
Nous, l’arrière-scène
Nous sommes l’arrière-scène du procès. Celleux qu’on appelle « le public ». Les spectateurices silencieux.ses, passif.ves, dont le seul droit est d’exister là comme un tout confus d’individus indéterminés, là pour regarder mais pas voir, écouter mais pas entendre, penser mais pas parler.
Nous, l’arrière-scène, on a été acteurs et actrices lors du procès aux assises du policier qui a éborgné Laurent Théron. Nous l’avons été et avons résisté. Nous ne nous sommes pas tenues sages.
Nous, l’arrière-scène, avons arraché des droits que le théâtre de la justice nous refuse en prenant une place qui ne nous était pas attribuée.
Nous avons arraché le droit de nous distinguer. Nous nous sommes d’abord distingué.e.s des flics : chacun.e dans notre camp, nous avons dessiné une fracture visible entre eux et nous. Nous étions plus nombreux.ses, plus joyeux.ses, plus agité.e.s, plus solidaires. Nous qui ne nous connaissions pas tou.te.s, avons créé un lien visible, matériel, dans cette salle où celleux qui se tenaient sages et indifférenciés dans les quelques bancs formant un carré stricte étaient les keufs. Dans la rue comme ici, ils se ressemblent tous, en formation, au garde à vous. Même dépourvus de leurs uniformes, ils constituent la masse informe d’un même corps docile qui ne comprend que le langage de l’ordre, de la peur et de l’autorité.
Nous nous sommes distingué.e.s en entrant et sortant bruyamment, en toussant lorsque les identités des témoins étaient dites à la barre pour ne pas leur donner le loisir de les entendre. En riant ouvertement lorsque les absurdités tristement banales qui constitue le discours pénal étaient énoncées. En applaudissant lorsque nos camarades et ami.e.s affrontaient ce discours en prononçant des mots qui ne devraient selon eux pas avoir leur place dans un tribunal. En boycottant la plaidoirie de Liénard. En levant la voix pour réclamer notre droit à entendre ce qui se disait malgré la lacheté de Lienard qui refusait de parler dans le micro. C’est par cette multitude de gestes, d’attitude, de bruits que nous avons résisté. Nous avons désobéi. Nous avons refusé l’injonction à nous taire, malgré les nombreux rappels agacés de la présidente. Notre corps à nous, il a montré qu’il était à la fois multiple et uni par les multiples actes de résistance que chacun.e a décidé d’opérer. Nous sommes un corps parce que chacun.e de nous peut prendre la liberté de décider où, quand et comment il ou elle peut transgresser l’ordre des choses, et accepter que d’autres ne le fassent pas de la même manière. Pourtant, les moments d’applaudissements et de rire général, insupportables pour la cour, ainsi que les chants entonnés dans les couloirs des tribunaux montrent que nous savons nous retrouver en une voix. Nous n’avons ni besoin de chef, ni besoin d’ordre, ni besoin d’uniforme pour nous rassembler.
Nous, qu’ils veulent reléguer à l’arrière de la scène, nous en prenons l’avant. Et nous continuerons de le faire, dans les tribunaux, comme dans la rue, et comme partout où nous déciderons de refuser la place à laquelle ils nous assignent. Nous continuerons de nous imposer sur la scène de leur théâtre, nous continuerons de déjouer leur scénario, nous continuerons de jouer le spectacle désarmant de la multitude d’affronts qui font résistance.
dessins d’audience : Crayondeluttes / @handievenere (twt)
Les soutiens du CRS en terrain conquis
En 2016, Laurent Théron est mutilé lors d’une manifestation. J’ai pu assister au procès du CRS responsable, Alexandre Mathieu.
Une partie des bancs était réservée aux collègues du CRS et en qualité d’observatrice, j’ai pu constater que tout était prétexte à provocation de la part de ces derniers vis-à-vis du reste de l’assistance, laissant une forte sensation d’étonnement et de questionnement. Un autre procès s’est ainsi joué au sein de l’arrière-salle. Voilà quelques réflexions sur ce que j’ai ressenti, vu et entendu durant ces trois jours.
Glissement vers l’abîme
L’accusé
Son attitude était décontractée et insouciante durant tout le procès : blagues avec ses collègues lors des interruptions de séance, clin d’œil envers ses soutiens après avoir fait ses excuses à la victime…
Ce comportement laissait penser qu’il ne prenait pas conscience de ses actes, ni du lieu où il se trouvait.
La présidente de la cour d’assises, Catherine Sultan
Ses nombreuses questions semblaient vouloir influencer les jurés en faveur du CRS, d’autant qu’elle a fait écourter l’intervention de la victime et demandé aux témoins de moralité (victimes également des violences policières) de ne pas se positionner en qualité d’expert.
Les six membres du jury
Pourquoi les juré-e-s n’ont pas posé de question durant tout le procès ?
Pourquoi les juré-e-s n’ont pas pris de notes ?
L’avocat de l’accusé Laurent-Franck Liénard
Son intervention n’a presque pas été entendue par le public, suite à son refus assumé de parler dans le micro — "je m’exprime pour la cour, pas pour le public ! " — , rendant ainsi ses propos inaudibles.
Il indiquera à plusieurs reprises durant sa plaidoirie que le contre rendu du traitement relatif au suivi de l’usage des armes (TSUA), ainsi que l’habilitation obligatoire pour l’utilisation d’une grenade de désencerclement (classe A), n’est qu’une "formalité administrative".
Après avoir utilisé des montages photos qui n’étaient pas dans le dossier et qui pouvaient sembler douteux (et sans que la présidente ne le reprenne), l’avocat a, lors de sa plaidoirie, pu dire qu’il n’était pas nécessaire de condamner le CRS car la victime elle-même ne le souhaitait pas !!! Il a également rajouté que de toutes façons, cela ne rendra pas son œil à la victime.
Les gendarmes du tribunal
Les gendarmes chargés de la sécurité à la cour d’Assises ont, de façon marquante, eu des comportements favorisant les soutiens de l’accusé par rapport à ceux de la victime. D’abord, Ils questionnaient chaque personne entrant dans la salle d’audience concernant les raisons de leur présence. Ensuite, les soutiens du CRS ne patientaient pas et n’ont pas été fouillés à l’entrée dans la salle d’audience, contrairement à ceux de la victime. De plus, une surveillance accrue envers les soutiens de la victime a été constatée : scrutés, dévisagés durant tout le procès, quatre gendarmes étaient en charge de contenir les soutiens de la victime, contre aucun pour les soutiens de l’accusé. Enfin, dernier exemple, quand le téléphone d’un policier a sonné en pleine audience, un des gendarmes du tribunal l’a fait sortir par la salle des témoins, tout en plaisantant, alors que les soutiens de la victime ont été systématiquement repris afin qu’ils rangent leur portable.
Les syndicalistes policiers dans leur fief
Un syndicat de Police représenté par Linda Kebab. Cette dernière va agresser verbalement une personne du public en la racisant, elle sera aussitôt soutenue par ses collègues qui lui formuleront, en substance, de « ne pas faire attention car il s’agit d’un singe ».
Prétextant être une journaliste, Kebab enverra durant tout le procès des messages sur son portable au su et au vu des gendarmes du tribunal qui n’interviendront jamais.
Invective en bande organisée
Durant tout le procès, les soutiens de la victime ont vécu un grand nombre de tentatives d’intimidation de la part des collègues du CRS, dissimulant derrière leur allure patibulaire un comportement de manipulateurs narcissiques. Insultes et propos injurieux proférés lors des interventions de Lucie Simon l’avocate de la victime (« pose ton cul, grosse pute », lancé de façon à n’être entendus que par le public), prises de photos en douce des soutiens de Laurent, qui n’a pas cessé après que cela a été rapporté aux gendarmes du tribunal, prises de notes des noms et adresses des témoins de moralité, installation de soutiens de l’accusé à côté des soutiens de la victime, dans une attitude de provocation. Deux policiers ont même discuté tranquillement du fait qu’il est courant de balancer des grenades de désencerclement dans les manifestations sans y être habilité.
Ils ont également insulté les deux inspecteurs de l’IGPN venus témoigner : « ce n’est pas un collègue, c’est un bâtard » ; quant à l’expert de la gendarmerie, « c’est un vendu, il faudrait une purge ».
Tous ces comportements ont ainsi poussé le reste du public dans leurs retranchements, d’autant qu’à aucun de ces moments les gendarmes du tribunal ne sont intervenus.
Soutiens de la victime
Face à toutes ces constatations, les soutiens du plaignant ont essayé d’intervenir à plusieurs reprises en demandent que l’avocat de l’accusé parle dans le micro, sont sorties en désordre de la salle d’audience en pleine plaidoirie de l’avocat de l’accusé, ont réagi bruyamment lorsque ce même avocat a sorti une photo de Paris Match comme preuve, et ont toussé au bon moment afin que les identités et adresses des témoins de moralité ne puissent pas être entendues et notées par les collègues policiers du CRS.
Ce procès a duré trois jours.
Trois longs jours de provocations, de tentatives d’humiliations et d’intimidation de la part des soutiens à l’accusé.
Trois longs jours où l’équité n’avait pas sa place, où les soutiens de l’accusé pouvaient rigoler, insulter, critiquer, intimider en toute impunité alors que ceux de la victime se faisaient reprendre par les gendarmes du tribunal à la moindre réaction.
Trois longs jours où les soutiens d’Alexandre Mathieu semblaient être en terrain conquis.
Trois longs jours pour acquitter Alexandre Mathieu qui n’a aucun regret concernant la subtilisation d’une grenade de désencerclement (arme classée A), la préméditation de son geste, l’usage de cette grenade sans aucun respect de procédure, l’utilisation sans habilitation, sans autorisation et les conséquences qui en résultent : le massacre d’une vie.
Trois longs jours où la cause racine de ce drame n’a pas été traitée.
Trois longs jours qui ont permis au final d’ouvrir la boîte de pandore.
Trois longs jours où les soutiens du plaignant n’ont pas craqué, ni répondu aux invectives incessantes et aux humiliations des policiers. J’ai d’ailleurs envie de dire « Bravo à toutes & tous ».
Tous les coups portés à Laurent, on les a ressentis !
C’est hyper violent ce qui est arrivé à Laurent ! Même s’il n’attendait pas grand chose de ce procès, la violence assénée pendant les audiences et le coup de grâce infligé par ce verdict, affirmant sans vergogne le non-droit, lui renvoie une violence judiciaire inouïe après une violence policière mutilatrice.
Tous les coups portés sur Laurent, nous les avons ressentis, à marquer nos corps, à insulter notre intelligence de tant de méchancetés et d’inepties. On a compris depuis bien longtemps que les institutions judiciaires sont prises en otage par l’appareil oppressif et répressif et aussi que rien ne viendra des instances supranationales. Si nous appelons à ester [1] en justice contre les violences policières, c’est pour démontrer l’injustice, l’impunité... Et bientôt l’immunité policière. Mais de là à voir une victime se faire étriller de la sorte, un cap a été franchi.
Mais plus grave encore, cette négation à l’encontre de Laurent, syndicaliste, l’a été plus encore par l’absence des syndicats dans leur ensemble à ce procès. Cela démontre une fois de plus ce manque de courage politique, voire même une tacite complicité avec l’État dans la conduite de cette guerre sociale qu’on nous inflige par des lois certes républicaines mais anti démocratiques.
Encore une fois, ils se tirent une balle dans le pied, notamment après celle de leur inaction face à l’effraction des forces répressives à la Bourse du Travail de Paris. D’ailleurs, leur raisonnement sur le "bon" ou "mauvais manifestant", que nous réfutons, explose ici par une seule question : que représentait Laurent à leurs "yeux" pour qu’ils soient absents à ce point ? Plus franchement, valideraient-ils ce verdict d’acquittement ? Certes des camarades syndiqué.e.s de toutes tendances étaient présent.e.s pour accompagner Laurent. Oui, mais nous y avons plus ressenti une démarche personnelle. Nous ne les remercierons jamais assez de leur courage pour s’être exposé.e.s à nos côtés face aux nervis du pouvoir.
Jour après jour, nombre de messages personnels de soutiens sont adressés à Laurent. Cette élan puissant nous incite à penser que ce n’est peut-être pas une défaite, bien au contraire. Car en réalité, rien n’est une fin en soi... "Nous tissons, nous tissons..." Patience ! (*)
Notre force naît et croît de l’adversité et des souffrances. Laurent se relèvera plus fort encore, pour rejoindre les rangs parmi ses vrais soutiens. Car comme d’habitude, nos alertes n’atteindront pas la société civile, comme le permis de tuer, les armes de guerre, l’hyperverbalisation, les polices municipales... Ou alors le débat sera vicié en l’absence de radicalité, de questionnements sur les fondamentaux de la lutte sociale, résumé chez nous les gueux par "De quoi on parle ?" et "Pour qui on agit ?"
Nous aurons besoin d’un père courage comme Laurent pour caler la mêlée et forcer à la gniac ces murs qu’on ne cherche plus à déconstruire mais à détruire, au vu du sale qu’on nous renvoie de tous côtés.
Pas de justice pas de paix... Pas de paix !
dessins d’audience : Crayondeluttes / @handievenere (twt)