Nous ne voulons plus de vos images. Nous voudrions nous les procurer nous-mêmes aux côtés de ceux que vous filmez.
Vous êtes-vous posé la question de l’utilisation de vos images ?
Détrompez-vous, on ne parle pas ici d’un débat qui semble clos et dont les conclusions semblent être évidentes. On ne parle pas des images de manifs où l’on peut discerner aisément les protagonistes d’une action jusqu’à la couleur de leur caleçon ou de la semelle de leurs chaussures (toute ressemblance avec des personnes ou des évènements passés n’est que fortuite).
Non. Objectivement, ces images-là, on ne peut pas les prendre. Et, quand individuellement (comprendre par là, en se dissociant du groupe), on prend le risque de les capturer, on ne peut pas les diffuser. Ceux qui le font s’associent objectivement aux preneurs d’images ayant les plus mauvaises intentions : s’associer au maintien de l’ordre et se dissocier par là du groupe qu’ils médiatisent.
« Médiatiser » définition : rendre média. Constituer un intermédiaire.
Quel objectif donc pour ceux qui médiatisent ?
A priori, constituer un intermédiaire entre ce qu’ils voient et le plus grand nombre (et chacun peut voir sa propre réalité dans les images).
Quel objectif pour ceux qui se révoltent ?
Exprimer leur colère ou la médiatiser ? Gagner une guerre ou livrer une bataille ?
Dans son livre La Domination policière, paru en 2012, Mathieu Rigouste aborde très largement la question du rôle que jouent les médias dans le maintien de l’ordre militaro-policier. On pourrait même dire : maintien de l’ordre militaro-médiatico-capitalo-impérialo-colonialo-patriarco-policier.
En effet. Les médias jouent un rôle central dans le maintien de cet ordre-là.
L’aspiration sans doute la plus partagée par les humains en ce moment doit être « pour un autre futur » (parce que dire « plus jamais comme avant », c’est nier que parmi nous actuellement, certain·e·s ne distinguent pas d’avant / de pendant / d’après, mais bien la continuité d’un monde et d’une domination).
Alors cet ordre-là pour le renverser, il faudra que nous soyons nombreux·euses. Inutile de compter sur les médias pour jouer les intermédiaires entre les insurgé·e·s et les gouvernant·e·s. Lorsqu’on est renversé.es, on le constate. On ne l’apprend pas par un intermédiaire.
Cet ordre-là. Beaucoup le contestent. Chacun·e selon ses possibilités, depuis des décennies. Aujourd’hui, c’est ce que font les émeutier·ère·s partout dans nos banlieues qui s’embrasent et sont réprimées suite à la tentative d’homicide d’un flic de la Bac de Villeneuve-la-Garenne sur un homme à deux roues.
Ils s’insurgent et nous voudrions les rejoindre plutôt que les voir de loin. Nous voudrions être avec eux par nos corps en mouvement plutôt que de les voir de loin derrière nos écrans, nos corps confinés.
Pour Mathieu Rigouste, une véritable ingénierie de la tension est à l’œuvre dans les quartiers populaires français. Elle se restructure en permanence. Chaque jour, chaque émeute, chaque insurrection est l’occasion d’expérimenter une contre-insurrection médiatique et policière.
Les doctrines de contre-insurrection sont organisées autour de l’articulation d’un versant de propagande (des structures « d’action psychologique » et de « conquête des cœurs et des esprits ») et d’un versant de coercition combinant des forces d’occupation et de quadrillage militaro-policier avec des techniques de contre-guérilla et d’extrême brutalisation.
C’est dans cette doctrine du « Heart and Mind » (« cœur et esprit ») que les médias et la médiatisation ont leur rôle à jouer. C’est dans ce cadre-là qu’ils le jouent actuellement.
Que nous (« nous » au sens de tous ceux qui ont de l’empathie pour les insurgés) recevions les images prises à la volée ici ou là d’un feu d’artifice (à ne pas confondre avec du mortier) ou d’une voiture qui brûle avec bonheur et bienveillance (il faut bien le dire) c’est une chose. Mais ces images sont rendues publiques. Elles sont mises à disposition de toutes et tous : y compris ceux qui n’ont pas d’empathie ni de bonnes intentions. Ceux qui mènent la contre-insurrection endocoloniale (voir Mathieu Rigouste encore) et ceux qui la soutiennent (consciemment ou non).
Alors, s’il vous plait, cessez de nous proposer vos images qui nous informent si peu et nous inquiètent tant pour les insurgés.
Cessez de proposez vos images en toute connaissance de cause qu’elles seront récupérées et diffusées par la police elle-même. Sans intermédiaire.
Prenez votre part de l’émeute, goutez-y, et si, comme nous, vous n’y avez pas le corps (le cœur, le courage, la témérité, etc.) d’être avec les insurgés, prenez la plume, et racontez-nous en n’oubliant pas de manquer d’objectivité. Car ne l’oublions pas, dans cette guerre contre la domination militaro-médiatico-capitalo-impérialo-colonialo-patriarco-policière nous avons besoin d’une soigneuse contre-propagande.
Vive les insurgés qui partout en France et dans le monde font vivre la flamme d’un objectif éternel et vital : la Révolution !