Migrants : Asile congelé à La Chapelle

Sous le pont du métro aérien, face à la station La Chapelle, à un carrefour et entre les pots d’échappement, des demandeurs d’asile attendent. Ils ont été rejoints par d’autres, qui, comme eux espèrent.

_La Chapelle entre 5h30 et 7h10. Il fait -2°C ou -3°C. De temps en temps, il neige légèrement. La ville dort puis se réveille lentement.

Sous le pont du métro aérien, face à la station La Chapelle, à un carrefour et entre les pots d’échappement, des demandeurs d’asile attendent. Ils ont été rejoint par d’autres, qui, comme eux espèrent.
Ils sont une cinquantaine. Debouts, ou encore endormis, ils attendent des bus qui les conduiront peut-être vers des centres d’hébergement d’urgence ou des hôtels dits « sociaux ».

 ? Pour combien de temps ? Dans quelles conditions ? Ni eux ni nous ne le savons.
D’ailleurs, deux migrants parmi ceux qui sont venus et qui poireautent aujourd’hui se sont fait virer du centre parisien où ils étaient il y a 10 jours. Motif ? Ils se plaignaient de ne pas pouvoir accéder aux douches depuis trois jours...

Ceci dit, ce matin ils attendent là. Parce que leur plan B, c’est la rue. Hier, il y a eu une rumeur « d’évacuation » de ce petit campement. En langue technocratique et néolibérale on ne dit pas campement mais « point de fixation à fluidifier ».

Cela dit, la mairie de Paris et l’État ne fluidifient pas comme le Medef fluidifie (en corrompant) « les relation sociales ». Fluidifier pour eux c’est : les flics donc la rafle ou la matraque, ou, l’évacuation partielle ou totale avec hébergement à la clef.

« Une rumeur est une information non vérifiée qui circule ». « Non vérifiée » ne veut pas dire « faux. »
Certains sont donc venus de loin ou ont très peu dormi. Pour ne pas rater le cordon de police qui, lorsqu’il se mettra en place, excluera toute personne absente à l’instant T.

Toute personne partie aux toilettes, se réchauffer dans un café où simplement partie faire un aller-retour à côté, à France terre d’asile, rue Doudeauville pour se réchauffer en marchant ou pour qu’on lui garde une place dans la file naissante deux heures avant l’ouverture, pour qu’elle puisse demander par exemple, le versement en retard de son Allocation pour Demandeurs d’Asile (ADA) de 6,80 euros par jour soit 204 euros par mois, nouvellement gérée par l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’intégration).

La préfecture et la mairie ne préviennent pas quand elles arrivent. Il y a toujours un « Double discours dans une rumeur ». Ici il y a grosso modo trois types de discours émanant des autorités, des institutions ou des forces mainstream.

A) A l’intention des (pas bi)nationaux un peu de gauche : « La France est la patrie des droits de l’homme. Nous sommes une terre d’asile. » Ou encore « Welcome Refugees »
Affirmations déclaratives, contentes d’elles-mêmes, parfois enthousiastes voire un peu sincères, parfois aussi publicitaires que creuses et en tout cas fort peu engageantes... Concrètement.

B) A l’intention des (pas bi)nationaux de droite ou d’extrême droite qui sont aussi électeurs-contribuables : « Ne vous inquiétez pas. En échange des vrais réfugiés, on expulse les faux. Les migrants économiques, les sans-papiers... Regardez : on a battu les records d’expulsion de Sarkozy et Hortefeux. Nous ne sommes ni laxistes, ni angélistes ! Nous sommes res-pon-sables, nous n’accordons pas l’asile à n’importe qui. »
Fermeté et humanité. « Une »humanité ferme" qui tue chaque année.

Hier, deux copains soudanais on eu un refus à l’Office français pour les réfugiés et les apatrides (OFPRA). L’OFPRA accepte 15% des demandes qui lui sont faites. Un de ses agent affirmait cet automne : « grâce ou à cause des mobilisations et suite au barouf médiatique on a ouvert un peu plus pour les soudanais ».

C’est qu’ici on fait le tri par nationalité, genre, religion, orientation sexuelle.
Celles et ceux à qui on a dit « non » devront faire appel de la décision à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) pour espérer pouvoir rester légalement. 15% de « oui » à l’issue de la procédure. Au total : 80% de refus.

Rien à voir avec la Suède par exemple 82,7% de réponses positives ou 100% si vous êtes érythréen-ne. Les Pays-Bas c’est 70%.

Les Syrien-nes ? On en a accepté 20 sur toute l’année 2015 alors qu’on s’est engagé théoriquement au niveau européen à accueillir 30000 personnes.

C) Discours explicite à l’intention des premiers concernés, exilés, demandeurs d asile :« Attendez », « il vous manque ce papier » « vous comprenez le français ? » Implicitement : « soyez passifs, taisez vous,disparaissez ou si vous réclamez quelque chose dites le gentiment et indépendamment de la réponse dites merci ».
Même si tout ce qui est fait est dans le meilleur des cas simplement l’application du minimum légal.
Même si même en cas de condamnation comme sur l’insalubrité à Calais par exemple l’État fait appel de la décision.

Toujours plus d’arbitraire, de pratiques discrétionnaires et de racisme d’État.
On ne peut pas s’empêcher de penser que ce serait différent si « ils et elles » avaient les yeux bleus.
Le discours « C » est produit dans un contexte d’extrême précarité des personnes, parfois de méconnaissance de leurs droits, de barrières de la langue, psychologiques, quant au fait que parfois de là où ils et elles viennent manifester c’est interdit ou dangereux.

C’est dans ce cadre qu’il faut prendre toutes les mobilisations de migrants pour ce qu’elles sont des actes courageux à saluer et à accompagner. La politique permet d’infléchir certains discours ou de pousser les gouvernants de passer d’un discours à l’autre.

Cet été, après la mort d’Aylan, un cadre de la mairie affirmait que la conjoncture avait changé qu’on était passé d’une situation où il fallait rendre la vie impossible aux migrants pour qu’ils partent, à une conjoncture où maintenant on accueillait un peu.

Depuis, il y a eu les élections, l’état d’urgence, Cologne.... Tout le monde attend, ça caille vraiment. On discute un peu la bouche dans l’écharpe avec ceux qui sont réveillés. Certains veulent aller à Calais pour manifester samedi. Pour défendre leurs droits dans le plus grand bidonville d’Europe. D’autres cherchent un plan cours de français de bon niveau.

Un gars se réveille, s’ extraie rapidement de son sac de couchage avec manches, va se laver la figure, grille une clope puis se recouche. Il est 6h50.

A ceux qui voudraient faire dans la concurrence des indigences on rappellera par exemple ce simple fait :
Le plan grand froid à trois niveaux. Il est mis en place par les préfectures. Le niveau 2 par exemple impose normalement l’ouverture de locaux de nuit, des maraudes et un accompagnement social.

Lorsqu’on est migrant au niveau 1( entre 0 et -5) rien n’est fait, et au niveau 2 (entre -5 et -10) on se limite à l’ouverture de salles. Pas sûr que l’austérité renforce la vigilance du type qui regarde le thermomètre. Que ce soit pour le migrant ou pour le SDF.

Derrière l’endroit où ils dorment, il y a un dépôt de la propreté de Paris. Un des éboueurs qui arrive au travail se laisse aller : « Il y en a marre, ils sont sales ! Regardez c’est dégueulasse. » Ses collègues ne lui répondent pas. Un autre me demande si je trouve normal que les pompiers ne se déplacent pas en cas de problème. Quand je lui réponds que je le regrette et que c’est malheureusement souvent le cas dans les campements de rue il laisse entendre son dégoût pour le gouvernement.
Finalement aucun bus n’est arrivé.

Nous sommes repartis en même temps que la dizaine qui avaient rejoins le campement dans l’espoir d’être au chaud. On est pas resté longtemps, pourtant cela a suffi à ce qu’on soit transis froid.

On ne fera croire à personne qu’il n’y a pas la place de loger tout le monde. Si jamais il arrive un drame il faudra en tirer les conclusions.

Oui, les morts de froid chaque année dans nos rues sont assassinés ! Toute réquisition de logements de bâtiments vide est légitime et plus que jamais à l’ordre du jour !

« En ce moment que ça nous plaise ou non l’Humanité c’est Nous »

Samuel Beckett

“L’avenir de l’humanité n’a d’intérêt que vu d’en bas.”

Bertolt Brecht

Houssam

Localisation : Paris 18e

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