Cela fera bientôt onze ans que notre camarade Clément Méric a été assassiné par des militants néo-nazis à Paris. À l’époque, malgré quelques tentatives d’obscurcissement, la situation est déjà claire. De jeunes néo-nazis ont tué un jeune homme de 19 ans pour ce qu’il est, un militant antifasciste. Ce que confirmera le procès.
À l’époque, la gauche de gouvernement et même une partie du centre et de la droite s’émeuvent, se solidarisent, intègrent son assassinat dans leur grand récit : celui qui fait de la République un rempart antifasciste. Qui fait du fascisme un phénomène purement et simplement circonscrit à l’extrême-droite organisée, et extérieur à l’État et la bourgeoisie. C’est ainsi qu’ils tentent de récupérer la mort de notre camarade.
Depuis onze ans, ce sont les mêmes qui dissolvent des groupuscules d’extrême-droite mais qui interdisent des collectifs de lutte contre l’islamophobie. Les mêmes qui prétendent incarner le dernier rempart démocratique face au Rassemblement national tout en donnant un permis de tuer de jeunes noirs et arabes à la police républicaine. Les mêmes qui se proclament antiracistes et qui organisent le massacre des migrants en Méditerranée. Les mêmes qui font intervenir l’armée française en Afrique ou en Kanaky sans cesser de dénoncer « les extrêmes ».
À vrai dire, le ver est dans le fruit. Qu’on pense au 8 mai 1945. Jour de l’armistice et la victoire finale contre le nazisme, c’est aussi celle des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata qui font des dizaines de milliers de morts en Algérie lors de manifs anticoloniales. Dès le départ, le récit de l’antifascisme républicain sert à masquer une réalité bien plus trouble : la persistance du fascisme français, qui accompagne les guerres de décolonisation et l’anticommunisme.
Désigné comme un autre absolument extérieur au jeu politique acceptable, l’extrême-droite joue en réalité un double rôle : à la fois pourvoyeur d’idées fascistes, son essor justifie également la mise en place de mesures racistes et liberticides. En lui déroulant le tapis rouge tout en ne cessant de s’en dissocier, l’antifascisme moral du bloc au pouvoir contribue à assurer la progression de ses idées tout en leur conférant un vernis subversif. Les succès électoraux qui ne manquent pas de suivre donnent ainsi la meilleure des excuses aux différents gouvernements pour mettre en œuvre des pans entiers du programme de l’extrême-droite.
Le génocide en cours à Gaza signale sans doute la faillite politique et morale de la fable de l’antifascisme républicain. Au nom de la lutte contre l’antisémitisme, l’Occident rend possible le bombardement de Gaza en apportant un soutien logistique, matériel et moral à l’État sioniste. L’antifascisme républicain dans ce contexte fonctionne comme une grande machine à confusion. Les défenseurs du suprémacisme israélien accablent leurs critiques d’accusations d’antisémitisme. Les avocats de l’impérialisme font planer sur leurs opposants le soupçon d’un soutien à toutes sortes de régimes réactionnaires. Et il est toujours des imbéciles dans notre camp pour donner un vernis révolutionnaire à de telles accusations, en manipulant avec mauvaise foi des positions parfaitement claires ou en faisant comme si telle déclaration réactionnaire isolée de toute pratique avait le même poids qu’une politique d’État ou de quelques tonnes de bombes, et méritait autant d’égards.
À l’heure où l’État fait pleuvoir les convocations par l’antiterrorisme, il est plus que jamais nécessaire de se refuser au devenir-flic d’un milieu militant. C’est pour rappeler que notre antifascisme ne se réduit pas à la lutte contre l’extrême-droite, mais est parfaitement au clair sur la capacité du Capital à recourir à son histoire génocidaire que nous marcherons le 1er Juin. Pour rappeler que l’élaboration et la mise en pratique de politiques fascistes puise non seulement dans les pratiques coloniales et d’exploitation des États capitalistes, mais enrôle à son service bien au-delà de l’extrême-droite traditionnelle. Pour rappeler la nécessité d’un bloc populaire en dehors duquel il n’y aura pas d’échappatoire : quel que soit le scénario.
Pour prolonger ces beaux mots de Robert Antelme, revenant des camps de concentration :
« Seul le monde dans sa vie peut venger chaque jour ceux qui sont morts, parce que ces morts ne sont pas ordinaires ; seule une victoire des idées et des comportements pour lesquels ils sont morts peut avoir le sens d’une vengeance ; cette mort ne se mesure pas à la nouvelle mort d’un homme, c’est l’avènement, le développement d’une société et d’un certain monde intérieur qui peuvent y répondre ».
C’est pour nous le seul moyen de rester fidèle à la mémoire d’un camarade.
Appel à un cortège Kanak :
Appel à un cortège Palestine :