Cher Monsieur,
Nous sommes de la même génération et nous nous croisons tous les jours, sans pour autant échanger plus que quelques mots. Bonjour, Bonsoir, des commentaires sur la pluie et le beau temps, parfois de rares allusions à une histoire qui sombre lentement dans l’oubli. Enfin, pas tout à fait. Car quelque chose, dans notre passé commun, semblait enveloppé d’un brouillard inconfortable.
Des évènements récents ont provoqué chez vous un certain mal-être et un net changement de comportement vis-à-vis de ma personne. Une certaine distance semble s’être installée. Tout a commencé avec la publication d’un livre à diffusion plutôt marginale, Exils, témoignages d’exilés et de déserteurs portugais en Europe (1961-1974)2, dont vous n’aviez sans doute pas eu connaissance. Jusqu’à ce jour où, dans l’ascenseur, vos yeux se sont posés avec étonnement sur la couverture de l’exemplaire que je lisais. À ce moment précis, j’ai saisi le problème – et le brouillard qui enveloppait notre passé commun s’est dissipé.
Je parle, bien sûr, des années allant de 1961 à 1974, celles de la guerre coloniale. Longue période au cours de laquelle nous dûmes, les uns et les autres, prendre des positions qui laissèrent des marques profondes dans nos vies. De certaines allusions rapides, j’avais déduit que vous aviez accompli votre service militaire, et fait la guerre en Afrique. De votre côté, je ne doute pas que vous ayez compris que je fus de ceux qui firent le choix de l’exil pour ne pas la faire, de ceux qui furent réfractaires ou désertèrent.
Lettre à mon voisin qui a fait la guerre coloniale. Echo actualisé des déserteurs portugais
Dans Lettre à mon voisin qui a fait la guerre coloniale, parue originellement en janvier 2017 dans Mapa, journal d’information critique portugais, Jorge Valadas parcourt les tréfonds d’un mal constitutif de l’histoire portugaise et européenne. Il revient sur un mouvement de jeunes refusant le patriotisme triomphant, en écho avec nos temps de repli identitaire.
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