L’âge de départ à la retraite est maintenu à 62 ans selon Macron et ses sbires. Voilà un bel exemple de novlangue digne du « la guerre c’est la paix » de Big Brother. Dans les faits, plusieurs pistes sont explorées pour démolir nos droits à la retraite par une réforme qui sera discutée au parlement en 2020 pour une application dès 2025. Delevoye a émis le 17 juillet dernier des préconisations dans ce sens après une séance de négociation avec les « partenaires sociaux ». L’une d’elles consiste à instaurer un système de bonus-malus autour d’un « âge d’équilibre » qui se situerait à 64 ans. Autrement dit, si vous partez à la retraite avant 64 ans, votre pension de retraite sera réduite, amputée d’un malus. L’autre grand volet de la réforme est l’harmonisation des différents régimes de retraite avec la création d’un système de retraite par achat de points inspiré des retraites complémentaires privées.
Macron et sa clique répètent inlassablement que cette nouvelle entreprise de démolition poursuit un objectif de justice sociale en réduisant les inégalités entre les différents régimes de retraite. Il est clair que les fonctionnaires et salarié·e·s des entreprises publiques bénéficient de droits en matière de retraite plus favorables que le régime général (qui concerne près de 70 % des travailleurs et travailleuses du pays) et que les régimes particuliers des artisans ou des agriculteurs. Le problème est que chaque nouvelle réforme s’aligne toujours vers le bas, vers les régimes les plus défavorables, alors qu’une véritable réforme progressiste consisterait à aligner le régime général sur celui des fonctionnaires. Pour faire passer la pilule, le gouvernement veut en parallèle encadrer les « retraites chapeau », ces sommes astronomiques versées aux patrons partant à la retraite par leur entreprise en vertu de l’adage « on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même ». Cet encadrement sera toutefois modeste puisqu’il reviendra à conditionner le montant de la retraite chapeau à la performance économique de l’entreprise.
Le système de retraite français a la particularité de se baser sur le principe de la répartition. Les travailleurs et travailleuses cotisent pour les retraites de leurs aîné·e·s. En bref les cotisations actuelles financent les retraites actuelles. C’est l’inverse des systèmes de retraite par capitalisation, où les salarié·e·s doivent mettre de l’argent de côté pour plus tard afin d’assurer leur propre retraite, généralement dans des fonds de pension qui alimentent la financiarisation de l’économie. Macron et l’ensemble de la classe capitaliste dénigrent le système de répartition qui ne serait plus viable à cause du contexte démographique. Il n’y aurait plus assez de travailleurs et de travailleuses « actifs » par rapport au nombre de retraité·e·s à cause du « papy boom », d’où la nécessité selon ces énergumènes de reculer l’âge de départ à la retraite et de remplacer la répartition par un système de points. Si l’achat des points alimentera un fonds public chargé de verser les pensions aux retraité·e·s dans la proposition de Delevoye, nous pouvons parier qu’à moyen terme ce fonds fera l’objet d’une privatisation pure et simple afin de permettre un basculement vers un régime par capitalisation.
Nous sommes dans une situation ubuesque, l’âge de départ en retraite est retardé alors que les taux de chômage chez les jeunes et les plus de 50 ans battent des records. Cette situation met en évidence une contradiction difficilement surmontable pour la classe capitaliste. En tant qu’employeur à titre individuel, les capitalistes ont intérêt à recruter des salarié·e·s expérimenté·e·s, mais pas encore usé·e·s par une vie de labeur, des salarié·e·s dont ils pourront tirer un maximum de plus-value en les exploitant. Mais les capitalistes, en tant que classe, veulent aussi réguler le nombre de personnes surnuméraires (retraité·e·s, chômeur·euse·s, etc.) susceptibles de venir grossir les rangs de l’armée de réserve. De nombreux retraité·e·s sont contraint·e·s de travailler pour compléter une pension de retraite trop modeste pour vivre dignement. Par exemple, 255 000 retraité·e·s de plus de 85 ans occupent un emploi aux USA selon le Washington post. Les surnuméraires doivent être limités à un nombre acceptable aux yeux des capitalistes : suffisamment nombreux pour faire pression à la baisse sur les salaires et répondre à des besoins ponctuels de main-d’œuvre, mais pas trop nombreux quand même. Les aides sociales versées aux surnuméraires sont un coût que les capitalistes ne veulent plus assumer en ces temps de restructuration quand bien même ces aides ont pour but de permettre la reproduction de la force de travail. D’autre part, les capitalistes craignent l’instabilité politique que des mouvements de surnuméraires peuvent engendrer (luttes des piqueteros en Argentine, émeutes de la faim un peu partout dans le monde, etc.).
Quant à l’argument bateau « il est normal de travailler plus longtemps puisque nous vivons plus longtemps », il pose question. Delevoye propose d’indexer son « âge d’équilibre » sur l’espérance de vie moyenne des Français·e·s. Mais pourquoi les ouvriers et ouvrières, qui vivent moins longtemps que les cadres et surtout moins longtemps en bonne santé, ne partiraient pas plus tôt à la retraite selon cette logique ? Plusieurs régimes spéciaux permettent actuellement de prendre en compte la pénibilité de certaines professions grâce à un départ anticipé à la retraite. Avec les propositions de Delevoye, la pénibilité ne sera prise en compte que via le « compte professionnel de prévention » (que nombre de patrons refusent de mettre en place) et seuls les métiers régaliens (comprendre les flics et les militaires) bénéficieront de départ à la retraite anticipée d’office.
Il peut sembler paradoxal de lutter pour le droit à la retraite tout en prônant l’abolition du salariat. Nous aurions tort de voir les retraites uniquement comme une revendication immédiate, ou pire comme une marotte du démocratisme radical et du réformisme, par opposition à des mesures révolutionnaires. Il s’agit plutôt d’une pratique d’autodéfense de classe face à une attaque globale à l’encontre des salaires indirects, attaque qui s’inscrit dans le rapport de force entre le travail et le capital. Il importe de rappeler que les retraité·e·s ne sont pas des « inactifs » en surnombre, mais des travailleurs et travailleuses au repos, de même que les apprenti·e·s et les étudiant·e·s sont des travailleurs et travailleuses en formation, et qu’à ce titre les retraité·e·s font partie intégrante de notre classe. Ajoutons que les retraité·e·s contribuent en partie à la reproduction de la force de travail, en participant à l’éducation des enfants par exemple. Il importe aussi de rappeler que les cotisations sociales, dont celles pour les caisses de retraite, ne sont pas des « charges », mais bien un salaire indirect différé que nous toucherons à notre tour par le biais de la solidarité intergénérationnelle sous la forme des pensions de retraite. Les capitalistes ont compris qu’ils ne pourront guère aller plus loin dans la baisse des salaires directs vu l’impopularité de ces diminutions, même s’ils y parviennent encore trop souvent grâce à des subterfuges tels que la hausse du temps de travail à salaire égal. Ils mobilisent donc leurs forces pour obtenir une diminution des salaires indirects, en ciblant par exemple la sécurité sociale, les aides pour le logement ou les allocations chômage avec une réforme de l’assurance chômage prévue dans l’été qui va réduire les droits à l’indemnisation de plus d’un million de chômeurs. Macron a notamment réaffirmé son souhait de créer un revenu minimum universel qui regrouperait diverses aides sociales, dont le minimum vieillesse. Bien évidemment, nous pouvons nous attendre à ce que le montant de ce revenu minimum soit bien en deçà du cumul des différentes aides qu’il sera censé remplacer.
Le système de retraite par répartition – et plus largement les salaires indirects – ne remet pas en cause le mode de production capitaliste, mais ils permettent de limiter un peu les dégâts, c’est pourquoi une riposte d’ampleur de notre classe s’impose pour faire reculer le gouvernement. Les attaques contre les salaires indirects ont des effets désastreux. Elles sont synonymes de plus de précarité et de pauvreté pour les premiers concernés. Par exemple, dans le système par points, le calcul des pensions se base sur les cotisations versées par le·la salarié·e, ce qui va pénaliser les prolétaires ayant connu des périodes de chômage dans leur jeunesse puisque dans le régime général actuel le calcul des pensions se base uniquement sur les 25 dernières années de travail. Le système de retraite par répartition, grâce à des mécanismes ouvrant des droits même lorsque nous ne cotisons pas (maternité, maladie, chômage, etc.), permet une redistribution des revenus relativement favorable à notre classe. Les attaques contre les retraites vont engendrer une diminution des ressources pour les personnes âgées impliquant une dégradation des conditions de travail et des salaires dans les métiers du « care » (aides à domicile, salarié·e·s des maisons de retraite, etc.). Soulignons enfin que les femmes, partant plus tard à la retraite que les hommes à cause des congés maternité et touchant des pensions en moyenne inférieure de 42 % à celles de leurs homologues masculins, seront encore plus pénalisé·e·s par la réforme.
En mêlant solidarité intergénérationnelle et interventionnisme public, le régime de retraite actuel place l’État dans un rôle d’autorité régulatrice et d’assistant social destiné à anesthésier la guerre de classe. Mais les autres alternatives ne sont guère plus reluisantes :
– dans de nombreux pays où le système de retraite est absent ou presque, la prise en charge des personnes âgées repose sur la sphère familiale, autrement dit principalement sur le travail domestique féminin ;
– dans les pays libéraux où le système de retraite repose sur des fonds de pension privés, comme aux USA, les salarié·e·s sont contraints de devenir des « capitalistes » malgré eux et de veiller à la rentabilité des entreprises financées par les fonds de pension pour ne pas perdre leurs retraites. C’est déjà un peu déjà le cas en France où des travailleurs et travailleuses font appel à des retraites complémentaires privées pour compenser la faiblesse de leurs futures pensions de retraite.
Bref, ce n’est ni en ressuscitant un État providence moribond ni en acceptant la société capitaliste et patriarcale que nous trouverons une solution à la problématique du vieillissement de la population, problématique que les révolutionnaires ne peuvent pas ignorer. Les perspectives d’évolution de la population, en France comme dans le reste du monde, annoncent en effet une transition démographique débouchant sur un vieillissement généralisé.
La question du « vieillissement » se posera avec vigueur dans les prochaines décennies en soulevant des enjeux cruciaux de genre, d’âgisme, de maintien des liens sociaux, de validisme, etc. Une approche restreinte aux seules questions du montant des pensions et de l’âge de départ à la retraite serait bien insuffisante pour relever ces défis. Gageons que la révolution, en abolissant la distinction entre vie active et inactive, entre activités « productives » et « improductives » rythmant le cours de notre existence, ouvrira de nouveaux champs des possibles pour nous permettre d’aborder la question du vieillissement en toute sérénité.